Rachat des turbines Arabelle par EDF : le "soulagement" des élus nimbé d'incertitudes
"Soulagement", "excellente nouvelle"... Les élus locaux ont salué la confirmation vendredi du rachat des activités nucléaires de General Electric par EDF... dix ans après que celles-ci aient été cédées par Alstom à GE. Mais ce retour dans le giron français reste encore entouré de nombreuses zones d'ombres, qu'il s'agisse du montant de la vente ou de la poursuite des commandes passées au russe Rosatom.
Les turbines Arabelle font leur retour sous pavillon français après avoir passé dix ans entre les mains de l'américain General Electric. EDF a annoncé, le 31 mai, la finalisation de cette opération entamée en 2022 après "la levée de l'ensemble des conditions suspensives".
Les turbines sont une gigantesque dynamo, grande comme un avion de ligne, qui transforme de la vapeur en électricité. Les Arabelle, qui passent pour être les plus puissantes au monde, constituent une pièce maîtresse pour les centrales nucléaires et pour la relance de l'atome tricolore annoncée par Emmanuel Macron en février 2022 depuis le site de GE à Belfort (voir notre article du 11 février 2022). Les turbines "pourront notamment équiper les réacteurs de technologies EPR, EPR2 (European Pressurized Reactor) et les SMR (Small Modular Reactor)", les mini-réacteurs qu'Emmanuel Macron souhaite déployer, indique EDF. Le rapatriement de cette activité sera opéré par une filiale d'EDF, Arabelle Solutions. "L'acquisition accompagne la relance de la construction de réacteurs nucléaires, dont l’Europe a besoin pour sa décarbonation et sa souveraineté énergétique", a souligné Luc Rémont, le PDG d'EDF.
C'est un soulagement pour les élus du territoire de Belfort où sont produites ces turbines, fortement mobilisés sur ce dossier alors que la vente était bloquée depuis plusieurs mois, faute de garanties sur la poursuite de l'activité, sachant que le Russe Rosatom était jusqu'alors le principal client de GEAST, la branche de GE amenée à être cédée. "Je ne vais pas trahir le secret des affaires entre ces entreprises, mais nous avons sécurisé l'octroi des licences américaines nécessaires à l'opération", a assuré Emmanuel Macron, dans un entretien aux quotidiens régionaux du groupe Ebra, sans évoquer l'avenir des commandes passées avec Rosatom... qui pourraient à présent faire les frais des sanctions américaines.
Une "excellente nouvelle" pour le territoire
Pour expliquer ce retard, le gouvernement invoque le contexte international. "Il fallait s'assurer que la totalité des autorisations réglementaires nécessaires dans les différents pays impliqués soient obtenues. Peut-être avez-vous remarqué qu'il y avait une guerre en Ukraine ? Elle complique un peu les choses", avait sèchement répondu le ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie Roland Lescure à la députée RN Géraldine Grangier qui l'interrogeait récemment sur ce sujet.
Quoi qu'il en soit, les élus locaux saluent une "excellente nouvelle" pour leur territoire. "Ce rachat, nous l’appelons de nos voeux depuis 2020. Nous pensons aux salariés pour qui cette annonce est un grand soulagement et permet de lancer le site dans une nouvelle dynamique positive", ont réagi les élus LR Damien Meslot, maire de Belfort, Florian Bouquet, président du Département du Territoire de Belfort, Cédric Perrin, sénateur du Territoire de Belfort, et Ian Boucard, député du Territoire de Belfort, dans un communiqué commun.
Pour la présidente de région Bourgogne Franche-Comté, Marie-Guite Dufay, cette opération de rachat est un "soulagement". Elle "doit permettre de garantir notre autonomie énergétique", mais elle doit "également profiter à Belfort avec à la clé des investissements et de nouvelles commandes". "Le projet industriel qui découle de ce rachat doit être connu au plus vite afin de sécuriser l’avenir des salariés", exige l'élue socialiste qui demande de ne pas oublier "le développement des énergies renouvelables". "Dans cette optique, les activités éoliennes et hydroélectriques encore détenues par GE depuis le rachat d’Alstom, sont un point de vigilance majeur", estime-t-elle.
Zones d'ombres
Car de nombreuses zones d'ombres entourent encore cet accord. A commencer par le montant de la vente. La somme d'1,2 milliard d'euros avait été un temps évoquée, soit plus du double de la cession d'Alstom à GE. "Aujourd'hui, nous ne connaissons pas toutes les modalités de l'acquisition", font savoir les élus du territoire de Belfort, dans leur communiqué. "De nombreuses questions demeurent : quel est le périmètre exact des activités reprises? Quels seront les investissements humains et matériels réalisés?"
A quelques jours d'élections européennes qui s'annoncent difficiles pour son camp, Emmanuel Macron, met ce résultat sur le compte de ses "engagements tenus". "C’est un engagement que j’avais pris à Belfort : EDF reprend dès aujourd’hui les activités nucléaires de General Electric, notamment la fabrication des turbines Arabelle. Un grand pas pour notre souveraineté énergétique. Une fierté française !", a-t-il réagi sur twitter. "Mais qui avait donc vendu les turbines Arabelle portant alors atteinte à notre souveraineté ?", feint d'interroger le député Olivier Marleix, ancien président de la commission d'enquête qui s'était penchée sur les ventes d'Alstom, d'Alcatel et de STX, en réponse au message du président.
Le nom d'Emmanuel Macron est en effet associé de bout en bout à cette affaire rocambolesque, avec des changements de pied surprenants. C'est lui qui était à Bercy en 2014 lors de la tant regrettée cession des activités nucléaires d’Alstom à General Electric, ce que de nombreuses personnalités n'ont pas manqué de rappeler. "Enfin la spirale de la destruction de notre savoir-faire et de notre outil industriel à Belfort prend fin. Je ne peux que me réjouir de la finalisation de cette vente, nous l’attendions depuis longtemps. Emmanuel Macron, pompier pyromane, a tenté de rattraper le fiasco monumental de 2014 lorsqu’il avait autorisé la vente de la branche énergie d’Alstom à GE : c’était nécessaire, mais ça ne suffira pas à masquer la casse industrielle et les milliers d’emplois supprimés à Belfort et ailleurs en France", charge le député LFI du Territoire de Belfort Florian Chauche, dans un communiqué. Lui aussi demande à connaître le "périmètre exact de la transaction (montant du rachat, ensemble des activités concernées, autonomie commerciale vis-à-vis de l’extraterritorialité du droit américain)"…