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Urbain-rural - Quelle politique pour le "tiers espace" ?

L'inversion démographique des campagnes fait émerger de nouveaux territoires aux frontières de l'urbain et du rural, territoires sans pilotes et qui, trop souvent, naviguent à vue, constate une vaste enquête. Une question pour le moment ignorée par la réforme des collectivités.

 

Il y avait les Français des champs et les Français des villes. Il y a maintenant une espèce hybride, moitié rurale, moitié urbaine : les "néoruraux". L'essor démographique que connaît la campagne depuis une quinzaine d'années a fini par créer un entre-deux-mondes, des territoires frontières qualifiés parfois de "tiers espace", avec leurs problèmes propres : étalement urbain, grignotage des terres agricoles, besoins de services, d’infrastructures… L'artificialisation des sols a ainsi progressé de 3% en six ans. L'équivalent d'un département de terres arables a disparu… Illustration de ce mouvement avec le pays Cœur d'Hérault situé à une quarantaine de kilomètres de Montpellier : pour la seule communauté de communes du Clermontais, la population est passée de 17.000 habitants à 22.000 entre 1999 et 2006 ! Or le tiers des actifs de ces territoires travaillent dans l'agglomération de Montpellier. Comment dès lors préserver la qualité du cadre de vie, l'agriculture, essentiellement viticole, tout en contribuant au développement du territoire ? Des questions auxquelles les élus sont mal préparés, comme le montre une vaste enquête intitulée "Urbain-rural : nouvelle gouvernance, nouveaux territoires" menée dans dix-huit territoires* représentatifs par l'ADCF, l'APFP, la fédération des PNR, ETD, la Datar et Mairie-Conseils. "Il y a un certain retard dans la prise en compte de ces phénomènes par les territoires : ils n'anticipent pas suffisamment mais réagissent seulement quand les problèmes se manifestent", a constaté Vincent Chassagne, expert associé chez Mairie-conseils, coordinateur de l'enquête, lors d'une rencontre organisée à Paris, mardi 19 janvier.

 

Manque de dialogue

Les auteurs constatent avant tout un manque de dialogue urbain-rural, dialogue rendu d'autant plus difficile que les intérêts divergent. L'enquête relève en particulier la persistance de "non-dits financiers" autour des "charges de centralité". Les villes se plaignent ainsi de financer des services qui profitent aux autres. Les villages, eux, prétendent qu'ils ne bénéficient pas des mêmes services et qu'ils doivent en plus supporter une charge de gestion de l'espace… De fait, tout se passe comme si ces "nouveaux territoires" vivaient dans un no man's land politique, faute de gouvernance locale adaptée. Qu'il s'agisse de l'Europe, de l'Etat, des régions, des départements, les politiques contractuelles actuelles s'adressent tantôt à l'urbain, tantôt au rural, rarement aux deux. Pourtant, en matière d'emploi par exemple, tout le monde se réfère aujourd'hui aux "bassins économiques" dans lequel la campagne et la ville peuvent compenser leurs faiblesses : besoin de compétences d'une part, manque d'espace de l'autre… L'enquête plaide pour une nouvelle politique contractuelle. Il s'agirait de mettre fin à la pratique de contrats séparés entre agglomération et pays pour mettre en place une "stratégie multi-échelle". "Pour traiter de la question des algues vertes en baie de Saint-Brieuc, il faut à la fois prévoir des actions à l'échelle du pays et du Scot, des actions à l'échelle du syndicat d'eau, puis au niveau des communes aidées de leurs groupements (actions sur l'urbanisme, l'assainissement, les pratiques agricoles, la gestion des zones humides)", illustre l'enquête. Les auteurs encouragent les "mutualisations" dans l'organisation des équipements, des services, de l'ingénierie, le but étant de parvenir à des "pactes financiers et fiscaux".
La question est également à repenser au niveau européen. Le Réseau rural français a récemment lancé un appel à projets sur le rural-urbain pour trouver de nouvelles solutions. Mais la question va se poser avec la réflexion qui démarre sur l'avenir de la politique de cohésion et de la PAC après 2013.

 

L'avenir des pays en question

Pas facile pourtant, de parvenir à un consensus avec des pays aussi variés que les Pays-Bas pour qui le rural est une abstraction et la Roumanie qui compte quelque 6 millions d'agriculteurs, comme l'a fait remarquer le député européen Stéphane Le Foll. Selon lui, il faut dépasser la notion d'aménagement du territoire pour s'intéresser à la "socialisation des territoires". "Un territoire est perdu lorsqu'il n'est plus socialisé... C'est en décloisonnant et reconnectant les hommes qu'on crée une dynamique territoriale", a-t-il insisté, mettant en parallèle les cités de banlieue et les nouveaux ghettos que sont les lotissements urbains. L'eurodéputé a proposé, comme le demandent les régions françaises, de récupérer la partie rurale du deuxième pilier de la PAC relatif au développement rural, pour l'intégrer dans le pot commun de la politique régionale européenne.
Si la gouvernance en est à ses balbutiements, certains territoires ont commencé à s'organiser, à l'image du Pays basque où conseil de développement et conseil des élus composent une sorte de structure politique bicéphale. Ici, un mot est même utilisé pour désigner une nouvelle forme de solidarité entre la côte et l'intérieur : Lurraldea. Ce "territoire de projet" vient de se concrétiser dans l'élaboration de la stratégie "Pays basque 2020" à laquelle un millier d'acteurs locaux ont participé.
Mis sur le billot de la réforme des collectivités, les pays trouvent dans ce contexte de nombreux défenseurs. Le projet de loi actuellement débattu au Sénat supprime la possibilité d'en créer de nouveaux (article 25) au prétexte que l'achèvement de la carte intercommunale leur enlèverait toute utilité. Plusieurs amendements, de l'opposition comme de la majorité, ont été déposés pour sécuriser ceux qui existent déjà, alors que les pays sont aujourd'hui engagés dans de nombreuses politiques territoriales (contrats de pays, approche Leader, etc.). A l'instar des pôles métropolitains encouragés par le texte, les pays pourraient remplir ce rôle de coordinateur des intercommunalités rurales, estiment leurs défenseurs. "Il faut absolument réussir à préserver les acquis, quelque soit le futur paysage institutionnel, la Datar en est persuadée", a assuré Caroline Larmagnac, chargée de mission Territoires à la Datar.
 

Michel Tendil

 

* Pays et agglomérations : Alençon, Boulonnais, Coeur d'Hérault, Grand Besançon, PNR de Brière, Grand Pau, Le Mans, Lunévillois, Morlais, Nevers Sud Nivernais, Pays basque, Rémois, Rennes, Roannais, Saint-Brieuc, Val de Garonne-Gascogne, Vitré-Porte de Bretagne, Voironnais.