Education numérique - Que va-t-on faire de l'usage des outils Gafam à l'école ?
Constatant qu'un nombre non négligeable d'enseignants utilisait d'ores et déjà les outils des géants du web (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft ou Gafam) à des fins pédagogiques en classe, le directeur du numérique éducatif au ministère de l'Education nationale, Mathieu Jeandron, avait pris la plume mi-mai pour définir quelques jalons à leur bon usage. S'en suivirent des réactions inquiètes des éditeurs d'espaces numériques de travail (ENT) et de certaines associations proches du milieu de l'éducation. Si certains craignent la remise en cause du développement d'outils sécurisés conçus spécialement pour un usage éducatif encadré et neutre, les collectivités tentent, quant à elles, de rester pragmatiques. La ligne rouge à ne pas franchir : la divulgation des données des élèves à des fins commerciales.
A l'heure où le numérique éducatif s'affirme comme une priorité, ce qui concerne l'environnement numérique des élèves est scruté avec beaucoup d'attention. Le 12 mai dernier, le directeur du numérique pour l'éducation (DNE), Mathieu Jeandron, avait diffusé un courrier électronique aux délégués académiques au numérique (DAN) visant à éclaircir la place des outils des Gafam. Il précisait que rien ne s'opposait à leur usage éducatif, s'ils faisaient l'objet d'une déclaration Cnil et de conditions générales d'utilisation (CGU) taillées spécialement pour le monde de l'éducation. Enfin, Mathieu Jeandron rappelait que l'ouverture d'un compte "éducation" sur l'une de ces plateformes relevait de l'initiative du chef d'établissement, et non de celle d'un enseignant seul.
Encadrer et sécuriser les usages existants
"Certains enseignants utilisent ces plateformes", précisait Mathieu Jeandron auprès de Localtis, lors du colloque de printemps de l'Avicca. "L'objectif par ce courrier était de rappeler les règles permettant de concilier ces outils, avec la protection des données des élèves". En effet, l'usage de la version Education des outils Gafam permet, en théorie, de tenir les données hors de portée des outils d'analyse et de ciblage qui font, à l'accoutumée, tout le sens de ces plateformes. Des garanties de confidentialité qui n'existent plus, si l'enseignant fait appel à ces outils informellement, en utilisant leur version grand public. Outre cela, le DNE rappelait qu'il n'y avait pas de "blocage juridique" pour connecter les annuaires des élèves aux versions "éducation" des outils Gafam. Ainsi, les grands fournisseurs de services web seraient à même de connaître la composition nominative des classes, avec toutes les déductions qui pourraient s'en suivre.
Les éditeurs d'ENT fulminent
Dans son courrier, Mathieu Jeandron pressentait sans doute le caractère sensible de ces explicitations. Dans son dernier point, il précisait "l'importance d'aborder ces sujets dans un dialogue avec les collectivités locales concernées, pour que la mise en œuvre de ces outils ne soit pas vécue comme une concurrence frontale avec les ENT". Ce sont les éditeurs de ces ENT qui, les premiers, ont réagi avec virulence aux propos du ministère, en mettant en avant le travail de normalisation accompli en concertation pendant des années, pour s'assurer de la sécurité et de la confidentialité des plateformes qu'ils proposaient. Pour eux, les Gafam risqueraient de se passer de ces normes pédagogiques et techniques, tout en menaçant le rôle des ENT dans les pratiques des enseignants, alors que le nombre de visites sur ces plateformes a augmenté de 38% en 2016.
La Cnil appelle à la vigilance
La Cnil, évoquée dans le courrier de Mathieu Jeandron, s'est également exprimée ; elle considère que la charte de confiance préparée par le ministère, pour inciter tous les éditeurs à s'engager pour le droit des personnes, est un bon point de départ. Mais la Cnil appelle aussi à mettre en place des dispositions juridiquement contraignantes, pour empêcher définitivement l'utilisation de données à des fins commerciales, ou encore l'hébergement des données hors de l'Europe. Une position plus contraignante que la version actuelle de la charte.
Les collectivités demandeuses de concertation, mais pragmatiques
Du côté des collectivités, qui financent la mise en place des ENT, les réactions sont modérées. "De plus en plus de villes utilisent elles-mêmes des solutions logicielles grand public", observe Agnès Le Brun, maire de Morlaix et rapporteur de la commission Éducation de l'Association des maires de France (AMF). "Nous n'allons pas émettre un avis négatif a priori sur l'utilisation de ces plateformes en milieu scolaire. La réelle question est celle de la méthode : en termes d'éducation numérique comme sur bien d'autres fronts, les collectivités ont besoin d'être associées plus en amont à ce type d'orientation." Du côté de Régions de France, pour qui le numérique est le chantier prioritaire de la compétence éducation des conseils régionaux, on évoque également une "attente vigilante", avant que le nouvel occupant de la rue de Grenelle s'exprime personnellement sur ces enjeux. Si certains acteurs de l'éducation numérique en région ont accueilli cette ouverture aux Gafam avec inquiétude, c'est le pragmatisme qui domine. L'enjeu identifié par tous : permettre une bonne articulation entre les différents outils, et ne pas fragiliser les écosystèmes ENT quand ces derniers commencent à trouver leur public. Du côté du ministère, on observe d'ailleurs que, au vu du travail fourni par les ENT pour produire une offre sur-mesure auprès des collectivités françaises, la présence des Gafam sur ce terrain ne devrait pas être à même de causer des inquiétudes.