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Politique de la ville - Quand les entreprises draguent les quartiers

Deux ans après son lancement, la charte Entreprises et Quartiers a été signée par 69 groupes. Mais localement, l'engagement tarde encore à se concrétiser alors que le développement économique est placé au premier plan dans les nouveaux contrats de ville.

Airbus, TF1, Transdev, Paprec, Veolia ou encore Vinci… 69 entreprises ont signé la charte Entreprises et Quartiers dans laquelle elles s'engagent à contribuer au développement économique des quartiers, selon un point d'étape présenté le 12 octobre à la Maison de la RATP, à Paris. Le dispositif avait été lancé en juin 2013 par l'ancien ministre de la Ville, François Lamy, au moment où il réfléchissait à la nouvelle politique de la ville qui se veut davantage tournée vers l'activité économique. "C'est un enjeu de coopération publique-privée autour des piliers économique, urbain et social. Il faut avancer ensemble sur tous ces fronts", a souligné la commissaire général à l'égalité des territoires, Marie-Caroline Bonnet-Galzy.
Les entreprises signataires travaillent avec des associations ou fondations d'entreprises spécialisées comme IMS Entreprendre pour la Cité, le Crepi ou Face, pour mieux cibler les habitants des quartiers de la politique de la ville, en proposant des stages aux collégiens et lycéens, des contrats en alternance, des visites de sites… Présent dans cinq départements, Aéroports de Paris est l'un des premiers signataires de la charte. Ses actions ont bénéficié à 4.285 personnes, a indiqué Patrick Dugard, délégué général partenariats et mécénat du groupe. Au total, 5.200 emplois ont été proposés, a-t-il ajouté, sans préciser combien de recrutements ont réellement eu lieu. Car l'emploi est la priorité de la charte, sachant que le taux de chômage dans les zones urbaines sensibles (ZUS) est 2,5 fois supérieur à l'ensemble de la même agglomération (23,2% contre 9,3% en 2014), comme l'a encore montré le dernier rapport de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus). Chez les jeunes, le taux de chômage atteint même les 42% contre 23% pour le reste de l'agglomération. Non seulement, les "plans banlieues" successifs n'y ont rien changé, mais du fait de la crise, le fossé s'est creusé entre 2008 et 2014. En cause : une moindre qualification. Mais les jeunes mettent aussi en avant leur éloignement du monde de l'entreprise. C'est cet éloignement que la charte cherche à rompre.
Le risque est que certains groupes profitent de l'aubaine pour pratiquer du "social washing" à bon compte et redorer leur image. Un peu à la façon dont le géant de l'agroalimentaire Coca Cola (signataire de la charte) a récemment passé des conventions avec le ministère de la Ville, des Sports et de la Jeunesse… pour promouvoir le sport auprès de la jeunesse !
Mais certains avancent plus ouvertement et ne cachent pas leur propre intérêt. Guy Verrecchia, PDG d'UGC, a ainsi expliqué les deux raisons d'avoir signé la charte : "Nos implantations et nos méthodes de recrutement." "Nos cinémas sont implantés dans les principales métropoles et notamment dans les zones périurbaines", a-t-il rappelé. Et d'ajouter : "Nous souhaitons avoir des collaborateurs qui ressemblent à nos publics."

Outil de géo-référencement

Le ministère de la Ville a développé un outil de géo-référencement qui permet aux entreprises d'évaluer leurs politiques et d'avancer des chiffres ciblés sur les quartiers (nombre de personnes des quartiers embauchées, nombre de stagiaires, d'apprentis…). "90% des entreprises de la charte utilisent cet outil, c'est un vrai indicateur pour les entreprises", s'est félicitée Patricia Charrier-Izel, d'IMS Entreprendre pour la Cité. Ainsi le groupe b2s spécialisé dans les centres d'appel affiche un taux de 49% de ses employés issus des quartiers. Dans le cadre de la charte, l'entreprise a lancé un nouveau dispositif baptisé "congé accompagnement personnalisé" qui permet à un salarié "d'aller voir ailleurs" et de revenir en cas d'échec… Le leader du travail temporaire Adecco - qui s'est engagé à signer 8.000 "CDI intérimaires" (créés en 2014) en trois ans et 10.000 contrats d'alternance sur la même période - attend aussi beaucoup de cet outil. "Il va nous permettre de mesurer notre objectif", a déclaré Johan Titren, directeur Egalité des chances du groupe. "Un peu moins de 25% de nos intérimaires résident dans les quartiers", a-t-il précisé.

Dynamiques locales

Aujourd'hui, alors que les 438 contrats de ville doivent être signés avant la fin de l'année, l'enjeu est de décliner cette charte dans ce qu'on appelle des "dynamiques locales". Les préfectures sont à la manœuvre. En juin, le groupe Auchan a ainsi signé une charte à l'échelle du département du Nord. Mais l'objectif de ces dynamiques locales est de drainer l'ensemble du tissu économique du département tout en s'appuyant sur les conseillers locaux du service public de l'emploi, les missions locales, les collectivités locales, etc. C'est le sens de la charte du Pas-de-Calais signée à Arras, le 11 octobre. La dernière en date. Mais il reste beaucoup à faire. "Ça a mis beaucoup de temps à s'enclencher et ce n'est pas toujours excellent", a reconnu Thierry du Bouetiez, conseiller auprès de la CGET. L'année 2015 a cependant été marquée par une accélération. On compte 33 dynamiques locales couvrant la quasi-totalité des départements les plus urbanisés, réparties sur douze régions et 2 DOM-ROM. De nombreuses PME ont suivi. "On comptabilise 453 signataires locaux… soit beaucoup plus que de signataires nationaux", s'est réjouie Patricia Charrier-Izel, d'IMS Entreprendre pour la Cité.
Si le CGET juge qu'il est encore trop tôt pour mesurer l'efficacité du dispositif, l'outil de géo-référencement permettra bientôt de disposer de données tangibles.