Transports de marchandises - Quand les collectivités se livrent à la logistique urbaine
Comment assurer au mieux les livraisons de marchandises en ville ? La question taraude de plus en plus les collectivités locales et les professionnels à en croire les participants du séminaire "Logistique urbaine, agir ensemble", tenu à Montpellier, vendredi 17 septembre. Chaque agglomération, il est vrai, doit accueillir aujourd’hui près d’une livraison par emploi et par semaine, comme l’a indiqué Jean Thévenon, du Certu (1). Et si ces acheminements comblent les consommateurs, ils n’en sont pas moins lourds en nuisances environnementales : bruit, encombrement, pollution atmosphérique… Globalement, le secteur des transports est ainsi le principal secteur émetteur de CO2 en France, à 36%, comme le rappelle le guide "Logistique urbaine, agir ensemble" (voir encadré ci-dessous). Et le patrimoine lui-même n’est pas épargné : "A La Rochelle, des transporteurs avaient demandé à raser une des deux arcades historiques d’une ruelle pour pouvoir passer", rapporte ainsi Roseline Klein, de l’Ademe, qui organisait le séminaire avec France nature environnement. Ces nuisances avaient conduit dès 1997 le maire Michel Crépeau à rechercher une meilleure organisation des livraisons en ville. La communauté d’agglomération de La Rochelle a finalement créé une plate-forme logistique : Elcidis. "L’idée est d’offrir aux transporteurs un pied-à-terre où ils peuvent déposer leurs marchandises. Nous les réacheminons ensuite en centre-ville", explique la responsable du site, Anne Chané. La plate-forme, exploitée par une filiale de Véolia transports, devrait être financée par ses seuls utilisateurs à partir de 2012.
Amortir les surcoûts
Mais au-delà de ce souci environnemental, la logistique urbaine se travaille aussi d’un point de vue économique. Les transporteurs, bien sûr, doivent pouvoir amortir les éventuels surcoûts de ces réorganisations de l’acheminement. Investir dans des véhicules électriques et peu bruyants, par exemple, peut leur paraître viable si les communes autorisent dès lors les livraisons sur des horaires élargis – comme à Paris par exemple. Hélas, "quand elles se soucient du développement durable, les collectivités locales ont trop souvent tendance à oublier ses aspects économiques et sociaux", souligne Jean Thévenon.
La logistique urbaine peut aussi avoir un impact direct sur le développement économique. "Une grande agglomération avait décidé que ses grandes surfaces du centre-ville ne seraient plus livrées la nuit par semi-remorque mais par camion : cela coûtait 30% plus cher pour livrer, relate Jean Thévenon. Le risque était alors que ces grandes surfaces ferment, au détriment de l’animation du centre-ville." Il faut en somme aborder tous les enjeux de la logistique urbaine "de façon systémique".
Assises juridiques
Il reste que les collectivités locales manquent d’assises juridiques pour intervenir. A Clermont-Ferrand, par exemple, le projet d’une plate-forme est resté lettre morte : la collectivité redoutait de la confier à un transporteur privé et de fausser ainsi la concurrence. De fait, "les maires ne disposent que de leur pouvoir de police pour réglementer le stationnement, les horaires et les tonnages", regrette Régis Savarit, du Syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération clermontoise. En attendant, "afin de tenir compte de la réalité économique des transporteurs, bon nombre de villes devraient retoiletter leurs réglementations existantes et travailler à les harmoniser sur un même territoire", ajoute-t-il. Les élus ont donc de quoi faire pour améliorer la logistique urbaine. En attendant de sensibiliser les particuliers eux-mêmes : en faisant leurs courses, ceux-ci assurent à eux seuls la moitié des transports de marchandises…
Olivier Bonnin
(1) Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions.
Un guide pour renforcer la culture de la logistique
France nature environnement (FNE) et l’Ademe publient un guide intitulé "Logistique urbaine, agir ensemble", un outil d’aide à la décision qui s’adresse aussi bien aux élus qu’aux associations et professionnels. Or le secteur pèse lourd, tant sur le plan économique qu’en termes d’impact sur l’aménagement des villes, la gestion des transports et l’environnement. "L’enjeu est de parvenir à créer une ville accessible aux véhicules, aux piétons et aux chauffeurs-livreurs. Cette évolution touche à l’urbanisme et demande donc une forte volonté politique de la part des élus porteurs du projet", souligne d’emblée ce guide d’une centaine de pages. Il pointe quelques tendances actuelles : succès des livraisons à domicile (lié à la bonne santé du commerce électronique), lourdeur des contraintes pesant sur le secteur dès qu’il concerne le centre-ville, jeu d'équilibriste entre les attentes du secteur privé et celles des acteurs publics, nécessité d’optimiser la gestion du dernier kilomètre et les performances énergétiques des véhicules, etc. Optimiste, le propos l’est puisqu’il est rappelé que les élus ne sont pas démunis de moyens pour agir sur ce secteur d’activité. En activant par exemple les leviers réglementaires à sa disposition - pouvoir de police du maire, prise en compte des marchandises en ville dans les documents d’urbanisme -, l’élu peut agir sur la structuration des flux logistiques, qu’il s’agisse de livraisons en zone urbaine ou d’implantations d’outils ou de zones de fret. Seul hic : les divergences réglementaires "d’une commune à l’autre, y compris au sein d’une même agglomération" ne lui facilitent guère la tâche.
Ce guide intègre par ailleurs une série de recommandations. Objectif : "Faire de la logistique urbaine un véritable chantier de la politique locale" et l’intégrer aux réflexions locales sur l’usage de la voirie. Dans ce sens, les expérimentations et échanges de bonnes pratiques dans ce domaine doivent se multiplier, ce qu’elles peinent bien souvent à faire. Nécessaire aussi, la concertation avec les riverains et les entreprises "peut faire apparaître des projets innovants". Quant à la communication pouvant être faite sur le sujet par les collectivités, elle a tout à gagner à brasser large. "A destination des logisticiens, chargeurs, commerçants, entreprises ou des associations, les collectivités peuvent communiquer sur les réglementations existantes en matière de livraisons, la disponibilité des parcs de stationnement pour les véhicules, les itinéraires de transit, les règles particulières pour certaines catégories de véhicules, etc."
Agir sur le foncier
Dès lors, le travail que cela nécessite mérite la mise en place d’une instance permanente de concertation. Charge alors à elle d’"initier les enquêtes locales portant sur les transports de marchandises, de recueillir les avis relatifs aux réglementations d’urbanisme ou de circulation touchant au transport des marchandises pour assurer en particulier la cohérence entre les réglementations municipales".
En matière d’initiative privée, il faut également favoriser l’entrée de nouveaux acteurs. Mais aussi mieux calibrer les aires de livraison et agir de façon "claire et volontariste" sur le foncier, sans quoi "la mise en place de systèmes de logistique urbaine viables est plus difficile". Mais "à court terme, cette tâche n’est jamais aisée car la compétition entre usages pour une même zone de friche urbaine par exemple est forte : logistique urbaine, mais pourquoi pas zone d’habitations, de bureaux, usine de retraitement de déchets, nouvel équipement, etc. Les projets logistiques ne sont dans ce cas pas toujours favorisés, comme le montrent certains cas d’annulation suite à un changement politique, avec une incidence forte sur les entreprises qui les portaient. Il est crucial dans ce domaine que les élus et les techniciens des services se soient formés sur cet enjeu logistique et que les collectivités n’ayant pas de compétences marchandises en prennent aussi connaissance", ajoute le guide. Enfin, il préconise de développer la prospective dans ce domaine, afin de mieux "anticiper les besoins à l’échéance de 5 à 10 ans". Et de ne pas faire du commerce en centre-ville un tabou. Car "les collectivités souhaitent voir un commerce de proximité dynamique en centre-ville, facteur majeur d’attractivité. Mais elles prennent peu en considération le fait que ces commerces vont nécessairement devoir être livrés, ce qui induit un partage de la voirie et du stationnement avec les habitants".
Morgan Boëdec / Victoires éditions