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Commande publique - Propositions de directives "marchés publics" et "concessions de services" passées au crible par le Sénat français

Les marchés publics jouent un rôle important, voire essentiel dans la performance économique globale de l'Union européenne qui consacre ainsi 18% du PIB en achats de fournitures, travaux et services. Une analyse économique a montré que les directives sur les marchés publics du 31 mars 2004 (2004/17/CE et 2004/18/CE) avaient atteint leurs objectifs quant à la transparence, la concurrence et l'abaissement des prix.
Face aux défis à venir, il a cependant été jugé nécessaire de revoir et de moderniser la législation en vigueur sur les marchés publics: une vaste consultation a d'ailleurs donné lieu à un Livre vert "sur la modernisation de la politique de l'Union européenne en matière de marchés publics" en janvier 2011. Dans un souci pédagogique, le Parlement européen et le Conseil ont adopté trois propositions de directives en décembre 2011.

Refonte complète des marchés publics

Les deux nouvelles propositions de réformes des marchés publics dans les secteurs spéciaux (E6987) et généraux (E6988) visent essentiellement à alléger les contraintes administratives liées à la conduite de la procédure. Plusieurs pistes ont été proposées.
En premier lieu, il s'agira de clarifier le champ d'application de la passation de marchés publics, notamment par la définition des notions clés et par l'abolition de la distinction entre services prioritaires et services non prioritaires, soumis à un régime allégé. De plus, une "boîte à outils" met à disposition différents modèles de procédures (ouverte ou restreinte, concurrentielle avec négociation, dialogue compétitif, partenariat d'innovation) et des techniques adaptées à la passation électronique de marchés publics. La modernisation des procédures passera notamment par la réduction des délais et la révision des motifs d'exclusion.
Deuxièmement, la politique des marchés publics devra être stratégique afin de faire face à de nouveaux défis. Ainsi, il conviendra de cibler les produits et services nécessaires à l'innovation, l'emploi, la santé publique par le biais de clauses sociales et environnementales.
Un troisième point concerne un meilleur accès des petites et moyennes entreprises (PME) aux marchés, par la simplification des obligations d'information (passeport européen marchés publics). L'allotissement obligatoire et le paiement direct des sous-traitants seront aussi améliorés.
Face aux intérêts financiers en jeu et à l'interaction étroite entre les secteurs public et privé, des procédures plus concrètes devront êtres mises en place pour éviter les conflits d'intérêt, le favoritisme et la corruption… La création d'un organe unique de contrôle est prévue pour lutter contre la fraude et les conflits d'intérêts. Les organes nationaux de contrôle devront alors coopérer avec l'instance européenne. Par la même, la définition de conflits d'intérêts est précisée et concerne les situations dans lesquelles toutes les personnes impliquées dans la passation d'un marché public qui "ont un intérêt privé direct ou indirect dans le résultat de la procédure de passation de marché qui peut être perçu comme portant atteinte à l'exercice impartial de leurs fonctions".

Uniformisation européenne en matière de concessions de services

Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont également élaboré une proposition de directive portant sur "l’attribution des contrats de concession" (E6989). Elle définit les concessions comme "des contrats à titre onéreux conclus entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices, dont l’objet est l’acquisition de travaux ou services et où la contrepartie est habituellement le droit d’exploiter les travaux ou services qui font l’objet du contrat", ce qui en droit français équivaudrait à une délégation de service public.
Les opérateurs économiques sont confrontés à des conditions de concurrence inéquitables » dû "à l’absence au niveau de l’Union, de règles claires régissant l’attribution de contrats de concession" ce qui a pour effet de provoquer des distorsions dans le fonctionnement du marché intérieur notamment au préjudice des PME.
Partant de ce constat, la proposition prévoit une coordination minimale des procédures nationales d’attribution concernant les contrats de concession. Elle propose également d’étendre à ces contrats de services, l'obligation de publication à partir d'un seuil de 5 000 000 d’euros HT, comme c'est déjà le cas pour les contrats de concession de travaux publics.
Obligation est faite aux Etats membres d’établir des critères objectifs liés à l’objet de la concession, de façon à assurer le principe de transparence et d'empêcher l’arbitraire des entités et pouvoirs adjudicateurs. Il faudra que le risque économique existe pour le concessionnaire.

Scepticisme des sénateurs

A la suite de ces propositions, la Commission des affaires européennes du Sénat a proposé le 16 février 2012 une résolution européenne (n°381) sous la direction du sénateur Bernard Piras.
Dans une perspective de réforme, le Sénat tient avant tout à synthétiser ses priorités autour de deux axes: "la simplification des procédures et la liberté des autorités adjudicatrices".
S'il reconnait la clarté de la proposition des directives "marchés publics" et une réelle simplification des procédures, il déplore le fait que la négociation n'ait pas été plus généralisée. Il s'oppose à une définition statique des coopérations public-public, contraire à leur constante mutation. Enfin, les sénateurs critiquent la réglementation en matière de lutte contre les fraudes et les conflits d'intérêt dont la définition donnée apparait comme extrêmement large. Ils estiment que la capacité de l'autorité délégante à négocier est modifiée "d'une part, par l'encadrement formaliste et disproportionnée de la phase de négociation et, d'autre part, par l'obligation de pondération des critères d'attribution". Ils s'étonnent enfin, du caractère hybride que pourrait avoir l'organe de contrôle.
Concernant la proposition de directive "concession de services", la Commission des affaires européennes du Sénat refuse un surplus de réglementation en la matière alors même que la loi Sapin du 29 janvier 1993 qui définit la délégation de service public a été parfaitement intégrée en droit français. Elle estime en outre, que le seuil des 5 000 000 d’euros HT est encore trop bas compte tenu de la nature des concessions. Plus que tout, le Sénat ne voit pas l'intérêt d'une telle législation dans la mesure où elle ne ferait que reprendre celle des marchés publics et n'offrirait aucune spécificité au régime de la concession de services.

Une exigence nationale concernant le conflit d'intérêts

Le point de vue national ne s'arrête pas là puisque le rapport de la Commission des lois du Sénat a été mis en ligne le 6 mars 2012 (n°465). Son rapporteur Gaëtan Gorce souligne "le lourd impact" des dispositions européennes et reprend, globalement, les remarques formulées par la Commission des affaires européennes: l'ancrage de la définition de coopération public-public, "la faible ouverture à la procédure négociée", le bienfait d'un encadrement minimaliste de la délégation de service public, un seuil excessivement bas pour les concessions de services, le bouleversement de la loi Sapin.
La Commission des lois a été spécialement consultée afin de rendre une expertise concernant les conflits d'intérêts. Sur cet aspect, le rapport souligne qu'en droit interne, un contrôle de légalité des actes de la commande publique existe déjà. Il prône une définition objective et claire en refusant d'élargir le champ d'application de l'infraction aux conflits d'intérêts simplement apparents ou indirects. Cependant, ce dispositif viendrait s'ajouter aux incriminations pénales déjà en vigueur, ce qui nuirait à l'intelligibilité du droit. De plus, il serait superfétatoire d'introduire un nouvel organe institutionnel chargé de lutter contre la fraude. A ce titre, la Commission des lois du Sénat souhaite clarifier la notion avec "un amendement tendant à obtenir que les conflits d'intérêts soient définis d'une façon objective, claire et proportionnée".

Références:
Directive n° E6987 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux;
Directive n° E6988 sur la passation des marchés publics; Directive n° E6989 sur l'attribution des contrats de concession;  passeport européen marchés publics