Projet de loi simplification : plusieurs instances sauvées en séance... mais pas toutes
Interrompu le 11 avril au soir, l'examen en séance du projet de loi Simplification de la vie économique reprendra le 29 avril. Retour sur les premiers articles votés et donc sur les instances supprimées en commission spéciale mais sauvées en séance (les Ceser, le Conseil national de la montagne...) et sur les suppressions en revanche confirmées ou ajoutées (Afitf, ONPV...).

© Capture vidéo Assemblée nationale/ Pierre Meurin et Benjamin Lucas-Lundy
Les députés ont interrompu vendredi 11 avril au soir leurs travaux sur le projet de loi Simplification de la vie économique, qui reprendront après deux semaines de suspension, avec de nombreux amendements et sujets de frictions au programme. Les quelques séances hachées de la semaine, souvent émaillées d'invectives et de rappels au règlement, laissent en effet augurer une reprise difficile le 29 avril, avec un millier d'amendements encore au menu et des sujets abrasifs comme la suppression des zones à faibles émissions (ZFE) qui restent à étudier.
Le député RN Pierre Meurin a demandé au gouvernement s'il "s'engage(ait)" à ce que le texte aille à son terme "avant l'été". Quand l'écologiste Benjamin Lucas-Lundy lui a suggéré d'y renoncer. "Je prends l'engagement que nous allons aller au bout", a lancé le ministre en charge de la simplification, Laurent Marcangeli.
Les députés n'ont examiné que les trois premiers articles de ce texte qui en compte trente. C'est l'article 1er qui prévoyait, après son passage en commission spéciale, la suppression de dizaines de comités. Une vingtaine de suppressions ont été confirmées dans l'hémicycle, d'autres instances ayant a contrario été rétablies.
Les députés ont gravé dans le texte un amendement du gouvernement prévoyant que "les commissions et instances consultatives ou délibératives" placées auprès de Matignon ou des ministres ne soient créées que "pour une durée de trois ans".
Autre disposition transversale adoptée en séance : un amendement signé Guillaume Kasbarian, l'ancien Monsieur Simplification du gouvernement Barnier, qui conditionne chaque création de commission et instance consultative ou délibérative à la suppression de deux autres.
L'Assemblée a en outre adopté un autre article central qui prévoit une série de mesures éclectiques à destination des entreprises et exploitants. Elles vont de la suppression du pouvoir des maires de fixer les dates des vendanges à la simplification de procédures pour les soldes et liquidations commerciales, pour fabriquer et vendre des boissons alcoolisées ou encore créer des groupements d'employeurs. Il prévoit également la suppression de l'obligation de mener certaines études préalables à la construction de logements, notamment concernant l'approvisionnement en énergie. À chaque fois ou presque, la gauche et les écologistes ont dénoncé des évolutions potentiellement dangereuses, quand le ministre a défendu des suppressions de procédures superfétatoires ou dont les coûts pour les entreprises étaient indus.
À l'initiative du gouvernement et de députés macronistes, socialistes et communistes, l'Assemblée a en revanche rétabli le calendrier imposant aux entreprises d'émettre des factures électroniques : 1er septembre 2026 pour les grandes entreprises et celles intermédiaires, 1er septembre 2027 pour les TPE et PME. En commission, les députés avaient décalé ce calendrier d'un an. La mesure "permettra à terme de préremplir les déclarations de TVA" pour "beaucoup moins de tracasseries bureaucratiques" et "beaucoup moins de fraude également à la TVA", avec un "gain attendu à l'horizon 2028 de 3 milliards d'euros", a défendu Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics.
Retour sur les instances supprimées en commission spéciale mais sauvées en séance - le plus souvent par plusieurs amendements émanant de bords différents –, sachant que ces suppressions programmées avaient fait largement réagir… mais aussi sur les suppressions confirmées ou ajoutées. Une liste laissant apparaître une large dominante : le champ de l'environnement.
Les Ceser. Fallait-il vraiment supprimer les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser) comme en avait décidé la commission spéciale ? De nombreux acteurs s'en étaient émus. À l'instar de nombreux présidents de région ou encore de la fédération des PME (voir notre article). Pas moins de douze amendements sont venus à leur rescousse et ont été adoptés. Parmi eux par exemple, celui de l'ancien ministre de l'Agriculture Stéphane Travers estimant que la suppression des Ceser "porterait atteinte à l’équilibre du dialogue démocratique dans les territoires".
Conseil national de la montagne. Ce fut l'une des autres victimes de la vague de suppressions envisagée en commission spéciale. Là encore, les réactions n'avaient pas manqué. Y compris de la part du gouvernement qui avait réaffirmé son soutien au CNM. Ou encore de la part de l'Association nationale des élus de la montagne (Anem) – voir notre article. Et là encore, kyrielle d'amendements en séance. Dont un du gouvernement qui rappelle les missions confiées au CNM et le fait qu'"en l’absence de budget spécifique et de personnel mis à disposition, cette instance ne donne lieu à aucune dépense publique". Le CNM n'est en principe plus en danger.
Financement des infrastructures de transport : confirmation de la suppression de l’Afitf. En commission spéciale, les députés avaient décidé de supprimer l’Agence de financement des infrastructures de France (Afitf), en s’appuyant sur les arguments de la Cour des comptes qui considérait encore l'an dernier qu’elle n’était qu’une simple caisse de financement permettant de contourner la législation budgétaire. "Ce n’est pas une simple 'caisse de financement' hors budget, mais bien un mode de financement des projets qui assure une plus grande agilité et de la transparence dans les choix qui sont faits en matière de financement des infrastructures de transports", a plaidé le gouvernement en séance en défendant en vain un amendement pour rétablir l’Agence. Les députés ont finalement confirmé sa suppression en prévoyant que celle-ci ne prenne effet qu’à compter du 1er janvier 2026, une fois le projet de loi de finances adopté. Il s’agit de laisser le temps nécessaire à la création d’un programme spécifique, lors des discussions budgétaires, pour permettre une meilleure traçabilité des crédits transports, ont-ils mis en avant.
Rétablissement du Conseil supérieur de la forêt et du bois. Plusieurs amendements émanant aussi bien des rangs de la gauche, des écologistes, du groupe Les Démocrates que de députés EPR ou Horizons ont été adoptés pour rétablir le Conseil supérieur de la forêt et du bois, principale instance nationale de concertation en matière de politiques forestières - il rassemble des administrations, des collectivités territoriales, des propriétaires forestiers, des organisations de producteurs, des gestionnaires forestiers professionnels, des experts forestiers et d’autres parties prenantes. Aucune autre instance, ni l’ONF — qui n’a compétence que sur les forêts publiques — ni les commissions locales forestières, dont le champ d’action est limité au niveau territorial, ne peuvent s’y substituer, ont notamment plaidé les députés favorables à sa sauvegarde.
Sauvetage de l’Ifrecor. Les députés sont revenus sur la suppression, votée en commission, de l’Initiative française pour les récifs coralliens (Ifrecor), en adoptant plusieurs amendements défendus notamment par les groupes écologiste, socialiste et LFI et par l’ancien secrétaire d’État à la Mer Hervé Berville (EPR), selon qui, "à trois mois de la conférence des Nations unies sur les océans qui se tiendra à Nice, la suppression de l’Ifrecor env[errait] un signal très dommageable pour l’affichage des ambitions françaises en faveur des océans".
Suppression du Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique. Les députés ont décidé de supprimer le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE), chargé de conseiller les pouvoirs publics sur les questions relatives à la construction et l’adaptation des règles relatives à la construction aux objectifs de développement durable. Le CSCEE n’a pas effectué de propositions depuis 2020 et n’a émis aucun avis en 2024, ont argué les partisans de sa suppression qui considèrent que l’Agence nationale de l’habitat (Anah) dispose de l’expertise nécessaire pour conseiller le gouvernement sur ces sujets.
Coup d’arrêt à la fusion des commissions départementales de la nature, des paysages et des sites avec les commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Alors que les commissions départementales de la nature, des paysages et des sites (CDNPS), dont l’objet est de "concourir à la protection de la nature, à la préservation des paysages, des sites et du cadre de vie et contribue à une gestion équilibrée des ressources naturelles et de l’espace dans un souci de développement durable" comprennent des personnalités qualifiées en matière de sciences de la nature ou de protection des sites ou du cadre de vie, les commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) sont un des outils de la stratégie de lutte contre l’artificialisation des terres agricoles où siègent des représentants de l'État, des collectivités territoriales et de leurs groupements, des professions agricole et forestière, des chambres d'agriculture et des organismes nationaux à vocation agricole et rurale, des propriétaires fonciers, des notaires, des associations agréées de protection de l'environnement et des fédérations départementales ou interdépartementales des chasseurs. Le rapprochement de ces deux instances ne va pas de soi et risque de porter préjudice, dans les faits, à la protection des paysages et des sites dans leurs dimensions environnementales et culturelles, ont fait valoir les députés du groupe GDR qui ont obtenu l’abandon du projet de fusion.
Observatoire national de la politique de la ville. Sept amendements émanant de la gauche, du centre et des écologistes ont plaidé pour le maintien de l'ONPV en tant qu'instance ayant une "activité constante et nourrie d’évaluation des politiques publiques dans les quartiers prioritaires de la politique de la Ville et d’appui aux décideurs sur les politiques particulières qui sont mises en oeuvre dans ces territoires". "L’observatoire a publié pas moins de 11 rapports, études et dossiers thématiques en 2024, très loin de l’inactivité opposée à certains comités Théodule" et "parce qu’il s’intéresse à des territoires très particuliers, l’ONPV dispose d’une expertise qui n’est pas soluble dans d’autres entités plus habituées aux territoires ruraux" et qui est utile aux élus locaux, ont argué ses défenseurs. En vain. À quatre voix près. Les échanges en séance ont été vifs. "Parce que nous voudrions supprimer un observatoire sur la politique de la ville, nous n’aimerions pas la politique de la ville", a par exemple rétorqué Guillaume Kasbarian à ceux qui, en substance, faisaient valoir que ce n'est pas en cassant le thermomètre qu'on fait tomber la fièvre. "Sa suppression va invisibiliser plus encore ces quartiers qui n’ont de prioritaires que le nom. Peut-être était-ce l’objectif ? Ce sera en tout la conséquence", a par exemple réagi l'universitaire Renaud Epstein sur Bluesky.
Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge. La commission spéciale avait décidé de se passer des travaux du HCFEA. En séance, le gouvernement a défendu un amendement pour préserver cet "organisme au champ d’intervention très large, qui va de l’enfance au grand âge. Il a récemment produit des rapports sur des sujets comme l'autonomie, la place des enfants dans les espaces publics et la restauration en crèches" et dont les travaux "sont des outils d’aide à la décision publique". Adopté, cet amendement en profite pour opérer un toilettage dans le champ de l'enfance : faire en sorte que le secrétariat général du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) et du Conseil national de l’adoption (CNA), qui était intégré depuis 2022 au GIP France protégée, soit dorénavant rattaché au HCFEA. "Après deux années d’exercice, l’intégration du secrétariat général du CNPE et du CNA au sein du GIP FEP n’a pas démontré que les synergies attendues étaient au rendez-vous", a en effet estimé le gouvernement.
Commission supérieure du numérique et des postes. Plusieurs amendements sont venus à la rescousse de la CSNP, dont la suppression votée en commission (voir notre article du 4 avril) "priverait le Parlement d'un éclairage indépendant et expert" complémentaire de l'action de l'Arcep et du CNNum. "En 2024, la CSNP s'est réunie plus de 100 fois et a produit 9 avis, démontrant son engagement actif", ont fait valoir avec succès des députés.
Culture, éducation, jeunesse. Plusieurs instances dans ces domaines ne devraient pas survivre à ce texte de loi.
Ainsi en est-il du Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle qui, jugé inactif depuis 2021, avait été supprimé en commission et n'a pas été repêché en séance. Même sort pour la Conférence de prévention étudiante dont la mission en matière de santé a été considérée comme redondante par rapport à celle des services universitaires.
Et des suppressions supplémentaires ont été introduites en séance. Dont celle de la Commission de labellisation du label diversité, label pouvant être décerné aux employeurs. Ou encore celle du Conseil national des œuvres dans l'espace public dans le domaine des arts plastiques créé en 2016 et placé auprès du ministère de la Culture (voir notre article de 2016)... et largement mentionné dans le récent guide visant à relancer le 1% artistique (voir notre article de janvier).