Financement des infrastructures de transport : Afit France à la lanterne ?
Ce 25 mars, un colloque était organisé à l'hôtel de Roquelaure, à Paris, pour célébrer les 20 ans de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France), avec pour thème un sujet ô combien d'actualité : "Inventer et financer les mobilités". Les échanges furent néanmoins quelque peu parasités par la décision, prise la nuit précédente à l'Assemblée nationale, de couper la tête de cette agence.

© F.Fortin/ Colloque Afit France le 25 mars
Un cercueil en guise de cadeau d’anniversaire. Telle fut l’épreuve infligée ce 25 mars à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France ou Afitf, son ancien acronyme), dont on est désormais certain qu’elle est maudite, comme le diagnostiquait l’un de ses anciens présidents, Christophe Béchu (lire notre article). Le matin même de la célébration de son 20e printemps, lors d’un colloque organisé pour l’occasion à l’hôtel de Roquelaure, à Paris, l’Agence, qui ces derniers temps a souvent pris les traits du cavalier sans tête (lire notre article), apprenait en effet qu'elle avait été guillotinée dans la nuit au Palais Bourbon. Le couperet, pas encore définitif, prend la forme d’un amendement au projet de loi de simplification de la vie économique (adopté à l’automne au Sénat – lire notre article), voté par une commission spéciale en passe de se muer en "commission de la hache". Loin de se limiter à l'Afit France, les députés ont en effet supprimé de nombreuses autres instances telles que la CNDASPE (Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement), le Conseil supérieur de la forêt et du bois, le Comité national de l’initiative française pour les récifs coralliens, la Commission nationale d’évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, l’Observatoire des espaces naturels, agricoles et forestiers, ou encore les Ceser (conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux).
Afit France, remède à un État défaillant
"Une idée saugrenue", s'insurge Philippe Duron, autre ancien président d'Afit France, qui estime que les bourreaux ne devaient guère maîtriser le sujet pour prendre pareille décision. Experts ou non, ces derniers s’appuient sur les travaux de la Cour des comptes – laquelle a, à deux reprises, recommandé de supprimer l'agence, la dernière fois il y a un an tout juste (voir notre article du 13 mars 2024) –, en visant une structure "étroitement subordonnée à l’administration centrale […], simple caisse de financement qui lui permet de contourner la législation budgétaire". Un dernier argument nullement contesté, mais tout au contraire revendiqué par les défenseurs de l'agence.
"L'Afitf est issue du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire de 2003 précisément pour dépasser le principe d'annualité budgétaire", a rappelé le ministre chargé des transports, Philippe Tabarot, profitant de la tribune pour réaffirmer "son attachement à cette structure", dont il a été membre du conseil d'administration et "dont il a besoin en tant que ministre", notamment pour "sa capacité de planification". "Si on a créé l'Afitf, c'est parce que nous avons parfois au sein de l'État oublié les outils du temps long", renchérit le nouveau Haut-commissaire au plan, Clément Beaune, venu conclure les travaux, non sans plaider par là même pour sa nouvelle paroisse (lire notre article). Et l'ancien ministre chargé des transports de dénoncer "le manque de capacité de l'État à planifier et à tenir ses engagements", prenant pour preuve l'exemple des "routes nationales mal entretenues, du fait de la gestion annuelle des crédits".
Autre argument des députés balayé d'un revers de main par Christophe Béchu, "présent à distance", celle du coût du fonctionnement, de 795.000 euros, des cinq équivalents temps plein composant l'agence. L'ancien maître des lieux vante au contraire "un modèle imbattable en matière de rigueur budgétaire, avec plus de 99,9% de financements", en rapportant ainsi le coût de fonctionnement aux financements accordés par l'agence (4,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 4,3 milliards d'euros en crédits de paiement en 2024). Et lui aussi de souligner que l'Afitf a précisément pour fin de répondre à "l'injonction contradictoire de la règle du consentement annuel à l'impôt et de la nécessité d'investissements de long terme".
Inventer et financer les mobilités
Des investissements pourtant plus que jamais nécessaires, souligne-t-on. Franck Leroy, actuel président de l'agence, rapporte ainsi "n'avoir jamais perçu jusqu'ici une demande aussi importante côté mobilités", en particulier "dans les territoires ruraux, où on demande de la santé et de la mobilité". "Inventer et financer les mobilités, regards et perspectives sur 20 ans d’action publique", tel était d'ailleurs le programme du colloque. "Inventer les financements des mobilités" aurait peut-être été préférable, alors qu'est attendue avec impatience la tenue de la conférence de financements "Ambition France Transports", dont la présidence vient d'être confiée à Dominique Bussereau (lire notre article). "Un moment de réflexion stratégique", prévient Philippe Tabarot, qui précise que cette conférence devra aborder les questions de la desserte des Serm (Services express régionaux métropolitains) ; des mobilités routières, et notamment autoroutières, avec la fin prochaine des concessions ; du transport ferroviaire de voyageurs, avec la "régénération du réseau pour éviter une dette grise mortifère" ; et du transport de marchandises. Le tout avec "une restitution d'ici la fin de l'été".
Pas de révélation
L'inventivité fut toutefois assez limitée au cours d'échanges où ont souvent été empruntés quelques passages désormais bien balisés, parmi lesquels :
- traiter les "mobilités" plutôt que les "transports", autrement dit "partir de la demande plutôt que céder aux charmes de l'infrastructure", décrypte David Valence, président du Comité d'orientation des infrastructures. Lequel pointe néanmoins "le risque qu'on oublie le rôle d'unité territoriale, de solidarité que jouent les transports" avec ce "changement sémantique" ;
- privilégier la régénération plutôt que de "céder à la passion française de la nouvelle infrastructure", dénoncée par Clément Beaune, en soulignant notamment que le réseau ferroviaire français est "le plus vieux d'Europe et continue à vieillir" ;
- préférer "l'arbitrage au saupoudrage", nécessité réaffirmée par Sophie Mougard, inspectrice générale à l'Igedd (Inspection générale de l'environnement et du développement durable).
Cette dernière a par ailleurs – un peu – levé le voile sur le rapport sur le financement des autorités organisatrices des mobilités, dans la perspective des Serm, confié au duo Inspection générale des finances (IGF)-Igedd et qui doit alimenter la conférence Ambition France Transports. Sans faire de grande révélation : le "changement de paradigme" induit par la lutte contre le changement climatique, avec la perte des ressources finançant aujourd'hui Afit France (dont près de 40% des recettes provenaient en 2024 de la fraction d'accises sur les carburants), la nécessaire prise en compte de l'adaptation au changement climatique, "pas encore chiffré", et de l'augmentation des sinistres qui va en découler, ou encore l'importance de faire contribuer davantage les usagers sont désormais bien appréhendés.
Comme l'est la fin des concessions autoroutières, qui aiguise par ailleurs toujours autant les appétits. En la matière, si le maintien des péages semble faire consensus, Philippe Duron prévient que leurs fruits seront moins importants que par le passé. Sans compter qu'une partie substantielle des recettes de l'agence provient déjà des sociétés concessionnaires, que ce soit via la taxe d'aménagement du territoire (laquelle représentaient 13,4% des recettes d'Afit France en 2024), la taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance (13,1%) ou encore la contribution volontaire exceptionnelle de sept d'entre elles (4,5%). Mais "qui sait aujourd'hui que les péages financent déjà autre chose que la route ?", interroge David Valence.
Poil à gratter
Directeur général de France Logistique, Maxime Forest troubla parfois le consensus ambiant. Par exemple en soulignant que, pour les marchandises, "le transport routier restera très important" et que le facteur clé de succès de sa décarbonation réside dans la disponibilité des infrastructures de recharge – "toujours des infrastructures", grince-t-il. Ou en jugeant que l'objectif de "non-artificialisation des sols peut entraîner une décarbonation moins rapide", en rallongeant les distances alors que "les chaînes logistiques doivent être les plus courtes possibles". Ou encore en agitant le "risque de délocalisation" d'un secteur logistique "très concurrentiel", d'autant plus préjudiciable selon lui que ce dernier "participe à la résilience d'un pays".
Un rôle de poil à gratter parfois également tenu par Philippe Duron. Ainsi lorsqu'il invite à "challenger SNCF Réseaux", évoquant la possibilité "de confier un secteur du ferroviaire à un groupement privé, pour avoir plus d'efficacité". Ou lorsqu'il plaide pour réhabiliter les partenariats public-privé : "On a aujourd'hui plutôt une mauvaise opinion de ces modes de financement. Ils sont pourtant très efficaces", argue-t-il. Vu le contexte budgétaire, qui ne nous permet pas "comme l'Allemagne, de se donner un peu de liberté", pour lui pas de doute : il faudra mobiliser davantage l'argent privé. "L'Union européenne nous y pousse beaucoup", observe-t-il.