Financement de la route : si l’ancien monde disparaît, le nouveau peine à prendre forme
Organisées par Départements de France ce 22 janvier, les "Assises de la route" ont acté la fin prochaine d’un modèle de financement à la fois exsangue et injuste. Pour les intervenants, le nouveau dispositif devra s’articuler autour d’un principe clef : "la mobilité paie la mobilité". Mais si les mots arrivent aisément, le concept mérite encore beaucoup d’éclaircissements.
Initialement prévues en juin dernier, mais reportées pour cause de dissolution de l'Assemblée nationale, les premières "Assises de la route " organisées par Départements de France se sont tenues ce 22 janvier à Paris. L’objectif : refonder le modèle de financement de la route. Une nécessité, alors que "la route est à la croisée des chemins", observe Pascal Berteaud, directeur général du Cerema. Et au beau milieu d’un effet ciseau que les finances des départements ne connaissent que trop (voir notre article de ce jour).
Effet ciseau
D’un côté, "la totalité des recettes actuelles vont disparaître d’ici 2050", rappelle Rodolphe Gintz, à la tête de la Direction général des infrastructures, des transports et des mobilités (DGTIM). La TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) en tête : "Un risque et une chance", estime François Durovray, président du conseil départemental de l’Essonne et ancien ministre délégué chargé des Transports du gouvernement Barnier. Comme l’est aussi la fin prochaine des actuelles concessions autoroutières.
De l’autre, les sources de dépenses vont en se multipliant. D’abord, le patrimoine — "le premier patrimoine des Français, on ne le souligne pas assez", pointe de nouveau François Durovray — vieillit dangereusement. Il doit en outre s’adapter au changement climatique, qui le met durement à l’épreuve. Il doit encore se moderniser, que ce soit pour contribuer à l’atténuation de ce dernier, notamment en faisant davantage de place aux "mobilités douces" ou aux transports en commun, ou pour renforcer les interactions avec des véhicules désormais "hyperconnectés", tendance mise en lumière par Marc Mortureux , directeur général de la Plate-forme française de l’automobile. Bref, les besoins sont immenses. Et urgents. Pascal Berteaud met en exergue "le coût de l’inaction : 1 euro non investi aujourd’hui, c’est entre 6 à 8 euros dans 30 ans". Président de Départements de France, François Sauvadet attire en outre l’attention sur le risque d’une "perte de compétences". "La filière routière peine à recruter, surtout dans le domaine des ouvrages d’art", note Départements de France. En l’espèce, François Durovray invite même à tracer "la parallèle avec la filière nucléaire".
Système injuste
Un système à bout de souffle, donc, mais aussi "profondément injuste", déplore François Sauvadet. Il souligne que "ceux qui entretiennent 1% du réseau — l’Etat, les régions, le sociétés d’autoroutes — captent la quasi-totalité des revenus de la route". D’autant plus injuste que les départements, eux, ne déméritent pas : "Ils ont fait un effort colossal. Je suis un peu jaloux. J’aimerais avoir le même bilan", félicite ainsi Rodolphe Gintz. Ils semblent néanmoins arrivés au bout du chemin. François Sauvadet observe qu’"en dépit de l’intérêt du pays", ses collègues ont majoritairement renoncé à reprendre une part du réseau national, "faute d’un transfert loyal". Départements de France précise que 14 départements ont repris seulement 900 km de routes environ, sur un total possible de 10.000 km. Plus encore, leur situation budgétaire désormais critique ne leur permet plus de poursuivre l’effort, alerte-t-on. "L’entretien est toujours la variable d’ajustement dans les budgets", concède Pascal Berteaud. Et celui d’un pont passe toujours "après la rénovation d’une école ou l’installation de médecins", admet Sylvain Laval, co-président de la commission Mobilités de l’Association des maires de France. De manière générale, la tendance n’est pas nouvelle. "La France est tristement passée de la première à la 18e place mondiale en termes d’état des routes", enseigne François Durovray. Outre qu’une dette publique abyssale n’aide pas, la route n’avait il est vrai ces derniers temps pas bonne presse. "Le Grenelle de l’environnement a accrédité l’idée que la route, c’est du passé", remarque Pascal Berteaud. Mais les choses semblent évoluer.
Incontournable route
"En réalité, la route, c’est très moderne", vante l’expert. L’idée a encore du mal à faire son chemin : "La route est toujours trop considérée comme un objet qui n’est pas concerné par la transition écologique, alors que son rôle dans cette dernière est majeur", tempère Géraud Guibert, président de La Fabrique écologique et secrétaire général de l’Alliance pour la décarbonation de la route. Mais elle gagne du terrain : "Les Serm (services express régionaux métropolitains) insistent sur la route", remarque l’économiste Yves Crozet.
Un constat s’est imposé : qu’on le veuille ou non, la route reste incontournable. "C’est la route qui permet à l’infirmière de soigner ses patients, aux transports scolaires d’emmener les enfants à l’école", met en exergue le nouveau ministre des transports, Philippe Tabarot. Il rappelle qu’elle représente "85% des déplacements des personnes et 89% des marchandises". "Et encore, 85%, c’est une moyenne. Cela peut-être beaucoup plus dans des territoires où la route est bien souvent le seul mode de transport disponible", renchérit Jean-Pierre Paseri, président de Routes de France.
"La voiture a gagné la partie", conclut Yves Crozet. Définitivement, à l’en croire. "On ne peut pas financer le report modal car cela coûte dix fois plus cher que la route. Les dépenses envisagées ne sont pas tenables. Le mur de financement, on va le prendre de face", développe-t-il. Raison pour laquelle "l’usage de la route ne doit plus être gratuit". D’autant que "la gratuité n’existe pas", relève François Sauvadet.
Que la mobilité paie la mobilité
L’objectif est clairement fixé : "Que la mobilité paie la mobilité". François Durovray livre la marche à suivre : "Ne pas aller à la recherche de recettes farfelues, mais se caler sur deux tiers de recettes bien identifiées et acceptables". Il évoque l’ETS 2 — le nouveau marché carbone couvrant notamment, à compter de 2027, les émissions du secteur routier —, l’écotaxe et les recettes générées par les autoroutes. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Pour Yves Crozet, "l’affectation est fondamentale". Il y voit une "condition de l’acceptabilité" par les citoyens. Relevant que "la moitié du budget de l’Etat est affecté", le principe d’universalité budgétaire ne lui paraît pas être un obstacle insurmontable. En revanche, François Durovray attire l’attention sur le fait que "l’Union européenne n’acceptera pas qu’une recette issue d’une part du réseau finance une part plus large du réseau". Ainsi, si Yves Crozet estime qu’ "il faut absolument éviter la levée des barrières", il concède "qu’on ne pourra pas tarifer n’importe comment". Pour les mêmes raisons, il s’interroge également sur la possibilité de maintenir la taxe sur l’aménagement du territoire.
De même, l’ETS est tout sauf une panacée. Ses futures recettes — il doit entrer en vigueur en 2027, année d’élection présidentielle en France… — aiguisent bien des convoitises. Rappelons qu’il doit déjà alimenter le fonds social pour le climat et contribuer au remboursement du plan de relance de l’Union européenne, NextGenerationEU. Pour Alain Grizaud, président de la Fédération nationale des travaux publics, il ne répond pas non plus, à terme, aux besoins : "Les infrastructures se conçoivent sur un temps long. Il nous faut donc un modèle de financement pérenne. On parle d’ETS, mais l’objectif est bien de ne plus avoir de carbone à terme", observe-t-il.
Rationaliser ?
Si, pour Rodolphe Gintz, "il faut refonder le modèle en se projetant sur les besoins et les recettes", il faudra aussi se pencher sur le volet dépenses. Alain Grizaud juge ainsi qu’il y a "trop d’autorités organisatrices des mobilités" et qu’il faut "les rationaliser". Une "multiplication des gestionnaires" également relevée par le Président de l’Institut des routes, des rues et des infrastructures pour la mobilité (Iddrim) et du conseil départemental de l’Allier, Claude Riboulet. Et par Sylvain Laval, qui déplore "un saucissonnage des axes". "Avec la loi 3DS, on a plus complexifié que simplifié", regrette-t-il. Si tous deux soulignent l’impossibilité concrète de "fermer des routes", le premier concède pour autant "qu’on ne pourra pas tout faire partout, en même temps". Et le second estime que si les interventions seront plus lourdes, elles seront moins nombreuses. Concrètement, tous deux relèvent que "la limitation des tonnages" semble inévitable, en dépit de ses conséquences sur l’économie. "Pour gagner à Simcity, il faut construire des routes", rappelle pourtant Rodolphe Gintz. Et le meilleur des cœurs n’est rien sans artères.
› Conférence sur le financements des mobilités "avant l’été"Confirmée par Philippe Tabarot, qui souligne qu’elle a reçu l’onction du Premier ministre dans la déclaration de politique générale de ce dernier, la conférence sur le financement des mobilités devrait se tenir "en avril ou mai", a indiqué la DGTIM lors des assises. Initialement annoncée par François Durovray, alors ministre, en octobre dernier, elle était prévue "de février à juin" avant le dernier changement de gouvernement. |