Projet de loi simplification : ce que les collectivités doivent retenir du passage au Sénat
Suspendu de longs mois par la dissolution de l'Assemblée, le projet de loi de simplification de la vie économique a réussi son passage au Sénat qui a voté le texte, mardi 22 octobre, avec de nombreux amendements à la clé dans le champ des collectivités. Le ministre de la Fonction publique, de la Simplification et de la Transformation de l'action publique, Guillaume Kasbarian, reprend le texte à son compte et promet son examen à l'Assemblée "au plus tard au début de l'année prochaine".
Promesse de "débureaucratisation" tous azimuts de l'ancien gouvernement et de son ministre de l'Économie Bruno Le Maire, le projet de loi de simplification de la vie économique a franchi la première étape, avec quelques mois de retard. Le Sénat a en effet voté le texte, mardi 22 octobre (avec 232 voix contre 103), après l'avoir examiné fin mai-début juin. Un parcours suspendu de longs mois par l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale.
Censé alléger la charge administrative des entreprises, le projet de loi qui s'inscrit dans la lignée de la loi Industrie verte (voir notre article du 24 octobre 2023) épouse en réalité un champ beaucoup plus large qui touche les compétences des collectivités : nouveaux assouplissements aux procédures concernant les grands projets industriels, les datacenters, l'éolien en mer, accès à la commande publique, commerce, numérique… "Un fourre-tout de mesures qui arrangent les grands groupes", a dénoncé la sénatrice écologiste Raymonde Poncet-Monge (Rhône) en séance publique. Mais la majorité sénatoriale, qui soutient le nouveau gouvernement, a approuvé ce "choc de simplification" qui se traduit notamment dans une mesure phare : le "test PME", issu d'une proposition de loi du président de la délégation aux entreprises, Olivier Rietmann, adoptée par le Sénat au mois de mars. En revanche, ils ont rayé d'un trait la simplification du bulletin de paie pourtant brandie comme une mesure importante par l'ancien exécutif.
Le chantier est désormais suivi par Guillaume Kasbarian, ministre de la Fonction publique, de la Simplification et de la Transformation de l'action publique. Un sujet qu'il connaît bien puisqu'il avait remis en 2019 au gouvernement un rapport visant à accélérer les procédures liées aux implantations industrielles, préfigurant les sites "clés en main" (voir notre article du 23 septembre 2019), avant de devenir rapporteur du projet de loi Industrie verte… "Ce texte est le fruit d'une prise de conscience désormais partagée. (…) Nous sommes convaincus que la simplification est un gisement majeur d'économies et de croissance", a-t-il souligné mardi devant les sénateurs, saluant dans leur vote "un souffle d'espoir". "Comptez sur l'engagement du gouvernement pour continuer de débureaucratiser à tous les étages", a-t-il affirmé. Il a par ailleurs promis un examen à l'Assemblée "au plus tard au début de l'année prochaine", dans une interview aux Échos mardi.
Que ce soit en commission ou en séance, au mois de juin, les sénateurs ont apporté des modifications substantielles.
Environnement, énergie, urbanisme
En commission, les sénateurs ont ainsi supprimé l'article 2 du texte, qui permettait au gouvernement de diminuer le nombre de procédures d’autorisation ou de déclaration. Ils ont abaissé le seuil de tension ouvrant droit à la qualification de projet d’envergure nationale ou européenne pour les opérations de construction ou d’aménagement de postes électriques.
À travers huit amendements, ils ont modifié les nouvelles possibilités de dérogation au PLU prévues par le texte du gouvernement pour "contribuer notamment au déploiement des pompes à chaleur air/eau collectives et des énergies renouvelables implantées sur les bâtiments". Plusieurs amendements ont notamment pour objet d’étendre le champ d’application du texte aux "installations collectives de production de réseaux de chaleur et de froid efficaces" et aux "revêtements réflectifs innovants sur les toitures". Un autre amendement entend donner un "droit de regard" au maire ou au président d’EPCI lorsque, par dérogation (dans le cadre d’une opération d'intérêt national par exemple), c’est l’autorité administrative de l’État qui est compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme. Enfin, un amendement étend le bénéfice du bonus de constructibilité aux "constructions faisant preuve d’exemplarité environnementale ou intégrant des procédés de production d’énergies renouvelables".
Afin de "lutter contre les recours abusifs" en matière d’autorisations d’urbanisme, les sénateurs ont adopté en séance contre l’avis du gouvernement un amendement complétant l’article L600-7 du code de l’urbanisme en précisant la nature des "comportements abusifs de la part des requérants contre un permis de construire". Constitue ainsi un comportement abusif "un nouveau recours entaché d’irrecevabilité, présenté après le rejet pour irrecevabilité d’un recours du requérant formé contre un premier permis accordé au bénéficiaire".
Plusieurs modifications apportées par les sénateurs en séance visent à accroître la maîtrise des élus locaux sur leur foncier, ou à assouplir la mise en œuvre de l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN). Ainsi, plusieurs amendements prévoient d'exempter totalement les implantations industrielles et les projets d’intérêt national majeur du décompte des enveloppes d’artificialisation, pour la période 2021-2031.
Par ailleurs, un amendement dit de cohérence juridique présenté par le gouvernement modifie l’article L126-1 du code de l’environnement relatif à l’information et à la participation des citoyens. Il adjoint la procédure de "consultation du public parallélisée" créée par la loi sur l’industrie verte aux procédures de consultation du public. Un amendement sénatorial a également ajouté les émetteurs de CO2 biogénique tels que les sucreries ou les papeteries à la liste des industriels pouvant bénéficier de la procédure accélérée prévue par l’article 27 de la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables (Aper) qui prévoit des dérogations pour accélérer le processus de raccordement électrique pour les grands projets de décarbonation industrielle fortement polluants.
L’article 18 du texte, qui vise à permettre au porteur d’un projet d’aménagement de décaler dans le temps ("dans un délai raisonnable") la mise en œuvre des mesures de compensation, dans le cadre de la séquence ERC (éviter, réduire, compenser), afin d’assurer un démarrage plus rapide des projets, a subi plusieurs retouches. En commission, d’abord, un amendement est venu encadrer les conditions d’application du texte en maintenant le principe selon lequel les mesures de compensation visent à éviter les pertes nettes de biodiversité pendant toute la durée des atteintes tout en ouvrant la possibilité, "à défaut", de compenser dans un délai raisonnable d’éventuelles pertes intermédiaires. Une modification supplémentaire a ensuite été apportée en séance publique, malgré l’avis défavorable du gouvernement afin de préciser, par décret, les modalités de la compensation dans le cadre de la séquence ERC. Le décret devra "en particulier" détailler les modalités d’appréciation du critère de "proximité fonctionnelle" qui prévaut dans la détermination du cadre géographique de mise en œuvre des mesures de compensation depuis la loi Industrie verte, ainsi que les critères de mise en œuvre de ces mesures de manière prioritaire dans les zones de renaturation préférentielle, comme cela a été introduit par la loi Climat et Résilience.
Alors que l’article 19 du projet de loi vise à modifier huit procédures prévues par le code minier, récemment réformé par la loi Climat et Résilience, un amendement gouvernemental est venu simplifier les conditions de la mise en jeu de la responsabilité environnementale de la maison mère telle que définie dans la loi Grenelle II. Afin de garantir l’effectivité de cette mesure, il propose de ne retenir que la notion de simple faute et de laisser la responsabilité aux tribunaux de commerce d’en faire une application souveraine aux cas qui leur sont présentés. Un autre amendement gouvernemental adopté par les sénateurs vise à accélérer l’instruction des titres miniers relatifs au stockage de CO2 en coordonnant les dispositions du code minier avec celles du code de l’environnement. Il prévoit notamment de permettre au ministre chargé des mines de trancher les désaccords entre le demandeur d’un titre minier ou de stockage souterrain et le titulaire d’un titre minier ou de stockage souterrain existant auquel viendrait se superposer le titre sollicité.
Deux autres amendements ont été adoptés en commission, notamment pour consolider l’analyse environnementale, économique et sociale prévue par le code minier, ainsi que la prolongation exceptionnelle des permis de recherche, et réintégrer "sous une forme plus souple" le rôle de l’Office national des forêts (ONF) dans la procédure d’autorisation minière en Guyane.
Les sénateurs ont en outre introduit un nouvel article (18 bis) pour étendre la dispense d’évaluation environnementale dont bénéficient les projets de construction ou de modification d’ouvrages du réseau public de transport d’électricité qui contribuent à la décarbonation à l’évaluation environnementale de la mise en compatibilité des documents d’urbanisme, lorsqu’elle est nécessaire à leur réalisation.
L’article 20 bis A du texte transforme le régime d’avis conforme de l’architecte des bâtiments de France en avis simple afin d’accélérer le déploiement des installations résidentielles de production d’énergie renouvelable d'une puissance inférieure à 9 kWc. L’article 21 qui revenait sur l’obligation de réaliser un bilan carbone pour le soutien au biogaz dans le cadre des procédures de mise en concurrence, introduite dans la loi énergie-climat de 2019, a été supprimé en commission.
Commande publique
L'ancien gouvernement misait aussi sur la commande publique pour dégager de la croissance, sachant que pour l'expert des questions industrielles Olivier Lluansi, une politique d'achat mieux ciblée sur le Made in France pourrait générer quelques 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires supplémentaire (voir notre article du 1er octobre 2024). À compter de 2027, tous les marchés de l'État, de ses opérateurs, des hôpitaux et de la sécurité sociale passeront par la plateforme dématérialisée "Place" qui existe déjà mais seulement pour les marchés de l'État. Rappelant que les collectivités pèsent plus que l'État et le secteur hospitalier dans la commande publique, un amendement prévoit de les inclure dans la plateforme "si elles le souhaitent".
Afin de favoriser l’accès des TPE/PME à la commande publique, les sénateurs ont décidé de relever à 100.000 euros le montant des marchés de travaux exemptés de procédure de publicité et de mise en concurrence. Ils ont aussi inclus les biens issus du recyclage et du réemploi dans la catégorie "achats innovants", dispositif qui permet de passer des marchés gré à gré sans publicité ni mise en concurrence. Ils ont enfin simplifié "la présentation des variantes" dans les marchés des collectivités.
On notera aussi la proposition du sénateur de la Guadeloupe Victorin Lurel d'expérimenter un "Small Business Act" pour l'outre-mer, donnant la possibilité aux acheteurs publics ultramarins de prévoir une participation minimale de 20% des PME locales et des artisans locaux, au sein des marchés publics d’une valeur supérieure à 500.000 euros.
Les sénateurs ont par ailleurs souhaité généraliser l’expérimentation visant à donner la possibilité collectivités de recourir à une entreprise prestataire, dans le cadre d’un marché public, pour la réalisation des opérations de collecte de recensement de la population.
Commerce
Le texte comporte un volet visant à "simplifier le développement du commerce", découlant en partie des décisions prises par le Conseil national du commerce, instance créée en 2023 (voir notre article du 5 avril) pour soulager la trésorerie des nouveaux commerçants : mensualisation du loyer pour ceux qui en font la demande (au lieu d'un loyer trimestriel payé à l'avance), dépôt de garantie plafonné à 3 mois maximum, restitution du dépôt en cas de changement de propriétaire…
Les sénateurs ont apporté, en commission, une définition des locaux à usage commercial et artisanal pour l'application de la mensualisation des loyers.
Ils ont ajouté des mesures visant à faciliter l'ouverture de cafés et bistrots dans la ruralité. Un amendement adopté en commission, dans la continuité de l'Agenda rural, facilite la création de licences 4 dans les communes de moins de 3.500 habitants par simple déclaration auprès du maire, à condition qu'elles n'en disposent pas déjà. Cette mesure est valable trois ans à compter de la promulgation de la loi. "Ces établissements contribuent indéniablement au dynamisme économique local et au retour de la convivialité dans des zones de plus en plus dévitalisées de leurs commerces", précise l'exposé sommaire de l'amendement, qui rappelle que le nombre de cafés en France est passé de 200.000 à 38.800 entre 1960 et 2023.
En matière d'aménagement commercial, le gouvernement a fait un adopter, en séance, une mesure visant à faciliter les opérations de requalification des zones commerciales périphériques. Il s'agit de permettre le déplacement temporaire d’une activité commerciale le temps de la réalisation de travaux, afin d'éviter toute rupture d'exploitation qui engendrerait des surcoûts préjudiciables au projet. Toujours dans cette optique, le gouvernement a souhaité étendre le périmètre des secteurs d’intervention des opérations de revitalisation de territoire (ORT) aux zones périphériques.
Des dérogations pour l'implantation de datacenters
Dans son article 15, la Haute Assemblée confirme l'autorisation de dérogation pour les datacenters d'envergure aux dispositions sur le ZAN pour la période 2021‑2031. Le texte crée une nouvelle catégorie d'activités économiques pouvant déroger aux compétences du bloc communal en matière d'urbanisme, en prévoyant un régime d'exemption pour les projets dits "d'intérêt national majeur, conformément à la loi du 23 octobre 2023" relative à l'industrie verte.
Pour ce faire, les sénateurs ont ajouté au code de l'urbanisme : "Art. L. 141‑6‑1. – Le document d'orientation et d'objectifs peut proposer des orientations stratégiques pour l'implantation des centres de données, prenant en compte les équilibres territoriaux et intégrant les enjeux de transition énergétique, d'attractivité et de consommation d'espace de ces infrastructures." Ils ont ajouté qu'un "centre de données, revêtant une importance particulière en raison de son objet et de son envergure, notamment en termes d'investissement et de puissance installée, peut être qualifié par décret de projet d'intérêt national majeur, s'il est essentiel pour la transition numérique, la transition écologique ou la souveraineté nationale".
Faciliter le déploiement des antennes relais
L'article 17 prévoit quant à lui de faciliter le déploiement des antennes de téléphonie mobile. L'AMF avait pourtant émis un avis défavorable à cette disposition qui vise à faciliter les implantations d'antennes (voir notre article du 4 juin 2024). En fait, l'AMF valide l'ambition mais estime que le texte limite "les conditions d'exercice de la concurrence dans un secteur dominé par quelques structures" et demande que "les communes soient garanties et protégées" face aux "Tower companies", ces sociétés chargées de gérer les sites et infrastructures mobiles passives. Et c'est ce qu'elle obtient.
Le code des postes et des communications électroniques a été ainsi modifié : "Toute personne qui, sans être elle-même opérateur de téléphonie mobile, se porte acquéreur ou conclut un contrat de bail, un contrat de cession de droits réels démembrés, une convention d'occupation du domaine public ou devient titulaire d'un droit personnel portant sur la jouissance ou la réservation de tout emplacement accueillant ou destiné à accueillir une infrastructure supportant des antennes d'émission ou de réception de signaux radioélectriques aux fins de fournir au public un service de téléphonie mobile, est tenue "d'en informer par écrit le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent avant la conclusion dudit contrat ou convention[…]". Les sénateurs ont également prévu de "joindre à cette information un document attestant l'engagement d'un opérateur de téléphonie mobile à exploiter cette infrastructure d'accueil".
Enfin, l'amendement du sénateur Patrick Chaize (Les Républicains, Ain) permettant d'obtenir une exemption à la loi littoral a été adopté. Le texte prévoit qu'à "titre expérimental et jusqu'au 31 décembre 2028, par dérogation à l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, l'implantation d'installations radioélectriques soumises à l'accord ou à l'avis de l'Agence nationale des fréquences, et des équipements nécessaires à leur fonctionnement est autorisée par le maire ou le président de l'établissement public intercommunal compétent pour délivrer le permis de construire ou se prononcer sur la déclaration préalable, après avis conforme de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites".
Un plus grand rôle de la Cnil en matière d'intelligence artificielle
Dans l'article 22, les sénateurs ont inscrit des possibilités d'innovation dans les secteurs de la santé et de la recherche pour lesquelles la Cnil devra définir les modalités "concrètes de mise en œuvre des traitements afin d'assurer un équilibre entre la protection des données et les finalités d'intérêt public mentionnées au I, notamment en matière de développement de la recherche dans le domaine de la santé". Dans l'article 23, ils ont aussi renforcé les compétences de la Cnil en matière d'intelligence artificielle, qui veille ainsi à promouvoir une innovation "respectueuse du droit à la vie privée et à la protection des données personnelles". Dans le cadre de ses missions, la Cnil intègre "la juste prise en compte des enjeux d'innovation associés aux traitements de données personnelles, notamment en matière d'algorithmes et d'intelligence artificielle".