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Projet de loi "pour une école de la confiance" : les dispositions saillantes pour les collectivités

L’examen du projet de loi "pour une école de la confiance", 5 titres, 24 articles, débuté lundi 11 février 2019, achevé vendredi 15 en séance publique à l’Assemblée nationale, a fait l’objet d’un premier vote solennel ce mardi 19. Le texte, voté par 353 voix contre 171 et 31 abstentions, a été sensiblement modifié par l’adoption de plus de 80 amendements, dont beaucoup impactent les collectivités : conséquences budgétaires de l’instruction obligatoire dès 3 ans, création des établissements publics des savoirs fondamentaux (EPSF) et modification de la fonction de directeur... sans oublier, de façon plus marginale, l'introduction du drapeau et de l'hymne national dans les classes ou l'évolution des dénominations des responsables légaux dans les formulaires scolaires...

Après une semaine de débats souvent vifs depuis le lundi 11 février 2019,  l’Assemblée a  adopté le 19 février 2019 le projet de loi "École de la confiance", porté par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, dont nous vous proposons une lecture "territoriale". 

Instruction obligatoire à trois ans : le financement des maternelles privées perçu comme une "injustice"

Conséquence de l'instruction obligatoire à trois ans, votée cette semaine à l'Assemblée, les municipalités vont devoir financer la mesure pour les maternelles privées, un effet collatéral qui ranime le spectre de la guerre scolaire entre public et privé. Des députés ont fustigé le 14 février les impacts financiers de cette mesure, qui doit concerner 26.000 élèves, notamment en outre-mer.
L'abaissement de l'âge de l'instruction obligatoire, qui passe de 6 à 3 ans, va engendrer des dépenses nouvelles pour les communes : elles devront désormais toutes financer les maternelles privées sous contrat, au même titre que les maternelles publiques. Le coût de cette réforme est estimé à entre 100 millions d’euros selon le ministère et 150 millions selon le Réseau français des villes éducatrices (RFVE). Or l'État prévoit une compensation financière pour les seules communes qui, aujourd'hui, ne financent pas du tout les maternelles privées. Les deux tiers des communes les financent déjà, en totalité ou en partie : celles-ci ne seront pas indemnisées. Seul l'éventuel surcoût induit par la mesure sera pris en charge. Une "injustice" pointée par plusieurs députés. "La bonne volonté" des communes qui ont choisi "de faire un geste" ne doit pas être "pénalisée", a ainsi regretté jeudi la socialiste George Pau-Langevin, ex-ministre déléguée à la Réussite éducative. "Il y aurait matière à remettre le sujet à plat, afin que l'obligation de scolarité dès 3 ans aille de pair avec la construction de bâtiments publics et qu'il n'y ait pas d'effet systémique de financement public du privé", a de son côté estimé le député LFI, Alexis Corbière. Autre inquiétude soulevée à l'Assemblée : la charge nouvelle engagée par les communes en 2019 ne sera compensée qu'en 2021.
La mesure de compensation prévue est "sage et équilibrée", et elle "n'avantage pas plus le privé que le public", a voulu rassurer le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. 

Dans une tribune dans L'Obs, une vingtaine de maires se sont indignés d'une obligation qui pourrait se mettre en place au détriment des écoles publiques. "Il y a peu d'argent dans les caisses des collectivités, ce n'est pas le moment d'en rajouter dans celles du privé", déclare l'un des signataires, Patrick Bloche, adjoint à la maire de Paris chargé de l'éducation.
En 1959, Michel Debré faisait adopter une loi garantissant un financement des écoles privées sous contrat à parité des moyens de fonctionnement des écoles publiques, rappelle la pétition. "Le gouvernement prend aujourd'hui le risque de ranimer cette vieille querelle", estime Patrick Bloche.

"Pour le privé, il va y avoir un effet d'aubaine financier certain, sans qu'aucune contrepartie ne lui soit demandé", s'offusque aussi Damien Berthilier, président du Réseau français des villes éducatrices. Certains souhaiteraient en effet qu'en échange des subsides de l'État, le privé s'engage davantage en faveur de la mixité sociale. "Nous sommes conscients des contraintes budgétaires de certaines collectivités locales", assure Pierre Marsollier, délégué général chargé des relations politiques. Concrètement, "nous ne leur présenterons pas la facture au lendemain de l'adoption de la loi", ajoute-t-il, espérant possible un "étalement sur quelques années" du financement par les communes des maternelles privées.


Les regroupements d’écoles-collèges et l’avenir de la fonction de directeur inquiètent 

L'Assemblée a autorisé le 15 février le regroupement des classes d'un collège et d'une ou plusieurs écoles au sein d'un nouveau type d'établissement. Cet article adopté par 35 voix contre 7 permet de créer des "établissements publics locaux d'enseignement des savoirs fondamentaux".  Ceux-ci "associent les classes d'un collège et d'une ou plusieurs écoles situées dans son secteur de recrutement".
Ces établissements publics seront constitués de classes du premier degré et du premier cycle du second degré et pourront être mis en place sur volonté des communautés éducatives, à l’initiative des collectivités territoriales et par arrêté du représentant de l’État dans le département, après la signature d’une convention sur la répartition des charges. Administrés par un conseil d’administration, ils comprendront un conseil école-collège ainsi qu’un conseil des maîtres du premier degré et seront équipés d’un conseil pédagogique.
L'idée défendue par le gouvernement est d'avoir une plus grande "unité" entre le primaire et le collège, avec ces établissements qui pourront être organisés sur un même site ou en réseau. Cécile Rilhac (LREM), qui avait porté l'amendement introduisant cette mesure en commission, a tenu à "rassurer" les députés sur le fait que la création de ces établissements ne se fera que là où la communauté éducative le juge "nécessaire". Toutefois, si la disposition a jusque-là été présentée comme liée aux écoles rurales, les EPSF ciblent en réalité toutes les écoles, y compris urbaines. “Il suffit que l'État et les collectivités locales le souhaitent pour que l'EPSF soit constitué. L'avis des conseils d'école ou du conseil d'administration du collège n'a pas d'importance. Il n'est même pas nécessaire de le recueillir”, peut-on lire dans une analyse du Café pédagogique.  
Si Patrick Hetzel (LR) a estimé que "les choses vont dans le bon sens", notant que l'objectif est qu'il y ait un "continuum" pédagogique entre l'école et le collège, d'autres élus d'opposition ont formulé des réticences sur cet article, à l'instar de certains syndicats enseignants. Craignant que "cette mutualisation ne soit une rationalisation", Elsa Faucillon (PCF) a souligné que la mesure a été prise sans concertation ou étude d'impact, ce qui "renforce les inquiétudes". Elle a été rejointe par George Pau-Langevin (PS), qui pense toutefois que "l'idée mérite d'être creusée". "Ce type d'établissement permet surtout et avant tout des économies", a déploré Sabine Rubin (LFI), son groupe y voyant une façon de "camoufler" des "fermetures de classe".
Le ministre de l'Éducation s'est étonné du reproche de l'arrivée de la mesure par amendement "alors qu'on nous reproche si souvent d'arriver avec des choses toutes faites". "Il s'agit de donner "un élément supplémentaire dans la boîte à outils dont disposent les acteurs", mais pas d'"imposer" la création de ces établissements, a-t-il martelé. 

Au travers de cette mesure, c’est aussi l’avenir de la fonction de directeur qui est soulevée. Il est prévu que ces nouveaux établissements soient dirigés par un chef d’établissement qui exerce les compétences d’un chef d’établissement avec un directeur-adjoint qui, lui, exerce sous son autorité les compétences attribuées au directeur d’école. Cécile Rilhac précise que "les tâches qui incombent aux directeurs d’école, sans aide administrative et avec très peu de décharges dans les petites écoles, pourraient ainsi être réparties entre le directeur-adjoint et l’équipe administrative du collège. Enfin, la spécificité de chacun des degrés et des cycles est bien conservée à travers le maintien de chacun des conseils existants". D'autres toutefois craignent que la mesure ne mette les professeurs des écoles sous la coupe des principaux de collège.


Le drapeau tricolore et européen ainsi que l’hymne national dans toutes les classes 

L'Assemblée nationale a confirmé dans la nuit du vendredi 15 au samedi 16 février la présence obligatoire dans les salles de classe des drapeaux tricolore et européen, ainsi que des paroles de l'hymne national. L'adoption, dans la nuit du 11 au 12 février, de l'amendement d'Éric Ciotti (LR) avait créé des remous dans l'hémicycle, certains élus de gauche déplorant de ne pas avoir pu s'exprimer sur le sujet. C’est dans ce contexte qu’une seconde délibération est intervenue et s'est soldée par l'approbation de cette mesure à 29 voix pour, 10  contre et 5 abstentions.
Jean-Michel Blanquer a estimé "nécessaire" la présence de ces symboles dans les classes, tout en soulignant que ce n'était pas "l'alpha et l'oméga en matière d'éducation civique". 
L’amendement Ciotti (LR, Alpes-Maritimes) prévoit que "la présence de l’emblème national de la République française, le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge, du drapeau européen ainsi que des paroles du refrain de l’hymne national est obligatoire dans chacune des salles de classe des établissements du premier et du second degrés, publics ou privés sous contrat". Pour rappel, le code de l’éducation dispose actuellement que ces drapeaux doivent être apposés sur les façades des écoles et établissement publics locaux d’enseignement (EPLE) et que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen doit être visible dans les locaux. Une mesure "très simple”, "à des coûts tout à fait assumables par le ministère", selon le ministre de l’Éducation. Ce qui laisse supposer que ce ne sera pas aux collectivités de financer les drapeaux.

Outre-mer visible 

Un amendement qui prévoit que "la présence d’une carte de la France et de chacun de ses territoires d’outre-mer est obligatoire dans chacune des salles de classe des établissements du premier et du second degrés, publics ou privés sous contrat" a été adopté. 
Cet amendement, déposé par trois députés LR des Outre-Mer, avait pourtant reçu un avis défavorable de la co-rapporteure, Anne-Christine Lang et de Jean-Michel Blanquer. "La somme de nos bonnes intentions va conduire à tapisser toutes les salles de classe de France", a réagi ce dernier. Pour David Lorion (LR, la Réunion), un des députés à l’origine de l’amendement, c’est au contraire "une discrimination majeure que, lorsque l’on regarde la carte de France, les outre-mer n’y soient pas". "Trois millions de Français n’apparaissent pas sur les cartes", renchérit Ericka Bareigts (Socialistes et apparentés, la Réunion).

Par ailleurs, l'Assemblée a approuvé le 15 février la création d'un rectorat de plein exercice à Mayotte, saluant "un jour de fête" pour le département ultramarin. Le texte fait du vice-rectorat de Mayotte un rectorat de plein exercice, conformément à un engagement pris par le gouvernement en mai 2018 dans le cadre du plan pour améliorer la vie quotidienne de ce département classé dans son ensemble en éducation prioritaire. À la rentrée 2018, Mayotte, qui connaît une croissance exponentielle de sa population en âge d'être scolarisée, a accueilli quelque 100.000 élèves (+4,2% sur un an). L'élue de Mayotte Ramlati Ali (LREM) a salué cette création répondant "à une demande récurrente" sur le territoire ultramarin, affirmant qu'en matière d'éducation, Mayotte est "le plus mauvais élève de la République". Les résultats au bac ou au brevet y sont notamment inférieurs à la moyenne nationale.

Instruction à domicile : les maires pourront saisir le procureur de la République 

Le texte permet par ailleurs aux inspecteurs d'académie de mettre en demeure les familles de scolariser leur enfant et donne la possibilité aux maires de saisir le procureur de la République en cas de non-respect des règles. D'autre part, il augmente l'information fournie aux familles qui opteraient pour un enseignement à domicile, notamment sur les sanctions auxquelles elles s'exposent en cas d'infraction. Jean-Michel Blanquer a estimé que l'Éducation nationale devait se "muscler" sur cette question. Selon lui, il est "indispensable d'avoir un certain contrôle de l'État qui ne débouche pas pour autant sur une intrusion dans la vie familiale".
À droite, Gilles Lurton (LR) a jugé "disproportionné de prévoir l'intervention de l'inspecteur de l'Éducation nationale" pour vérifier si l'instruction dispensée par des familles à des enfants de 3-4 ans "leur permettra d'acquérir le socle commun de compétences". Les parents "devraient pouvoir choisir librement l'instruction de leur enfant à cet âge".
À gauche, Georges Pau-Langevin a salué la volonté d'avoir "un regard beaucoup plus attentif" sur ce système dans lequel "beaucoup d'enfants échappent au radar" et peuvent avoir une instruction "insuffisante". Mais l'élue de Paris aurait aimé que les députés aillent "un peu plus loin", avec un "inventaire précis de qui est ou pas sous ce régime-là".
Le gouvernement a obtenu de sanctionner les parents qui inscrivent leur enfant dans une école ouverte illégalement après avoir déclaré un enseignement à domicile. Cela sera passible d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende, comme le prévoit le code pénal en matière de fausses attestations.

Evolution des formulaires scolaires 

Plutôt que "parent 1, parent 2" sur les formulaires scolaires, entourer les bonnes mentions parmi "père, père, mère, mère" ? La co-rapporteure du projet de loi pour une "école de la confiance", Anne-Christine Lang (LREM), compte proposer de réécrire la mesure votée, qui a fait polémique. Contre l'avis du gouvernement et de la co-rapporteure, qui estimaient qu'une telle mesure ne relevait pas de la loi, l'Assemblée nationale a adopté mardi un amendement d'une députée LREM consacrant l'homoparentalité dans les formulaires scolaires. Ceux-ci devraient ainsi porter les mentions "parent 1 et parent 2" et non plus "père et mère". Ce vote en première lecture a suscité de vives protestations de toutes parts.
 

Le numérique, parent pauvre du texte

Frédéric Reiss (LR) s’est étonné que le numérique soit "le parent pauvre de ce projet de loi, alors que ce domaine a connu des évolutions significatives au cours des dernières années". Le député a proposé un amendement précisant que "l’école permet un égal accès à la technologie du numérique sur tout le territoire". Jugée insuffisamment normative, la disposition a été rejetée. 
Autre sujet de préoccupation, la surexposition aux écrans qui a fait l’objet de plusieurs amendements. Philippe Berta (LREM) a suggéré "un nouveau chapitre relatif aux savoirs fondamentaux numériques afin de renforcer l’éducation aux risques de la dépendance aux écrans" rejeté au motif que les dispositions en vigueur sont "suffisantes" pour appréhender ces enjeux. Un sort identique a été réservé à l’obligation d’héberger les données éducatives en France et à l’interdiction du recours aux logiciels propriétaires. Michel Larive (FI) s’est en effet ému de "l’important contrat passé entre l’Éducation nationale et Microsoft. Une telle mainmise des entreprises privées, et notamment des Gafam, est dangereuse pour l’indépendance et la souveraineté de la France", a-t-il déclaré. Il a donc proposé que "l’enseignement scolaire se fasse en logiciel libre, que ce soit au niveau des systèmes d’exploitation, des moteurs de recherche, ou encore des logiciels de traitement de texte et de données". Fannette Charvier (LREM), rapporteure du texte, a rappelé que l’incitation à l’usage de logiciels libres existait d’ores et déjà et estimé que la disposition risquait d’être inapplicable, l’offre libre n’existant pas sur tous les sujets. Seule avancée notable en définitive, l’article 8 qui facilite les expérimentations pédagogiques et devrait donc bénéficier aux projets utilisant les technologies numériques.