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Aménagement numérique - Projet de loi Macron : le Sénat accélère sur le très haut débit

Lors de son examen au Sénat, le projet de loi Macron a fait l'objet de plusieurs amendements importants sur le volet consacré au développement du très haut débit fixe. Les articles additionnels ainsi créés vont renforcer l'impact du texte sur ce secteur d'activité. Etat des lieux des changements apportés.

L'examen des amendements du projet de loi Macron sur le volet consacré au développement du très haut débit fixe a donné lieu au cours des dernières semaines à une série d'articles additionnels qui viennent renforcer son impact sur ce secteur d'activité. Au point de se demander ce qu'il restera pour alimenter la future loi sur le numérique, du moins sur le volet télécoms. L'ensemble des dispositions retenues en complément de celles déjà présentées (voir ci-contre nos éditions du 23 janvier et du 21 avril) vise, d'une part, à accélérer le déploiement des réseaux avec l'élargissement du pré-câblage dans les habitations neuves et anciennes et la reconnaissance du statut de zone fibrée et, d'autre part, à sécuriser le volet public du Plan à travers la fixation de lignes directrices de tarification - non imposées - aux collectivités. Le but de la manœuvre étant d'exercer une plus forte pression sur les opérateurs afin qu'ils interviennent dans la zone publique au juste prix.

Création du statut de "zone fibrée" pour amorcer le déclin du cuivre

L'amendement, présenté par le sénateur de l'Ain Patrick Chaize, crée un statut de "zone fibrée" pour les territoires avancés en matière de déploiement de la fibre. Ce statut, déjà proposé dans le rapport de la Mission sur la transition vers les réseaux à très haut débit et l'extinction du réseau de cuivre présidée par Paul Champsaur, vise à déclencher dans les zones labellisées un certain nombre de dispositions d'accélération de la transition du cuivre vers la fibre. L'article additionnel définit comme "zone fibrée" les territoires où "l'établissement et l'exploitation d'un réseau fibre ouvert à la mutualisation sont suffisamment avancés". Le statut peut être demandé par l'opérateur en charge du réseau ou par la collectivité l'ayant établi. Il est attribué, après avis de l'Arcep, par le ministre chargé des communications électroniques. Les mesures d'accélération associées pourraient notamment comprendre des aides au raccordement des usagers finaux, l'arrêt de la construction du réseau de cuivre dans les immeubles neufs et une tarification du cuivre moins avantageuse pour inciter les opérateurs à basculer sur la fibre. Ces mesures feront l'objet d'études approfondies et seront précisées dans un décret qui fixera également les minima à atteindre pour être éligible au nouveau statut.
La commission des affaires économiques, comme le ministre, avait émis un avis défavorable, estimant le texte incomplet et prématuré. Finalement, Emmanuel Macron a infléchi sa position en mettant en avant la nécessité d'accélérer la transition pour "mettre la pression" sur les opérateurs : "cela passe par certains signaux forts et certains engagements", a-t-il expliqué pour confirmer que le gouvernement ne s'opposait plus à l'amendement et s'en remettait finalement à la sagesse de la Haute Assemblée. Tout en annonçant qu'il voterait l'amendement, Hervé Maurey, sénateur de l'Eure, a toutefois tenu à rappeler le caractère très modéré des dispositions du rapport Champsaur : "elles n'imposent aucune mesure drastique à l'opérateur et ce n'est qu'au terme d'un délai de cinq ans que le basculement pourrait avoir lieu".

Pré-câblage des immeubles et locaux anciens faisant l'objet de rénovations lourdes

La loi intégrait déjà le pré-raccordement des immeubles neufs à la fibre pour faciliter le déploiement des réseaux très haut débit. Puis les députés, en commission, avaient étendu cette disposition aux constructions neuves, qu'elles concernent les maisons et immeubles individuels ou lotissements. Quant aux "immeubles groupant plusieurs logements ou locaux à usage professionnel faisant l'objet de travaux soumis à permis de construire", le Sénat a pris de nouvelles dispositions.  Mesures incluant au passage les bailleurs sociaux. "Un vaste chantier de rénovation thermique va être engagé, autant faire en sorte que le fibrage ne perturbe pas deux fois les mêmes locataires", a argumenté Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice de Paris. D'autres sénateurs ont également mis en avant l'effet d'aubaine que représentent les travaux de rénovation dans le bâti pour y implanter la fibre. De son côté, Emmanuel Macron a émis un avis favorable, sous réserve que le fibrage ne représente pas un surcoût et donc uniquement "en cas de travaux significatifs", c'est-à-dire lorsque la rénovation permet aux habitants de l'immeuble de réaliser une économie "en faisant d'une pierre deux coups".

Le régulateur fixera des lignes directrices "indicatives" sur la tarification des RIP

Sur le volet de la régulation, l'Arcep serait désormais chargée d'adopter des lignes directrices relatives à la tarification de l'accès aux réseaux d'initiative publique portés par les collectivités territoriales. L'objectif poursuivi par le gouvernement, comme l'a rappelé Emmanuel Macron, étant de clarifier les règles du jeu en permettant à l'Arcep d'accompagner les collectivités en amont de la publication de leurs offres tarifaires. Ces lignes directrices seront rendues publiques (quatre mois après la promulgation de la loi) dans une logique d'affichage et de transparence "qui donnera aux collectivités territoriales un moyen de pression sur les opérateurs", souligne le ministre. Dans le cadre de cette procédure, les collectivités territoriales et leurs groupements communiquent à l'autorité, au moins deux mois avant leur entrée en vigueur, les conditions tarifaires d'accès à leurs réseaux. Lorsque le régulateur estime que ces conditions tarifaires soulèvent des difficultés au regard des principes tarifaires définis par la loi - objectifs transparents, non-discriminatoires et proportionnés – l'autorité peut émettre un avis public, invitant l'entité publique à les modifier.
Jugé à la fois comme "portant atteinte aux principes de libre administration des collectivités territoriales" et "inutile au regard des dispositifs de régulation déjà existants", les principaux animateurs de la discussion de la majorité sénatoriale, Hervé Maurey et Bruno Sido, sénateur de la Haute-Marne, avaient déposé des amendements de suppression de l'article, estimant en outre qu'il témoignait d'une méfiance à l'égard des collectivités locales.
Emmanuel Macron s'est d'abord voulu rassurant. "Ces recommandations présentent seulement un caractère indicatif et le non-respect des limites fixées n'est pas assorti de sanctions", a-t-il confirmé, ajoutant au passage : "les lignes directrices permettent de donner une indication, un prix au-dessous duquel on ne peut pas créer la compétition". Il a également rappelé que les risques juridiques encourus par les opérateurs et les collectivités tentés de pratiquer des prix trop bas, au niveau européen, étaient ceux de les voir requalifiés en aides d'Etat.

Le ministre affirme son volontarisme sur l'investissement privé dans la zone publique

Emmanuel Macron a donné par ailleurs quelques indications sur sa stratégie à venir "pour exiger" que les opérateurs participent aux RIP "à des prix raisonnables". L'opérateur historique semble même être particulièrement dans le viseur du ministre : "Orange ne joue pas suffisamment le jeu. Je le dis avec force (…), l'opérateur historique doit prendre part aux RIP, voilà le fond de ma pensée". Emmanuel Macron a confirmé qu'il "mettra la pression", ajoutant qu'il en avait les moyens en tant qu'actionnaire et aussi comme acteur central dans le jeu : "nous avons suffisamment de liens réglementaires avec les opérateurs pour les y obliger". Pour conclure il s'est engagé à ce que le gouvernement prenne toutes ses responsabilités pour que le niveau de pression maximal soit mis sur ces opérateurs afin qu'ils participent aux RIP. Le ministre a depuis commencé à mettre à exécution ses engagements puisqu'il a réuni la semaine dernière les quatre grands opérateurs pour leur demander de confirmer les engagements déjà pris sur la zone moyennement dense (AMII) et d'établir un plan de marche pour utiliser les réseaux publics et fournir leurs services aux populations concernées.