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Territoires - Projet de loi d'avenir sur l'agriculture : un texte mi-chèvre mi-chou

Le projet de loi d'avenir de l'agriculture, présenté en Conseil des ministres le 13 novembre, vise un double objectif : renforcer la compétitivité de l'agriculture française en perte de vitesse, tout en assurant sa transition écologique. Mais concilier ces deux impératifs relève parfois de l'équilibrisme. Pas sûr que les agriculteurs s'y retrouvent.

Le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, a présenté en Conseil des ministres, mercredi 13 novembre, son projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Un texte de 39 articles qui intervient "après la négociation sur la PAC", a-t-il tenu à rappeler, lors d'une conférence de presse, et dont l'objectif est d'assurer un haut niveau de potentiel agricole français et de soutenir "l'agro-écologie". La France doit devenir "leader" en Europe et dans le monde, a-t-il redit. "Je voudrais qu'on puisse enfin considérer que l'environnement n'est pas seulement un coût, une charge, mais au contraire une opportunité pour améliorer la compétitivité économique" de l'agriculture, a encore souligné le ministre.
Plusieurs mesures visent à permettre aux agriculteurs d'être plus forts dans leurs relations avec les filières agro-alimentaires et la grande distribution. Notamment par la création du groupement d'intérêt économique et environnemental (article 3) au sein desquels les agriculteurs pourront recevoir des primes pour effectuer une transition vers des systèmes de production plus économes en intrants chimiques. Des primes qui s'ajouteront aux nouvelles orientations de la PAC qui conditionneront 30% des aides à des mesures environnementales. Le ministre, qui entend orienter les exploitations dans la "double performance", a aussi recours au recyclage. Il évoque "la création du médiateur des relations commerciales agricoles". En réalité ce médiateur a été créé par son prédécesseur, avec la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010. Il est compétent pour tout litige en matière de contrat de vente entre un producteur et un acheteur et a fait ses preuves ces derniers mois dans la filière laitière. Son rôle sera étendu à l'ensemble de la chaîne agro-alimentaire (production, transformation et grande distribution) et légèrement étendu. Il sera ainsi obligatoirement consulté avant toute démarche contentieuse, par exemple sur les clauses de renégociation des prix des contrats portant sur les produits alimentaires prévus par la loi Hamon sur la consommation, pour faire face à la volatilité des prix.

Enseignement agricole

D'autres mesures visent à inciter les agriculteurs à diminuer l'utilisation d'intrants phytosanitaires ou d'antibiotiques. Le projet de loi entend renforcer la traçabilité des produits. Les consommateurs pourront demander les résultats des contrôles sanitaires effectués dans les cantines, restaurants ou ateliers de transformations de produits alimentaires. Par ailleurs, le suivi de l'utilisation des produits phytosanitaires se fera désormais pendant toute la durée de leur utilisation et plus seulement au moment de leur mise sur le marché. En revanche, le gouvernement s'est finalement refusé à limiter la prescription des antibiotiques aux seuls vétérinaires : "le découplage n'est pas la condition de la baisse de la prescription", a justifié le ministre, indiquant vouloir "organiser un grand débat à l'échelle européenne".
L'enseignement agricole fera plus de place à l'agro-écologie. Par ailleurs, un système de validation des compétences sera mis en place.
Le texte entend privilégier l'installation de jeunes agriculteurs sur l'agrandissement des exploitations. Le contrat de génération sera ainsi adapté : une jeune souhaitant s'installer hors cadre familial, qu'il soit salarié d'une exploitation ou non, et ce jusqu'à 30 ans, pourra bénéficier d'une aide spécifique. Dans le même temps, les contrôles sur les autorisations d'agrandissement seront renforcées pour contrer les contournement observés.

Artificialisation des terres

La lutte contre l'artificialisation des terres, qui figurait déjà parmi les priorités de la loi de 2010, est à nouveau au programme. L'Observatoire national de la consommation des espaces agricoles (Oncea) créé par cette même loi mais installé qu'au printemps dernier verra ses compétences élargies à la forêt. De même pour les commissions départementales et de la préservation des espaces naturels agricoles… "et forestiers". Mais surtout, l'avis de ces commissions sera contraignant et applicables aux documents d'urbanisme, ce qui n'était pas le cas jusqu'ici.
Les Safer (sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural) voit leur gouvernance améliorée et leurs compétences renforcées (article 13). Cependant, la veille, Jocelyne Hacquemand, rapporteur du Conseil économique et social et environnemental (Cese) consulté pour avis, avait regretté, lors d'une conférence de presse, qu'elles n'aient pas un droit de regard sur les cessions de parts de sociétés, mesure destinée à lutter contre la spéculation foncière. Disposition qui figurait dans l'avant-projet de loi.
Enfin, des programmes stratégiques nationaux seront mis en place au sein de chaque filière agro-alimentaire et agricole. Quant au plan régional de l'agriculture durable (PRAD), son contenu sera élargi aux orientations et actions de la région en matière agricole, agroalimentaire et agro-industrielle. Comme l'avait souhaité l'Association des régions de France, il sera élaboré conjointement par l'Etat et la région
Le texte sera examiné à l'Assemblée au mois janvier. Interrogé il y a quelques jours par Localtis, René Souchon, président de la région Auvergne et rapporteur sur la PAC au Comité des régions, avait manifesté sa satisfaction. Mais que ce soit chez les défenseurs du productivisme ou des organisations environnementales, le projet de loi suscite surtout de la déception.
Les mesures envisagées "constituent davantage des directives administratives pour expliquer à l'administration comment gérer l'activité agricole que des accompagnements efficaces de l'investissement économique ou environnemental destinés à sécuriser et développer les projets des entreprises agricoles", a déploré, jeudi, le "think tank" agricole Saf-agriculteurs de France. Quant à l'ONG France Nature Environnement, elle considère que l'agro-écologie reste au stade du "slogan". La Confédération paysanne a regretté pour sa part que le seuil de déclenchement du contrôle des Safer "manque cruellement de précision, et pourrait rendre caduques les avancées apparentes".