Projet de loi "3DS" : ce que les députés ont décidé en commission
Au cours de trois jours de débats, la commission des lois de l'Assemblée nationale s'est penchée sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit "3DS". 481 amendements ont été adoptés en commission. Dont beaucoup visent à revenir sur les dispositions que le Sénat avait votées en juillet. Les députés ont ainsi passé à la trappe nombre des mesures musclant les compétences des départements et régions ou assouplissant les relations entre communes et intercommunalités. L'examen en séance débutera le 6 décembre. Revue de détail.
L'Assemblée nationale débutera le 6 décembre l'examen en séance du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit "3DS". Un texte qui, à l'occasion de son examen en juillet au Sénat, avait pris beaucoup de poids, puisqu'il est passé de 84 à 217 articles.
Au cours de trois jours de débats (du 22 au 24 novembre), la commission des lois s'est penchée sur cette réforme avant tout technique, mais que la ministre de la Cohésion des territoires présente comme "concrète, utile et de terrain". Saisies également au fond, la commission des affaires économiques, la commission du développement durable et la commission des affaires sociales ont examiné pour leur part, les 16 et 17 novembre, les dispositions relevant de leurs champs de compétences.
Finalement, sur les 1.565 amendements déposés en commission, 481 ont été adoptés. Dont beaucoup revenant sur des dispositions que le Sénat avait votées pour "donner plus de souffle et d'ambition" à ce texte. Au nom de la "stabilité" institutionnelle, les députés ont ainsi passé à la trappe nombre des mesures musclant les compétences des départements et régions, ou assouplissant les relations entre les communes et leurs intercommunalités. Revue de détail.
Mesures en matière de différenciation territoriale (titre Ier)
De l’article 1er à l’article 4 quater, la commission a adopté de très nombreux amendements :
- suppression de l’article 1er ter qui autorise les départements frontaliers à mettre en œuvre ou soutenir toute action présentant un intérêt pour leur territoire.
- création d’un rapport recensant les propositions que les collectivités feront auprès du Premier ministre pour modifier ou adapter des dispositions législatives ou réglementaires concernant leurs compétences, leur organisation ou leur fonctionnement. Ce rapport sera rendu public.
Par ailleurs, les députés sont revenus sur la plupart des nouveautés que le Sénat avait introduites pour renforcer le pouvoir réglementaire des collectivités locales (articles 2 et 2 bis). Ils ont ainsi prévu notamment la suppression :
- des dispositions permettant de différencier, selon les territoires, les conditions de refus d’admission à une prestation sociale.
- de la possibilité pour le département de décider lui-même des conditions de prise en compte des revenus dans le calcul du revenu de solidarité active (RSA).
- de la disposition permettant au département d’exercer un recours en récupération des sommes versées au titre du RSA dans le cas d’un retour à meilleure fortune du bénéficiaire, ou un recours sur la succession de ce dernier.
- de la faculté pour la région de fixer le nombre d'étudiants dans les formations paramédicales (infirmier, kinésithérapeute, orthophoniste, opticien…).
- de la possibilité pour la commune ou l'EPCI compétent en matière de plan local d’urbanisme d'arrêter par délibération (à la place du pouvoir réglementaire) la liste des constructions, aménagements, installations et travaux qui sont dispensés de toute formalité.
- des dispositions sénatoriales qui entendent mettre fin à des décrets pour la définition notamment : des conditions d’attribution des aides destinées à l’installation ou au maintien de professionnels de santé, des conditions de gestion des établissements d’enseignement public de la musique, de la danse et de l’art dramatique, des conditions de gestion des services de transport ferroviaire de voyageurs d’intérêt régional.
S'agissant de la conférence territoriale de l'action publique (CTAP), la commission des lois a rétabli les dispositions initiales du texte (article 3). Selon les rapporteurs, la version votée par le Sénat ouvrait "trop largement" la possibilité pour les EPCI de déléguer leurs compétences et revenait sur la clarification des compétences en matière d’aides aux entreprises opérée par la loi Notr de 2015.
Toujours en matière de différenciation, les députés ont prévu les mesures suivantes :
- suppression de la faculté pour les stations classées stations de tourisme membres d'une communauté urbaine ou d'une métropole de délibérer pour que leur intercommunalité leur restitue l’exercice de la compétence "promotion du tourisme, dont la création d’office de tourisme" (article 3 bis A). Les députés veulent rester au statu quo de la loi Engagement et proximité de décembre 2019, qui confère cette possibilité aux seules stations classées stations de tourisme membres d'une communauté de communes ou d'une communauté d’agglomération.
- attribution à la région et à l'État – et non plus à la seule région – de la coordination des acteurs du service public de l’emploi (article 3 ter). Possibilité pour les régions de créer une instance régionale de coordination avec Pôle emploi en matière de formation professionnelle.
- suppression des assouplissements visant à faciliter la scission d’un EPCI, les députés estimant que les dispositions de la loi "Engagement et Proximité" en la matière sont suffisantes (article 4 bis C).
- suppression des "transferts à la carte" voulus par le Sénat - à savoir transferts de compétences facultatives à un EPCI à fiscalité propre de la part de certaines de ses communes membres seulement (article 4 bis).
- suppression des dispositions introduisant le critère de l’intérêt communautaire ou métropolitain pour la détermination des compétences transférées aux EPCI à fiscalité propre concernant les zones d’activité, la voirie, l’environnement ou la politique du logement (article 4 ter).
- faculté donnée aux habitants qui résident dans une "commune associée" issue de l'application de la loi Marcellin de 1971 sur les fusions de communes, de pouvoir se marier ou se pacser dans la commune chef-lieu.
Mesures en matière de transition écologique (titre II)
Pour l'essentiel, les députés ont prévu les dispositions suivantes :
- retour à une rédaction proche de celle du projet de loi initial concernant la répartition des compétences entre les collectivités territoriales (article 5).
- suppression des dispositions sénatoriales remettant en cause l’exercice obligatoire des compétences relatives à l’eau et l’assainissement des eaux usées pour les communautés de communes et les communautés d’agglomération ainsi que, pour ces dernières, le caractère obligatoire de la compétence de gestion des eaux pluviales urbaines (article 5 bis).
- suppression du droit de veto conféré au conseil municipal de la commune concernée par un projet d’implantation d'un parc éolien (article 5 sexies).
- suppression de la faculté pour les régions d'augmenter la distance minimale entre les éoliennes et les habitations (article 5 septies A).
- création de la faculté pour l'État de confier à une collectivité territoriale ou à un groupement de collectivités territoriales tout ou partie de l’aménagement, de l’exploitation et de l’entretien du domaine public fluvial (après article 11).
- rétablissement de l'esprit du projet de loi initial s’agissant de la délégation, aux régions volontaires, de la gestion des fonds "chaleur et économie circulaire" (article 12).
- suppression de la possibilité de création de zones "sans loups" introduite par le Sénat.
- possibilité pour les maires de transférer leur pouvoir de police en matière d'accès aux espaces protégés au président de leur EPCI à fiscalité propre, lorsque celui-ci est compétent en matière de protection et de mise en valeur de l’environnement (article 14).
Par ailleurs, la commission des lois a adopté des amendements identiques des rapporteurs et du gouvernement qui réécrivent l’article 6 du projet de loi sur la décentralisation de 10.000 kilomètres de routes relevant aujourd'hui de la responsabilité de l'État. Ils traduisent "l'accord" que l'exécutif a obtenu récemment sur le sujet avec les présidents de département et de région, a indiqué la ministre de la Cohésion des territoires lors de son audition par la commission des lois, le 22 novembre. L'objectif était de "faire en sorte que la répartition des tronçons entre départements et régions se fasse dans la concertation et dans un souci d'efficience des moyen dédiés au réseau routier", a-t-elle dit. Les dispositions adoptées réaffirment la compétence des départements sur le réseau routier départemental et précisent la procédure de décentralisation des routes nationales. Elles prévoient l'organisation d'"une concertation, organisée par les préfets de régions, entre l’ensemble des collectivités afin de faire émerger une répartition des voies décentralisables par niveau de collectivités".
Les dispositions de l'article 7 prévoyant de mettre à la disposition des régions volontaires, à titre expérimental, certaines voies relevant du domaine public routier national non concédé, sont mises en cohérence avec l'article 6 ainsi modifié. Les premières étapes de la procédure sont fusionnées avec celles du transfert des routes nationales aux départements, aux métropoles et à la métropole de Lyon, le but étant de "privilégier le dialogue et la concertation entre l’ensemble des collectivités concernées d’un même territoire". Comme les sénateurs le voulaient, la durée de l'expérimentation sera de huit ans – contre cinq dans le projet de loi initial.
Urbanisme et logement (Titre III)
Au sein de ce volet très technique, les députés ont prévu en commission :
- retour à l'échelonnement initialement prévu pour la mise en conformité des communes nouvellement soumises aux objectifs de construction de logements sociaux (article 17). Les députés ont considéré que le Sénat avait trop assoupli les conditions de rattrapage.
- possibilité pour la commune estimant être dans l’incapacité d’atteindre les objectifs de construction de logements sociaux de saisir seule, sans l’accord de l’EPCI auquel elle adhère, le préfet de département pour la signature d’un contrat de mixité sociale permettant l'adaptation des objectifs (article 18).
- revenir sur les modifications apportées par le Sénat sur le régime du constat de carence de logements sociaux (article 19). Les sanctions à l'encontre des communes carencées et le transfert au préfet du droit de préemption urbain (article 19 bis) sont ainsi réintroduits.
- suppression de la cotation des résidences de logement sociaux imaginée par le Sénat pour identifier les résidences "les plus fragiles" et "autoriser ensuite l’attribution prioritaire de leurs logements aux ménages susceptibles de renforcer leur mixité sociale" (article 22 quater).
- faculté pour les collectivités qui le souhaitent de participer à une nouvelle vague de l'expérimentation de l’encadrement du niveau des loyers. Le délai imparti pour déposer une candidature est porté de 2 à 4 ans à partir de la promulgation de la loi. Sur proposition du demandeur transmise au plus tard le 23 novembre 2022, un décret déterminera le périmètre du territoire de la collectivité sur lequel s'appliquera l'expérimentation (article 23).
- maintien de la reconnaissance aux intercommunalités les plus intégrées de la qualité d’autorité organisatrice de l’habitat (AOH). L'amendement adopté par les députés vise à "conforter cette ambition en adaptant les conditions nécessaires pour être reconnu AOH et en précisant les possibilités d’actions offertes aux autorités organisatrices de l’habitat" (article 25 bis A).
- introduction d'une procédure permettant aux communes et aux groupements de communes de sécuriser juridiquement, lors de leur préparation, les documents d'urbanisme, en particulier sur le volet concernant les mesures de réduction de la consommation foncière introduites par la loi Climat d'août 2021 (après article 30).
- suppression des dispositions qui rendent plus complexe le transfert de la compétence du plan local d’urbanisme (PLU) à l'intercommunalité (article 30 bis B).
Santé, cohésion sociale, éducation et culture (titre IV)
Là encore, de très nombreux amendements ont été adoptés, avec pour objectif :
- disparition de l'exercice conjoint par le préfet de région et le président du conseil régional de la présidence du futur conseil d’administration des agences régionales de santé (article 31).
- reconnaissance dans le code de la santé publique de l'action des collectivités et de leurs groupements en matière de santé et de sécurité sanitaire (après article 34).
- précision des modalités de mise en œuvre et d’évaluation de l’expérimentation de la recentralisation du revenu de solidarité active (article 35).
- suppression de l’article 35 bis du projet de loi (introduit par le Sénat) qui crée des nouveaux moyens de contrôle du département sur les bénéficiaires du RSA, dans un objectif de lutte contre la fraude.
- réintroduction de l'expérimentation pour une durée de trois ans de la reconnaissance aux départements et aux régions d’un pouvoir d’instruction à l’égard des adjoints gestionnaires des collèges et des lycées (article 41). Celle-ci avait été supprimée par le Sénat.
- suppression des dispositions sénatoriales qui renforçaient le rôle des régions dans le pilotage de la politique d’enseignement supérieur et de recherche (article 41 bis) et l'identification des besoins en capacité d’accueil dans l’enseignement supérieur (article 41 quater).
- suppression de l’article 41 ter adopté par le Sénat qui permettait au département de définir et de mettre en oeuvre un régime propre d’aides en matière d’agriculture et de pêche.
- suppression de l’article 42 bis, introduit par le Sénat, qui imposait aux départements l’élaboration, tous les six ans, d’un schéma départemental de la solidarité territoriale.
Mesures en matière financière et statutaire (titre V)
On retiendra en particulier deux mesures prises par les députés :
- suppression des dispositions sénatoriales qui introduisent une obligation de réévaluation du droit à compensation tous les cinq ans, en cas de transfert d'une compétence de l'État vers les collectivités (article 43).
- suppression des dispositions sénatoriales prévoyant que les dépenses de solidarité sociale des collectivités territoriales sont exclues de tout objectif national visant à encadrer l’évolution des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités territoriales et de leurs groupements à fiscalité propre (article 43 bis).
Mesures de déconcentration (titre VI)
Parmi les dispositions adoptées en commission figurent des mesures visant à :
- retour à la rédaction initiale de l'article 46 qui renforce le rôle du préfet dans l’attribution des aides des agences de l’eau.
- suppression des dispositions sénatoriales permettant au préfet d'accorder aux collectivités et à leurs groupements le droit de déroger, dans leurs domaines de compétences, aux règles fixées par voie réglementaire (article 46 bis).
- suppression des dispositions sénatoriales qui confiaient l'essentiel des décisions d'attribution de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) au préfet de département (article 46 quater).
- disparition de la mesure d'origine sénatoriale qui confiait au préfet de département la responsabilité de toute décision de l'État prise au niveau territorial (article 46 quinquies).
Simplification de l'action publique (titre VII)
Parmi les très nombreux amendements adoptés, on retiendra ceux qui prévoient :
- retour aux dispositions initiales concernant la mise en œuvre du "Dites-le-nous une fois" (article 50).
- accélération du recueil et de l’ouverture des données en matière de mobilité (après article 50).
- suppression du droit à l'erreur au profit des collectivités et de leurs groupements, qui avait été créé par le Sénat (article 50 bis).
- extension du recours à la visioconférence aux réunions des commissions permanentes des départements, des régions et des assemblées de Corse et de Guyane (article 52 bis).
- limitation de la part de capitaux des collectivités étrangères dans les sociétés publiques locales (SPL) françaises (article 59).
- suppression de l’article 59 bis qui étend à l’ensemble des départements frontaliers les prérogatives octroyées par la loi à la seule Collectivité européenne d’Alsace (CEA).
- faculté pour les collectivités et leurs groupements de consentir aux sociétés coopératives d’intérêt collectif des avances en compte courant (amendement du gouvernement, après l'article 73 quater).
- précision sur le régime de responsabilité des gardiens d’espaces naturels dans lesquels des sports de nature sont pratiqués, lequel avait fait l'objet d'aménagements par le Sénat (article 73 bis A).
- création d'un droit à la formation pour les élus nouvellement nommés administrateur ou membre du conseil de surveillance d'une société d'économie mixte, ou d'une société publique locale (après article 73 octies).
Par ailleurs, les députés ont complété les dispositions déjà présentes en matière de droit funéraire, afin notamment de :
- consacrer l’obligation d’information des ayants droit sur le droit de renouvellement d'une concession, lorsque celle-ci parvient à échéance (article 74 quinquies).
- faire évoluer l'obligation pour les communes de mettre à la disposition des consommateurs des devis-types fournis par des entreprises du funéraire. À compter du 1er juillet 2022, ces devis seront publiés sur le site internet des communes de plus de 5.000 habitants (même article).
Lors de son audition par la commission des lois, Jacqueline Gourault a annoncé que le gouvernement ferait "des propositions concrètes" en séance sur l'évolution institutionnelle de la métropole Aix-Marseille-Provence. Le gouvernement souhaite que les compétences de proximité soient restituées aux communes et, en parallèle, que la métropole voit ses compétences stratégiques confortées. Pour "simplifier le fonctionnement de la métropole", les services déconcentrés de cette dernière seraient renforcés et les conseils de territoires seraient supprimés. Enfin, la ministre a évoqué la nécessité d'un "rééquilibrage des relations financières entre la métropole et les communes".
Les discussions dans l'hémicycle débuteront le 6 décembre et pourraient ne s'achever que le 17 décembre. Elles seront suivies – sans doute en janvier – d'une réunion de la commission mixte paritaire (sept députés et sept sénateurs), dans le but qu'un accord soit trouvé entre les deux chambres. Ce rendez-vous est déjà dans les esprits, tant du côté du gouvernement que de celui des rapporteurs du texte.