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Commande publique - Prise illégale d'intérêts : un soupçon d'impartialité suffit à caractériser le délit

Par un arrêt du 13 janvier 2016, la Cour de cassation a confirmé la condamnation, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, d'un agent public à un an d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à 10.000 euros d'amende pour prise illégale d'intérêts. Cette décision apporte un éclairage sur le risque pénal pesant sur les agents publics dans le cadre de la passation de marchés publics. Il s'agit d'un sujet en pleine évolution avec, outre la reconnaissance du sourcing et la possible réévaluation du délit de favoritisme, la publication le 21 avril 2016 de la loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires (voir notre article du 28 avril ci-contre).

Un soupçon de favoritisme

Le conseil municipal de la commune d'Hyères, sur avis de sa commission d'appel d'offres (CAO), a attribué à la société Creaconception un marché de télévision locale diffusée par internet. Ce marché comportait trois lots : la construction d'une plateforme de diffusion, la réalisation d'un journal télévisé et de reportages thématiques. Or, il a été fait part au procureur de la République de Toulon de soupçons de favoritisme pesant sur cette procédure. En effet, le prévenu, collaborateur de cabinet du maire en charge de la communication institutionnelle et rédacteur du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) ainsi que d'un rapport d'analyse des offres remis à la CAO, était professionnellement et personnellement lié au gérant de la société Creaconception. Ils avaient notamment travaillé ensemble, se téléphonaient quotidiennement et étaient "amis" sur Facebook. De plus, l'agent était domicilié à la même adresse que la société ayant remporté le marché.

Une situation de conflit d'intérêt potentiel

L'enquête a par ailleurs révélé que le gérant de Creaconception avait falsifié certaines pièces de son offre, augmentant ainsi son chiffre d'affaires et l'effectif de ses salariés. Il n'a néanmoins pas été prouvé que le prévenu était au courant de ces faits. Ce dernier a d'ailleurs déclaré s'être exclusivement prononcé sur l'aspect technique des offres. Autre fait litigieux, un candidat se plaignait d'avoir été trompé par le prévenu, lequel aurait indiqué au soumissionnaire que son offre pouvait ne pas porter sur l'ensemble des lots. Or, ces faits n'ont pas été démontrés et d'autres entreprises ont commis la même erreur alors même que le règlement de la consultation était clair sur ce point : chaque offre devait porter sur les trois lots.
"Les manœuvres reprochées au prévenu [...] ne sont donc pas suffisamment caractérisées" selon la cour d'appel. La violation de la liberté et de l'égalité d'accès aux marchés publics n'est pas établie, toutefois, les circonstances de l'affaire "jettent la suspicion sur l'impartialité du choix du candidat". En effet, la situation de conflit d'intérêt est potentielle. La cour d'appel a donc décidé de requalifier les faits en prise illégale d'intérêts, au lieu de favoritisme comme le prévoyait l'acte de poursuite.

Favoritisme ou prise illégale d'intérêts ?

Selon l'article 432-12 du Code pénal, la prise illégale d'intérêts est "le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement". Le délit de prise illégale d'intérêts est sanctionné par une peine pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende. Aucune intention frauduleuse n'est exigée pour que ce délit soit constitué et peu importe que l'agent ait ou non recherché à s'enrichir personnellement ou que l'intérêt général ne soit pas contredit. Seul compte le soupçon de partialité. Par ailleurs, et contrairement au délit de favoritisme, le prévenu peut être condamné sans avoir contrevenu aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public.

Une décision confirmée par la Cour de cassation

Les juges de cassation ont confirmé la requalification du délit en prise illégale d'intérêts et validé la décision de la cour d'appel. En effet, l'agent ayant "participé à la préparation de la décision d'attribution du marché public litigieux à la société Creaconception" et étant donné qu'il "entretient une relation amicale et professionnelle de longue date avec le gérant de cette société", "en l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision".

L'Apasp

Référence : cour de cassation, chambre criminelle, 13 janvier 2016, n° 14-88382