Printemps de la ruralité : le terrain a livré son verdict
Les concertations régionales organisées dans le cadre du "Printemps de la ruralité" voulu par Rachida Dati sont désormais achevées. Dans toute la France, atouts et freins à la pratique culturelle dans les territoires ruraux ont été disséqués. Revue de détail à travers les exemples de trois régions…
Dès son arrivée rue de Valois, en janvier dernier, la ministre de la Culture, Rachida Dati, lançait le "Printemps de la ruralité" (lire notre article du 23 janvier). Derrière ce syntagme fleuri, il s'agissait d'organiser une grande concertation sur l'offre culturelle dans les campagnes françaises. De ce grand échange, la ministre espérait voir surgir une idée plus précise du rôle que l'État peut jouer en appui des collectivités pour favoriser le développement des actions culturelles dans ces territoires.
Sur le terrain, les acteurs concernés ont donc organisé des débats sous l'égide des Drac (direction régionale des affaires culturelles). Ce fut par exemple le cas à Saint-Just-Saint-Rambert (Auvergne-Rhône-Alpes), où 250 personnes – élus locaux, agents de collectivités, responsables de lieux labellisés, artistes, etc. – se sont retrouvées, ou encore à Falaise (Normandie) et à Château-Arnoux-Saint-Auban (Provence-Alpes-Côte d'Azur).
Volonté des élus locaux
En Normandie, on est entré dans le vif du sujet en mettant sur la table (ronde) la question des modalités de la vie culturelle en territoire rural et ses avantages. Et l'on a constaté que la culture en ruralité "pouvait être tout à fait innovante dans ses formes en investissant de nouveaux lieux, et en proposant des interventions basés sur le temps long, de la résidence à l’implantation, et la rencontre avec les habitants."
Si le territoire rural offre en effet des possibilités spécifiques, rien n'est cependant possible sans coopération et accompagnement. Plus qu'ailleurs, des moyens humains sont indispensables dans les petites collectivités rurales pour assurer l’ingénierie nécessaire au portage des politiques culturelles. À Falaise, la concertation a aussi été l'occasion de souligner l’importance de la volonté des élus locaux pour développer la culture en ruralité. Au final, il est ressorti de la concertation normande que la création de lien avec les habitants en milieu rural semble être tout à la fois un but mais aussi une condition de réussite.
"Sous-budgets réservés au milieu rural"
Ce besoin de "se mettre en lien" ou de "chercher des ressources extérieures" a également été au centre des débats à Saint-Just-Saint-Rambert. Et si, pour y parvenir, les participants ont mis en avant la nécessité de "favoriser l’interconnaissance", notamment à travers des actions communes et des partenariats entre artistes, acteurs culturels et élus, ils ont aussi déploré des "freins réels". Ceux-ci vont du manque d'équipements capables de porter des projets au manque d’habitude de pratiques culturelles des habitants – qui peut aller jusqu'à la "défiance" –, en passant par l'absence de volonté politique et la diminution des financements.
À Château-Arnoux-Saint-Auban, les freins ont également été évoqués rapidement. Et la question de la mobilité est arrivée en tête des préoccupations, qu'on l'envisage sous l'angle de l'accessibilité, du coût des transports ou de la "faiblesse" de l'offre de transports publics. La lourdeur administrative et les financements publics contraints se sont également invités dans le débat, au point qu'il a été question de "sous-budgets réservés au milieu rural". Enfin, les participants en Provence-Alpes-Côte d'Azur ont déploré la "mentalité", "la peur de l'inconnu" et les "a priori", tout comme ils ont souligné le manque de volonté politique parmi les obstacles.
Définir une "échelle administrative de projet"
Face à ces freins, les acteurs du débat en Auvergne-Rhône-Alpes ont avancé des propositions : s’appuyer sur l’existant (labels nationaux, maillage des bibliothèques et cinémas, schémas départementaux d’enseignement artistique…), faciliter la présence de personnes ressources en proximité, mettre en réseau les acteurs ou encore simplifier l'accès aux subventions. D'un point de vue institutionnel, ils proposent de définir une "échelle administrative de projet", qui pourrait être l’intercommunalité, vue comme une "échelle de partenariat et de coordination". De plus, les conventions territoriales (contrats territoire lecture, projets culturels de territoire, etc.) sont plébiscitées, et une contractualisation entre services de l’État et collectivités sur plusieurs années paraît à même de faciliter le dialogue.
En Provence-Alpes-Côte d'Azur, si la proximité a été citée comme un frein, elle fait aussi partie des solutions pour "faire avancer la démocratisation culturelle par une diffusion plus fine". Plus largement, la participation des habitants est jugée "centrale, comme ailleurs, mais peut-être plus fortement dans le milieu rural". Et ce d'autant plus que dans les campagnes, "sans bénévoles, il n'y a plus grand-chose". Enfin, dans ces espaces "où les équipements culturels sont rares, il existe de nombreux lieux hybrides qu'il faut consolider" ou dont il faut "favoriser l'émergence". Les participants allant jusqu'à imaginer des "ressourceries de la culture".
Vers des assises nationales
Qu'ils aient débattu en Normandie, Auvergne-Rhône-Alpes ou Provence-Alpes-Côte d'Azur, les participants au "Printemps de la ruralité" ont dressé un constat commun : les territoires ruraux ont autant d'atouts que de handicaps spécifiques pour faire vivre une offre culturelle, notamment en itinérance. Le lien social et la participation des habitants semblent y tenir un rôle plus important qu'ailleurs, de même que la place des élus locaux y est plus pesante qu'en ville.
Aux yeux des habitants, même si elle ne peut se suffire à elle-même, la coopération entre les collectivités et l'État est prépondérante, tout comme le sont les subventions à un tissu associatif fragile en quête de soutien, financier bien sûr, mais aussi en ingénierie de projet.
Le "Printemps de la ruralité" doit dorénavant se poursuivre par des assises nationales. Programmées fin avril, elles ont été reportées à une date encore indéterminée.