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Politique de la ville - Présidentielle : l'USH propose une trame pour les futurs discours de la "dalle d'Argenteuil"

Depuis que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur en déplacement dans le quartier du Val d'Argent, y a parlé de "racaille", la dalle d'Argenteuil est un lieu symbolique. Le politologue Madani Cheurfa fait le pari que, douze ans plus tard, c'est là que les candidats à l'élection présidentielle s'exprimeront sur leur vision des quartiers de la politique de la ville. Pour faciliter cet exercice, l'Union sociale pour l'habitat leur dresse la liste les points à ne pas oublier et souffle au passage quelques idées dans un manifeste présenté le 17 janvier dans le grand amphithéâtre du Palais Brongniart.

La "dalle d'Argenteuil" sera, selon Madani Cheurfa, secrétaire général du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), le "passage obligé" des candidats à la présidentielle. Souvenez-vous, c'est là, dans le quartier du Val d'Argent, construit dans le plus pur style urbanistique des années 60, que, en 2005, Nicolas Sarkozy lance à une habitante se plaignant de l'insécurité : "Vous en avez assez de cette bande de racaille ? Eh bien, on va vous en débarrasser !" Durant la campagne présidentielle de 2007, Jean-Marie Le Pen revient sur les lieux, qui deviennent dans son discours le symbole des "territoires abandonnés par les politiciens français." Dominique de Villepin fait le déplacement en 2012 et Alain Juppé en novembre dernier. Cela ne leur a pas porté chance.

La question des quartiers passera-t-elle à la trappe ?

L'Union sociale pour l'habitat semble moins optimiste que Madani Cheurfa. La fédération représentant les organismes HLM craint que la question des quartiers ne passe tout simplement à la trappe. "Les quartiers sont les grands oubliés de la campagne électorale qui débute", constate-t-elle aujourd'hui. C'est même la première phrase de son manifeste présenté le 17 janvier, dans le grand amphithéâtre du palais Brongniart (le fait que ce lieu, aujourd'hui dédié aux congrès, galas et conférences, accueillit longtemps la Bourse de Paris ne saurait être cette fois interprété comme un symbole, précise Frédéric Paul, délégué général de l'USH).
Par ce texte d'interpellation aux candidats à la présidentielle, l'USH voudrait, tant qu'il est encore temps, réparer cet "oubli". Pour cela elle leur rappelle que "tout concourt, dans une France qui devient vulnérable, à faire de nos quartiers les boucs émissaires de l'échec de notre République, à stigmatiser leurs habitants".
Les organismes HLM observent que "les difficultés auxquelles sont confrontés certains quartiers n'ont jamais été aussi grandes : abandon par les services publics, difficultés à accéder à l'emploi, inégalités scolaires, insécurité croissante". La liste est posée, aux candidats de s'en saisir et d'y ajouter leur touche politique. Sur le fond, rien de bien nouveau dans les propositions de l'USH puisqu'il s'agit d'une adaptation de CAP HLM validé au dernier congrès HLM, en septembre dernier, à Nantes (voir notre article du 30 septembre 2016).

Des "OIN de solidarité" dans les quartiers en sécurité "aggravée"

Tous les candidats devraient être d'accord pour affirmer avec l'USH que "la sécurité et la justice garanties par l'Etat sont des droits, intrinsèquement liés aux libertés fondamentales". Cela ferait également plaisir aux futurs électeurs d'entendre que "la présence de la police et des magistrats doit être assurée dans les quartiers", et même que "la présence humaine coordonnée de la police nationale et la police municipale ainsi que les dispositifs de médiation sont essentiels".
Après, l'USH aimerait que les candidats s'engagent plus concrètement, par exemple en promettant la généralisation des maisons du droit et de la justice dans les quartiers et la mise en place de dispositifs de type "OIN de solidarité" visant à "rétablir l'ensemble des droits à la sécurité, à l'éducation et à l'emploi dans les quelques quartiers qui connaissent une situation d'insécurité aggravée". Dans certains quartiers de Seine-Saint-Denis, a témoigné Stéphane Peu, président de Plaine Commune Habitat, 80% des interpellations des locataires aux bailleurs portent sur des problèmes de délinquance ou d'insécurité, alors qu'elles ne dépassaient les 20% il y a 15 ans. Il souligne que la problématique est très souvent liée au trafic de stupéfiants, qui représente une économie parallèle en concurrence directe avec l'économie légale. D'où son appel au "retour de l'Etat dans ses missions régaliennes".
Plus inattendu, l'USH souffle en effet l'idée aux candidats à la présidentielle de s'intéresser de près à "l'avenir des enfants des quartiers", en ayant bien en tête que c'est là que "se joue l'avenir de la cohésion sociale". Les solutions proposées ne sont pas nouvelles : baisse des effectifs dans les classes, mixité scolaire, pédagogies "adaptées", développement du périscolaire, scolarisation des enfants de moins de 3 ans, soutien à la parentalité.

Haro sur les démolitions !

On est en revanche peu surpris d'entendre l'USH demander la poursuite de la politique de renouvellement urbain de l'Etat, et même un coup d'accélérateur. Elle demande précisément le doublement du nombre de démolitions, soit 10.000 logements par an. Pour y parvenir, l'Anru devrait mettre 12 milliards d'euros sur la table, comme elle l'avait fait du temps de Jean-Louis Borloo (et non pas 6 milliards d'euros - dont 5 venant d'Action Logement - comme le gouvernement actuel s'y est engagé dans le cadre du nouveau programme de renouvellement urbain).
De même, pour "en finir avec la ségrégation et la stigmatisation des quartiers", l'USH suggère que le traitement des copropriétés dégradés soit "garanti par des interventions systématiques". "Interventions systématiques" également pour les territoires en décroissance et qui affichent en conséquence de forts taux de vacances de logements dans le parc social (et dans le parc privé "social de fait") avec des difficultés financières à la clé pour les bailleurs.

Un incubateur d'emploi et d'activité dans chaque quartier

Au niveau de l'emploi et du développement économique, l'USH les pense à l'échelle intercommunale. Selon elle, les candidats seraient bien inspirés de montrer en quoi ils comptent "intégrer les habitants et leurs initiatives dans la dynamique économique des agglomérations". Sa suggestion : "activer un incubateur d'emploi et d'activité par quartier". Lors d'un atelier sur le sujet, plusieurs intervenants ont souligné la nécessité de décloisonner les initiatives de création d'emploi, de création d'activités et d'insertion professionnelle.
Le manifeste aux candidats à la présidentielle n'aurait pas été complet sans un chapitre sur la participation des habitants à "l'évolution et à la gestion de leur cadre de vie", partant du postulat que "la lutte contre toutes les formes de discrimination va de pair avec l'affirmation et la pratique de la citoyenneté". L'USH suggère en la matière la création d'un "fonds national à l'action citoyenne".

"Les enjeux d'Argenteuil seront présentés comme les enjeux de tous les quartiers"

Le politologue Madani Cheurfa a prévenu l'auditoire : le mode de scrutin de l'élection présidentielle fait que, pour un sujet comme celui des quartiers (mais comme beaucoup d'autres), les candidats en parleront "peu ou pas du tout", et s'ils en parlent ce sera "mal", "en mal" et "de manière infidèle", du point de vue des acteurs de la politique de la ville. "Les enjeux d'Argenteuil seront présentés comme les enjeux de tous les quartiers", prédit-il.
Et si on se met dans la tête d'une équipe de campagne, le dilemme serait, selon le politologue du Cevipof, le suivant : "faut-il distinguer ces quartiers dans notre programme ou les insérer dans le récit national ?". Avec un mot d'ordre : "refuser le misérabilisme qui dérape et l'angélisme qui discrédite". L'USH aimerait que les discours aillent un peu plus loin.