"Près de 70% de la législation européenne est mis en œuvre par le million d’élus locaux et régionaux de l’UE"
Le Comité européen des régions organise ces 18 et 19 mars à Mons (Belgique) son traditionnel sommet des régions et des villes d’Europe. Marie-Hélène Herry, maire de Saint-Malo-de-Beignon (Morbihan) et par ailleurs membre du comité directeur de l’Association des maires de France, nous livre ses premières impressions sur ce comité qu’elle a rejoint il y a peu, et évoque, au-delà, les difficultés que rencontrent les élus locaux pour investir la sphère européenne.
Localtis - Que vous inspirent vos premiers six mois au sein du Comité européen des régions ?
Marie-Hélène Herry - Mes premières impressions sont très positives. L’instance conduit de véritables débats de fond, sur des sujets prégnants pour nos concitoyens, qui intéressent directement leur quotidien. Récemment, nous avons ainsi débattu et travaillé sur la pénurie de médicaments, l’avenir de la politique agricole commune, celui du logement ou encore la santé mentale. Autant de questions qui me sont familières en tant qu’élue locale, mais que l’on aborde ici à un autre stade. Cela peut de prime abord apparaître moins concret car de l’ordre du législatif, mais ce n’est in fine pas du tout le cas. Cela permet de donner du sens, mais aussi de voir d’où viennent les lois que nous avons à mettre en application, et ce qui va arriver, les grandes orientations à venir. J’ajouterais que ces débats sont en outre éclairés par différents documents de travail – issus de la Commission ou du Parlement, ou encore, pour les seuls membres français, du cabinet du Premier ministre sur la position de la France sur divers sujets –, tous très enrichissants, même si leur volume est conséquent. Reste à mesurer l’impact de ce travail. Il est encore difficile à cerner en ce qui me concerne, puisque je ne siège au comité que depuis six mois. Le processus est assez long, je n’ai pas encore connu le cycle complet d’un texte. Je viens par ailleurs tout juste d’être nommée rapporteur fictif d’un avis sur "la promotion du tourisme des racines pour une revitalisation locale durable", afin de mieux participer de l’intérieur à l’ensemble du processus. Je n’ai donc pas encore le recul nécessaire. Quand l’Association des maires de France m’a proposé de rejoindre le comité, j’avais contacté Isabelle Boudineau (conseillère déléguée à l’Europe de Nouvelle-Aquitaine, membre du Comité des régions, ndlr) pour avoir son avis sur l’opportunité de s’y investir, et elle m’avait indiqué que les avis du Comité étaient de plus en plus pris en compte. Mais aussi qu’y travailler permettait d’avoir "un coup d’avance" en termes de compréhension des orientations de nos lois à venir. J’ai aussi pu constater que sur certains sujets, membres du comité et députés européens travaillent de concert.
Jusqu’ici, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
Sans conteste, le fait que nous rencontrons tous les mêmes difficultés sur le plan local. On a tendance à penser que notre situation est toujours très particulière, voire unique. C’est tout sauf le cas, et cela m’a très fortement marquée. Un exemple : la pénurie de médicaments. Je pensais que seule la France, ou presque, était concernée, notamment du fait de sa désindustrialisation. Or je m’aperçois que c’est un problème qui dépasse largement nos frontières et avec lequel nombre de nos voisins doivent également composer. Lors d’un récent débat sur le logement, domaine que je suis particulièrement du fait de mon implication au sein de Morbihan Habitat, j’avais prévu d’intervenir pour témoigner ce que je pensais être une singularité de mon territoire. J’ai finalement renoncé à prendre la parole, constatant que mes collègues étrangers qui étaient intervenus avant moi avaient déjà tout dit…
En toute franchise, connaissiez-vous le comité avant d’être appelée à y siéger ?
Je connaissais effectivement le comité et son action. Je dois avouer que j’ai un parcours particulier avec l’Europe, qui n’est peut-être pas représentatif. J’ai notamment eu la chance de faire partie des neuf Français retenus pour participer à l’"Erasmus des élus locaux et régionaux" qui avait été organisé en 2013. Cela avait été très enrichissant là encore. À ma connaissance, ce programme n’a toutefois pas été reconduit, en dépit d’un avis en ce sens du Comité européen des régions rédigé en 2018 par François Decoster, président du groupe Renew et qui faisait aussi partie des neuf membres français que j’évoquais. Il a néanmoins été remplacé depuis par le programme YEP [voir notre article du 13 mars 2023], dont la philosophie me paraît assez proche. Pour certains de mes collègues qui n’ont pas eu cette opportunité, il est vrai que l’Europe reste souvent un peu lointaine. En tant qu’élu, on sait surtout qu’il existe des fonds européens, que l’on peut solliciter. Le programme Leader constitue souvent la porte d’entrée.
Le fonctionnement de l’Union européenne ne les dépasse-t-il pas un peu ?
Sans doute. Comme le fonctionnement de nos propres institutions d’ailleurs pour nos concitoyens. Lorsque l’on est élu maire pour la première fois, il est pour beaucoup obscur, et une formation en début de mandat paraît un préalable intéressant. Je constate que depuis que j’ai été élue pour la première fois en 2008, des progrès ont été réalisés en matière de formation des élus. C’était d’autant plus nécessaire que notre intervention devient de plus en plus technique et multidimensionnelle, notamment du fait du désengagement et d’un moindre accompagnement de l’État. Pour revenir à la dimension européenne, il est également important de voyager et d’échanger, mais ce n’est guère évident pour tous, pour diverses raisons. Un maire, surtout dans les petites communes, est absorbé par la gestion du quotidien et manque de moyens. Avouons-le également, cela n’est pas très bien vu par certains de nos concitoyens.
Qu’entendez-vous par là ?
Certains concitoyens, surtout dans les petites communes, attendent que le maire soit très présent. Or, de plus en plus de réunions le conduisent à être absent de sa commune, pouvant donner l’impression qu’il "n’est jamais là". C’est le cas lorsque nous participons à des réunions de la communauté de communes, il est vrai de plus en plus nombreuses et qui se déroulent rarement dans nos communes alors que c’est évidemment en lien direct avec notre activité de maire. Il est difficile de faire évoluer le regard du citoyen en la matière. Comme je l’évoquais, siéger au Comité européen des régions, par exemple, est très enrichissant, cela permet d’être mieux informé, d’être plus pertinent, de porter la parole de nos localités et de nos réalités, de faire vivre la démocratie, le tout au bénéfice de nos concitoyens. Mais ce n’est malheureusement souvent pas ainsi perçu.
Comment évolue selon vous leur regard sur l’Europe ?
D’emblée, j’aurais tendance à vous dire que l’hostilité à son égard va croissant. Il est vrai que l’on a tendance à lui faire porter tous nos maux, alors que nombre d’entre eux viennent d’une surlégislation française. Mais à la réflexion, je pense que je fais toujours face à trois groupes — les hostiles, les indifférents et les promoteurs — dont je ne suis finalement pas certaine que les proportions varient beaucoup. Il m’est difficile de le mesurer. Dans tous les cas, si mes concitoyens se rendent compte de l’importance que revêt désormais l’Europe dans nos vies, la commune reste pour eux l’échelon du quotidien, et donc prioritaire. Mais les deux sont désormais très liées. C’est d’ailleurs ce que devrait notamment rappeler la déclaration de Mons, qui sera adoptée à l’issue du sommet de la semaine prochaine. Près de 70% de la législation européenne, plus de la moitié des investissements publics de l’Union européenne sont mis en œuvre par les quelque 1 million d’élus locaux et régionaux de l’Union.
La participation à un événement comme le sommet des régions et des villes n’est-elle pas une bonne introduction à cette dimension européenne ?
Tout à fait, et je ne peux qu’encourager nos élus à y participer. Mais là encore il faut garder en tête le principe de réalité. Pour un élu d’une petite municipalité, c’est très difficile. Il y a déjà le coût du déplacement : beaucoup de nos communes n’ont pas les moyens de les prendre en charge, et quand bien même elles les auraient, je ne sais pas si les élus se le permettraient, préférant les consacrer à des besoins très concrets de leur commune. Et c’est pire si l’élu est encore dans la vie active, puisqu’il doit alors soit prendre des congés, soit renoncer à son activité, et aux revenus afférents.