Pour la Cour des comptes, le Pass culture a un impact limité sur les pratiques culturelles des jeunes
Le premier rapport de la Cour des comptes sur le Pass culture dresse un bilan limité de ce dispositif en termes de démocratisation des pratiques. Il déplore aussi une croissance des dépenses mal anticipée et une gouvernance à revoir en profondeur.
Un dispositif qui a un impact limité sur les pratiques culturelles et touche moins les jeunes les plus éloignés de la culture, c'est ainsi qu'apparaît le Pass culture dans le premier rapport, publié le 17 décembre, que lui consacre la Cour des comptes. Trois ans après sa généralisation, ce dispositif présenté comme une "politique prioritaire du ministère de la Culture" est donc loin d'avoir rempli ses objectifs.
Lancé en 2019, généralisé en 2021 à tous les jeunes âgés de dix-huit ans, puis élargi en 2022 aux jeunes de quinze à dix-sept ans, le Pass culture offre un crédit individuel d'un montant de 20 à 300 euros annuels (la part collective créée par le ministère de l'Éducation nationale ne fait pas l'objet du rapport) pour accéder à des activités ou à des biens culturels. Le but ? Favoriser l'accès à la culture en autonomie, encourager la diversité des pratiques, proposer des offres attractives et personnalisée aux utilisateurs. Autant d'objectifs jugés "ambitieux" par la Cour des comptes.
Près du tiers du public prioritaire absent
Si l'ambition quantitative est en passe d'être réalisée, avec 4,2 millions de jeunes inscrits sur l'application depuis 2019 – soit 84% des jeunes de dix-huit ans révolus –, celle visant la démocratisation de l'accès à l'offre culturelle constitue aujourd'hui le point noir du bilan : seuls 68% des jeunes dont les parents sont peu ou pas diplômés et exercent une profession d'ouvrier ou d'employé ont activé leur pass.
Cette critique sur l'atteinte des cibles peut néanmoins être nuancée : environ 8% des utilisateurs du pass résident dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et 30% en zone rurale, soit des proportions "globalement cohérentes avec les populations de jeunes résidant dans ces zones".
Une médiation insuffisamment développée
La Cour critique en outre un catalogue extrêmement étoffé de 36.000 offres qui trahirait une "absence de sélectivité", voire des dérives. À l'exemple des "escape games", inéligibles au dispositif et pourtant financés à hauteur de 16 millions d'euros avant que le ministère de la Culture, à l'issue de l'enquête de la cour, n'en demande le déréférencement. Mais c'est surtout la surreprésentation de certains achats qui est pointée du doigt : depuis la généralisation du dispositif, les livres représentent entre 42 et 55% des montants dépensés, et la part des mangas dans les achats de livres, bien qu'ayant chuté de moitié en trois ans, est de 20%.
En outre, si le pass sert "beaucoup" à réserver des places de cinéma et de concerts, seuls 7% des jeunes ont réservé au moins une fois un spectacle vivant autre que musical (théâtre, danse, cirque, etc.). La Cour déplore que les grands opérateurs publics du spectacle vivant "semblent réticents à s'ouvrir au public détenteur du Pass culture". Tout comme elle regrette que seuls 55% des musées soient inscrits dans le dispositif. Ainsi, "la médiation n'apparaît pas suffisamment développée au sein de la part individuelle pour contrecarrer les inégalités structurelles préexistantes à l'accès à la culture", souligne la Cour des comptes.
Mieux financer, mieux gouverner
Côté financier, la Cour observe que le "Pass culture est financé par l'État, loin de l'objectif initial d'un financement à 20% par l'État et à 80% par d'autres ressources" et "s'apparente à une dépense de guichet" dont la croissance a été "mal anticipée", puisque les crédits budgétaires de la part individuelle sont passés de 92 millions d'euros exécutés en 2021 à 244 millions en prévisions d'exécution pour 2024. Elle demande donc des "arbitrages" pour assurer la maîtrise des coûts, par exemple en réduisant le crédit alloué aux jeunes âgés de dix-huit ans (300 euros actuellement), en soumettant le pass à des conditions de ressources ou en ciblant les bénéficiaires selon des critères sociaux ou territoriaux.
In fine, la Cour estime que la gouvernance du Pass culture est "à revoir en profondeur", mais en deux temps. D'abord à travers la transformation de la SAS Pass culture, gestionnaire privé du dispositif, en opérateur de l'État, déjà recommandée par un précédent rapport de juillet 2023 et annoncée par le ministère de la Culture pour 2025. Ensuite par une internalisation des équipes au sein du ministère de la Culture, "qui doit se réapproprier cette mission".
En attendant cette internalisation, qui constitue la première recommandation de son rapport, la Cour des comptes demande notamment au ministère de la Culture de développer, dans les secteurs plus éloignés des pratiques habituelles des utilisateurs (spectacle vivant, musées, etc.) et en lien avec les acteurs culturels, des offres comportant un volet médiation et de les mettre en avant sur l'application. Elle recommande également d'inscrire en loi de finances, dès l'exercice 2025, des crédits cohérents avec une "nécessaire maîtrise de la dépense et un éventuel recalibrage du dispositif".
Eu égard au niveau de l'engagement financier de l'État dans le Pass culture, ce dossier devrait se trouver en haut de la pile sur le bureau du futur ministre de la Culture. Et on se souviendra que Rachida Dati, en poste depuis le début de l'année, a récemment annoncé sa volonté de réformer le Pass culture sur des points souvent identiques à ceux pointés par la Cour des comptes (lire notre article du 11 octobre).