Qualité de vie - Politiques temporelles : Edmond Hervé refait le point
"Il convient d'innover et de préparer les adaptations nécessaires dans nos villes pour que la vie des habitants ne soit plus une succession de contraintes au rythme imposé et subi et soit sensiblement améliorée", écrivaient en 2001 Nicole Pery et Claude Bartolone, alors respectivement secrétaire d'Etat aux Droits des femmes et à la Formation professionnelle et ministre délégué à la Ville, dans une lettre de mission adressée à Edmond Hervé, alors député-maire de Rennes. Treize ans après la rédaction de son premier rapport intitulé "Temps des villes", Edmond Hervé, devenu sénateur, propose un nouvel état des lieux des politiques temporelles des collectivités.
"Les politiques temporelles visent à améliorer la qualité de vie en desserrant l'étau du temps, à rendre la vie plus aimable, plus attractive, à faciliter le vivre ensemble." D'après le rapport, cela passe d'abord par une prise de conscience : les temps changent (allongement de la durée de la vie, mutations du travail, mobilité, nouvelles technologies…) et les administrations publiques y contribuent. Rythmes scolaires, horaires d'ouverture des crèches ou encore des bibliothèques, transports en commun… les services publics "génèrent des rythmes", rythmes qui ne sont pas toujours "synchronisés" avec les autres rythmes des habitants et en particulier celui du travail. Les accrocs suscités par l'actuelle réforme des rythmes scolaires illustrent bien, d'ailleurs, ce que peuvent être ces difficultés de synchronisation ou d'articulation ! On peut aussi songer aux éternels débats - qui ont récemment resurgi - sur la question des horaires d'ouverture des bibliothèques, même si dans ce domaine, des initiatives intéressantes, par exemple à Rennes justement avec une ouverture le dimanche - existent (voir notre article du 24 mars).
Gestion de l'hyperpointe
Le rapport fait le point sur les politiques temporelles actuellement menées en France, à l'appui d'auditions d'élus et de professionnels de collectivités ayant investi ce champ, telles que les villes de Caen, de Poitiers, de Rennes, de Saint-Denis ou encore la communauté d'agglomération de Montpellier. Mobilité, aménagement urbain, télétravail, travail dominical, éducation et formation, santé… les "bureaux des temps" peuvent potentiellement s'intéresser à l'ensemble des politiques ayant un impact sur la vie quotidienne. Avec des initiatives diverses et parfois de simple bon sens, telles que la décision de la ville de Brive-la-Gaillarde d'ouvrir une fois par semaine ses services administratifs pendant la pause méridienne.
Sur les enjeux de mobilité, le rapport montre comment l'approche temporelle peut faciliter la concertation et faire émerger de nouveaux types de solutions à l'"hyperpointe". Ainsi, dans l'agglomération lyonnaise, "l'espace des temps [du Grand Lyon] a réuni autour d'une table les établissements d'enseignement publics et privés, les parents d'élèves, l'autorité organisatrice des transports (le Sytral), Kéolis, la SNCF, le conseil général, qui gère les bus scolaires, le Grand Lyon, les communes concernées et un bureau d'études". Avec, à l'issue de ce travail collectif, la décision de "décaler de quinze minutes l'ouverture des portes des collèges privés et publics le matin et le soir", permettant ainsi une baisse du trafic sur un axe de Neuville-sur-Saône, auparavant congestionné.
Fédérer et simplifier
Aménager en prenant en compte le temps autant que l'espace, mieux cerner la demande des habitants, aborder les difficultés de façon transversale : le rapport met en avant le rôle fédérateur et de simplification des politiques temporelles. Une approche qui rappelle l'esprit des démarches de développement durable des collectivités. "Pour aller vers la 'ville optimale', la 'ville durable', il nous faut également mettre en place des procédures et des équipements qui soient économes en temps," défend le rapport qui recommande aux collectivités de rechercher toute forme de mutualisation de leurs locaux (guichets uniques, plateformes d'appui, équipements polyvalents...).
Les collectivités peuvent aussi jouer un rôle dans l'évolution des horaires de travail de certains métiers dits difficiles. Ainsi, plusieurs collectivités ont cherché à encourager la mise en place d'horaires continus pour les agents de propreté. A Nantes, une charte élaborée par plusieurs partenaires (la ville, la maison de l'emploi, la fédération régionale des entreprises de propreté...) a recueilli environ 140 signatures. A Caen, la mise en place du travail continu a permis une baisse de l'absentéisme de 57% des agents de propreté, qui sont souvent des femmes.
Surtout les grandes villes et agglomérations
En effet, outre la recherche d'une meilleure qualité de vie, les politiques temporelles poursuivent à l'origine un objectif de "lutte contre les inégalités entre les hommes et les femmes", précise le rapport qui fait notamment référence aux initiatives de femmes du parti communiste dans l'Italie des années 1980. Aujourd'hui d'ailleurs, la dernière ministre en date à avoir abordé le sujet est Najat Vallaud-Belkacem, la ministre à la fois en charge des Droits des femmes et de la Ville, qui, à la mi-juin, invitait les quartiers prioritaires à "reprendre la réflexion sur les bureaux des temps, pour permettre aux acteurs locaux de mettre à plat le rythme de vie des femmes et d'en tirer toutes les conséquences dans l'organisation des services publics" (voir notre article du 20 juin).
En France, parallèlement aux réflexions menées sur l'aménagement et la réduction du temps de travail dès les années 1950, certains territoires se sont investis assez précocement dans le sujet. A l'instar du district de la région parisienne et de son "comité pour l'étude de l'aménagement des horaires de travail et des temps de loisirs dans la région parisienne" à partir de 1966.
Depuis le début des années 2000, "nombreuses sont les collectivités territoriales qui s'investissent dans la démarche temps, par la création de 'bureaux des temps', d''agences des temps', de 'missions temps'', estime le rapport sans toutefois avancer de chiffrage. En 2010, l'association Tempo Territorial – ou "Réseau national des acteurs des démarches temporelles" - fédérait une trentaine d'organisations, dont une quinzaine de grandes villes, plusieurs communautés d'agglomération et communautés urbaines, deux départements, une région et deux universités. Créé en 2004 à l'initiative d'élus et professionnels de collectivités déjà actives sur ce sujet, ce réseau anime la réflexion et l'échange d'expériences sur les politiques temporelles et fournit un appui méthodologique aux acteurs qui souhaiteraient investir ce champ. Pour l'association, l'expérience montre que le portage politique de telles démarches est indispensable.