PLFSS pour 2024 : en commission, les sénateurs rejettent la trajectoire financière jugée périlleuse pour le modèle social
Les sénateurs de la commission des affaires sociales dénoncent à la fois une aggravation "assumée" du déficit de la Sécurité sociale jusqu’en 2027 et des projections trop optimistes pour 2024. Ils demandent des réformes structurelles et, concernant les réformes engagées, davantage de pilotage et d’anticipation des impacts financiers. Une expérimentation sur trois ans dans dix départements est préconisée concernant la réforme de la tarification des Ehpad.
"Le gouvernement présente une trajectoire qui est un aveu d’impuissance." Rapporteure générale de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, la sénatrice Élisabeth Doineau (UC, Mayenne) présentait avec ses collègues, ce 9 novembre 2023 devant la presse, les principaux amendements retenus par la commission des affaires sociales. Cette dernière a en particulier rejeté l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) 2024, "jugé insincère", ainsi que la trajectoire financière jusqu’en 2027 "marquée à la fois par une aggravation du déficit et par des hypothèses optimistes".
Avec la fin des dépenses exceptionnelles liées à la crise sanitaire, on aurait pu s’attendre à une trajectoire démontrant la recherche d’équilibre des régimes obligatoires de base, ou au moins la simple stabilisation du déficit, explique la rapporteure. "Mais c’est tout autre", déplore Élisabeth Doineau en pointant la courbe du déficit qui se creuse. Après un déficit réévalué à 8,8 milliards d’euros en 2023 (soit +1,7 milliard par rapport à la loi de financement initiale), le déficit atteindrait 11,2 milliards d’euros en 2024 et 17,5 milliards d’euros en 2027, selon les projections du gouvernement. Et ce déficit pourrait même atteindre 25 milliards d’euros en 2027, d’après les calculs de la commission du Sénat. "On laisse la dette aux générations futures et on met en danger notre système social", juge la sénatrice.
Reporter la réforme de la tarification des établissements de santé à 2028, après expérimentation
Selon elle, les efforts mis en avant par le gouvernement – pertinence des soins, lutte contre la fraude, organisation… – ne traduisent pas "une véritable ambition d’assainir les comptes sociaux". "On réabonde une situation qui est extrêmement compliquée. Par manque de réforme structurelle, on continue sur la même logique : plus de moyens, plus de déficits, moins de qualité de soin et d’accès aux soins et une difficulté vis-à-vis du personnel", résume Philippe Mouiller (LR, Deux-Sèvres), président de la commission des affaires sociales. Ce dernier dénonce un manque de pilotage des comptes sociaux et demande au gouvernement de revenir vers le Parlement pour débattre des évolutions souhaitables.
Concernant la réforme de la tarification des établissements de santé, les sénateurs de la commission y sont favorables sur le fond mais considèrent que la réforme s’effectue dans la "précipitation" et sans "aucune anticipation de ses effets financiers". "À enveloppe constante, il y aura des gagnants et des perdants", alertent-ils. Ils optent donc par amendement pour "un report au 1er janvier 2028, au terme d’une expérimentation".
Clarifier les relations financières entre la CNSA et les départements
L’expérimentation est également préconisée concernant la réforme du financement des Ehpad. La fusion des sections soins et dépendance serait expérimentée pendant trois ans dans une dizaine de départements. Le gouvernement prévoyait de laisser les départements volontaires se saisir de cette possibilité. Le risque, c’est d’"accentuer les disparités entre départements", pour Chantal Deseyne (LR, Eure-et-Loir), rapporteure pour la branche autonomie. "55% des Ehpad sont dans une situation financière critique", rappelle par ailleurs la sénatrice, qui considère que les mesures prévues dans le PLFSS – fonds d’urgence de 100 millions d’euros, création de 6.000 ETP – sont "très loin des ambitions affichées".
À l’article 10, la commission a par ailleurs supprimé "la neutralisation de l’augmentation du plafond des compensations de la CNSA aux départements pour la PCH [prestation de compensation du handicap] et l’APA [allocation personnalisée d’autonomie] qui devrait normalement résulter du transfert de 0,15 point de CSG de la Cades [Caisse d’amortissement de la dette sociale] à la CNSA [Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie]". Les sénateurs demandent en outre une clarification des relations financières entre la CNSA et les départements, pointant notamment des effets contrastés de la compensation du coût de la mise en place du tarif plancher pour les services à domicile – "effets d’aubaine" ou à l’inverse départements "lésés" parce qu’ils "avaient déjà fait l’effort d’avoir des tarifs plus élevés que la moyenne".
"La natalité s’effondre et le gouvernement regarde ailleurs"
Les sénateurs déplorent enfin "un PLFSS quasiment blanc pour la branche Famille". "La natalité s’effondre et le gouvernement regarde ailleurs", interpelle le rapporteur Olivier Henno (UC, Nord), le nombre de naissances étant passé selon lui de 850.000 à 700.000 par an en 10 ans. La commission a transféré 2 milliards d’euros de recettes de la taxe sur les salaires depuis la branche maladie-maternité vers la branche famille, pour doter cette dernière d’une "capacité de financement" nécessaire à des "réformes ambitieuses de politique familiale". Olivier Henno cite en particulier le rétablissement de l’universalité des allocations familiales, des efforts sur le complément de mode de garde (CMG) et sur le congé parental.
Et si la commission "prend acte" de la hausse des moyens prévus pour les accueils collectifs en lien avec la mise en place du service public de la petite enfance, le rapporteur observe que, du fait des difficultés de personnel, ce sont aujourd’hui "plutôt des crèches qui ferment que des crèches qui ouvrent".
En tout, 151 amendements ont été adoptés par la commission des affaires sociales sur ce PLFSS pour 2024. Le texte financier sera examiné par les sénateurs en séance publique à partir du 13 novembre.