PLF 2025 et transition écologique : I4CE propose des "pistes de réforme"
Le think tank I4CE a mis en ligne ce 2 octobre un "billet" proposant plusieurs "pistes de réforme" du projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Il préconise notamment de maintenir l'an prochain les autorisations d’engagement du fonds vert et de le réformer pour en faire un véritable outil contractualisé et pluriannuel accompagnant le processus de territorialisation de la planification écologique.
Alors que le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 devrait être présenté en conseil des ministres ce 10 octobre, le think tank I4CE a mis en ligne ce 2 octobre un "billet" proposant plusieurs pistes de réforme pour le projet de loi de finances (PLF) 2025, issues de ses travaux et d’une première analyse de la performance des instruments budgétaires au travers de "trois critères de priorisation" – "efficience économique de l'action publique", "sécurité énergétique" et "accès des classes moyennes et populaires".
Les experts d'I4CE rappellent que si le budget 2024 avait consacré "une hausse inédite des dépenses publiques" pour mettre en œuvre la planification écologique, le précédent gouvernement avait déjà réalisé de premières coupes en début d'année qui, d'après les lettres de cadrage budgétaire, devraient encore s'amplifier dans le PLF 2025. Ils ont donc recensé toutes les politiques relais qu’il serait nécessaire d’adopter en cas de réduction des financements publics. Il souligne que, même en étant plus efficaces, les dépenses publiques en faveur de la transition climat devront encore progressivement augmenter, "d’au moins 19 milliards pour l’État d’ici à 2030, ne serait-ce que dans les secteurs du bâtiment, de la mobilité et de la production d’énergie".
Fonds vert : contractualiser pour ne pas saupoudrer
Pour les collectivités, I4CE s'est intéressé au programme 380 concernant le fonds vert. Après une première coupe en début d'année, ses autorisations d'engagement (AE) pourraient passer de 2,5 milliards d'euros dans le budget initial 2024 à un milliard d'euros en 2025 selon les lettres-plafonds. Les économistes d'I4CE recommandent le maintien de ses AE en 2025 tout en conseillant de réformer le fonds. Annoncé comme pérennisé, "il est devenu le réceptacle des soutiens direct à l’investissement local sur de nombreux objets touchant à l’atténuation, à l’adaptation et au cadre de vie, soulignent-ils. La baisse annoncée du niveau des engagements du fonds vert envoie un très mauvais signal aux collectivités sur la priorité politique de la planification".
Mais selon eux, une réflexion sur l’efficacité de cet instrument est nécessaire : "Son mode de gestion actuel (déconcentré, annuel) conduit à un saupoudrage dont l’effet levier sur l’investissement local est douteux", estiment-ils. Pour le rendre plus efficace, ils préconisent d'en faire "un outil contractualisé et pluriannuel, par exemple à l’échelle des bassins de vie via les contrats de réussite de la transition écologique (CRTE), accompagnant le processus de territorialisation de la planification écologique piloté par l’État et les régions".
Éviter d'enrayer la dynamique d'investissement local
Il faudrait en outre "éviter de prendre des mesures de court terme de baisse des dotations aux collectivités hors fonds vert ou de nouvelles règles de plafonnement des dépenses", soulignent-ils, car "elles enrayeraient la dynamique d’investissement local, portée notamment par les investissements 'climat' (rénovation des bâtiments publics, infrastructures de mobilité – transports collectifs et aménagements cyclables, éclairage public), alors même que le cycle d’investissement communal et la conjoncture actuelle des finances locales vont d’ores et déjà conduire à un coup de frein dans les années à venir." Ils rappellent que selon leurs analyses, les dépenses publiques des collectivités doivent augmenter de l’ordre de 11 milliards d’euros entre 2024 et 2030 en moyenne annuelle pour la seule mise en œuvre de la stratégie nationale bas carbone, et que ces dépenses ne peuvent être reportées sur les acteurs privés.
Transports publics : le financement des investissements ferroviaires "à clarifier"
Les économistes d'I4CE ont aussi analysé le programme 203 qui regroupe les dépenses publiques pour les investissements dans le ferroviaire, principalement, mais aussi dans les transports en commun urbains et le réseau cyclable. Pour 2025, les lettres-plafonds prévoient une augmentation conséquente des autorisations d’engagements (près de 5 milliards d’euros, contre 4,3 dans le budget initial pour 2024), qui correspond à la poursuite de l’augmentation des péages ferroviaires que l’État verse à SNCF Réseau pour l’aider à investir, relèvent-ils.
Mais ils demandent au gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur les modalités de financement des investissements supplémentaires attendus pour moderniser et développer le réseau ferroviaire. Pour rappel, l’ambition annoncée est d’investir 100 milliards d’euros sur vingt ans pour moderniser et développer le réseau, avec un pic d’environ 16 milliards d’euros à l’horizon 2030. Or, "le schéma de financement de ces investissements n’a pas encore été clarifié", rappelle I4CE. Ses experts estiment qu'il faudrait "a minima" préserver l’augmentation des péages ferroviaires payés par l’État à SNCF Réseau. "L’augmentation prévue ne suffira pas à combler le besoin de financements publics, soulignent-ils. Même en améliorant en parallèle la productivité de SNCF Réseau et en facilitant ses emprunts, le besoin restant atteindra en 2030 l’ordre de 10 milliards d’euros."
Une option complémentaire à la hausse des péages consiste à augmenter les bénéfices de la branche 'voyageurs' de la SNCF, qui sont affectés au financement du réseau par le biais d’un fonds de concours (lire notre article). "Pour cela, le gouvernement peut demander – comme cela a été fait par ces dernières années – à la SNCF d’augmenter ses prix de façon ciblée (yield management)", expliquent les experts d'I4CE. Mais cette option se heurte à l’ouverture à la concurrence, puisque les nouveaux entrants n’y sont pas soumis, et risque de décourager encore plus qu’aujourd’hui le report modal des classes moyennes et populaires sur les trajets longue distance, mettent-ils en garde.
Mobilité individuelle : un leasing social réformé
Dans le domaine de la mobilité individuelle, I4CE a analysé les orientations du programme 174 (Action 3) comprenant les aides de l’État à l’acquisition de véhicules propres via, essentiellement, le bonus écologique pour les véhicules électriques neufs et – nouveauté de 2024 – le leasing social de véhicules électriques. Dotée de 1,5 milliards d’euros d'AE en 2024 (et avec des dépenses effectives plus importantes étant donné le succès du leasing social, rappelle I4CE), les lettres-plafonds prévoient une très forte diminution de l’enveloppement dédiée au verdissement des véhicules en 2025, de l’ordre de 500 millions d’euros.
Les experts du think tank proposent de durcir à nouveau les conditions de revenu pour accéder au bonus écologique pour les véhicules électriques neufs, "celui-ci bénéficiant d’abord à des ménages aisés et avec de forts risques d’effet d’aubaine", justifient-ils. Plus globalement, ils préconisent d'entamer la suppression progressive du bonus, mais de ne pas le supprimer du jour au lendemain pour éviter une chute brutale du marché, et de rediriger tout ou partie des économies budgétaires vers l’enveloppe du leasing social, en réformant ce dispositif pour en baisser le coût budgétaire par véhicule. Toujours pour préserver le marché du véhicule électrique, ils recommandent de renforcer – en parallèle de la baisse du bonus – la réglementation sur les flottes de véhicules d’entreprises, dans l'optique de développer par ailleurs le marché d’occasion pour les classes moyennes et populaire. Ils sont favorables au maintien des réglementations européennes sur les véhicules thermiques, avec la fin de leur vente en 2035. Selon eux, le malus automobile devrait aussi être augmenté, et certaines dépenses fiscales (déductibilité de l’amortissement des véhicules d’entreprises, indemnité kilométrique, avantage en nature sur les véhicules de fonction) réformées voire supprimées progressivement.
Rénovation énergétique des logements privés : aller vers plus de performance
Dans le domaine de la rénovation énergétique des logements privés, les programmes 135 et 174 fixent les autorisations d’engagement de l’État vers l’Agence nationale de l’habitat (Anah), qui délivre les aides MaPrimeRénov’ (et d’autres moins importantes budgétairement comme MaPrimeAdapt’, Ma Prime Logement Décent, ou celle pour les copropriétés dégradées). Dans le budget initial pour 2024, les AE pour la rénovation des logements avoisinaient 4 milliards d’euros dans ces deux programmes, rappelle I4CE. "Après de premières coupes début 2024 de l’ordre d’un milliard d’euros, pouvant s’expliquer par l’anticipation d’une sous-consommation, de nouvelles coupes sont envisagées pour le PLF 2025", indique-t-il.
Il propose d'appliquer la réforme de MaPrimeRénov’ "qui concentre l’effort budgétaire sur les rénovations performantes des logements les plus énergivores, la décarbonation des systèmes de chauffage des autres logements, et sur les classes moyennes et populaires". "Cela permet de dégager des économies sur les aides aux petits travaux d’isolation", estime le think tank. "Des économies budgétaires supplémentaires peuvent être réalisées sur la décarbonation des systèmes de chauffage mais cela implique – pour que le marché des pompes à chaleur par exemple ne s’effondre pas – de mettre en œuvre une politique relais (ex : réglementation de l’installation de nouveaux chauffages au gaz, pour les autoriser uniquement là où ils représentent la solution la plus pertinente économiquement et techniquement)", développent-t-il. Les experts d'I4CE jugent en outre nécessaire de préserver les dépenses pour les rénovations performantes des logements énergivores. Ce marché étant en train de se structurer et de se développer, "il ne saurait résister à une politique du 'stop & go'", appuient-ils.
Ils proposent également de supprimer progressivement l’écart de TVA entre les travaux de rénovation énergétique (5,5%) et les travaux de rénovation (10%), et de réorienter les économies vers MaPrimeRénov’ au fur et à mesure que les rénovations performantes montent en puissance. Ils recommandent aussi de réformer le dispositif des certificats d’économies d’énergie "pour en améliorer l’efficacité et augmenter les obligations qui pèsent sur les fournisseurs d’énergie", de "maintenir l’obligation de rénovation sur les propriétaires bailleurs" - les autres leviers à explorer pour limiter le besoin de financements publics à moyen terme incluant la mise en place de règlementations ciblées au moment de la mutation – et de conserver l’Éco-PTZ, "condition essentielle à l’atteinte des objectifs de rénovation performante". Si l’allègement de l’instruction pour les banques ne suffit pas à inciter ces dernières à massifier sa distribution, il faudrait explorer d’autres options de politique publique, estiment-ils, en faisant en sorte, par exemple, que l’Anah puisse renvoyer les ménages vers une banque de dernier recours comme La Banque Postale.
Adaptation au changement climatique : aller vers davantage d'anticipation des risques
Enfin, les experts d'I4CE ont analysé les dépenses d’adaptation au changement climatique. Celles-ci ne sont pas regroupées dans un programme particulier. "Il y a bien des programmes qui y contribuent directement, que ce soit (par exemple) le programme 181 de prévention des risques, le 113 sur les dépenses des agences de l’eau, ou le 161 pour la sécurité civile, notent-ils. Les lettres-plafond n’apportent pas à ce stade d’informations précises sur l’avenir de ces programmes.
Mais l’adaptation se joue et se jouera aussi de plus en plus dans de multiples programmes existants impactés par les conséquences du changement climatique : ceux dédiés à la rénovation des logements, des infrastructures de transport ou encore à la transition écologique des collectivités par exemple. Ces programmes, eux, sont particulièrement visés pour réaliser des économies budgétaires." I4CE préconise donc de "passer d’une logique de gestion des crises climatiques à une logique d’anticipation des risques, afin de réaliser des économies budgétaires". "Si le coût de la facture pour réduire la vulnérabilité de l’économie peut être partagé entre public et privé, la puissance publique est toujours en première ligne pour gérer les crises et réparer ensuite, et la facture augmente", argue-t-il.
"Concrètement", ses experts préconisent de mettre en place un "fonds d’adaptation individuel" financé par une partie de l’augmentation de la surprime CatNat prévue pour 2025 et doté de 200 millions d’euros. "Ce fonds a pour objectif de soutenir les ménages qui mettent en œuvre des mesures préventives. Il est l’une des mesures phares du Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) qui doit encore être adopté", indiquent-ils.
Il faudrait aussi, estiment-ils, "créer de nouvelles ressources pour l’adaptation du littoral, par exemple via l’augmentation de la taxe sur les droits de mutation à titre onéreux (besoin minimal estimé à 250 millions d’euros sur 10 ans), affectée à un fonds dédié ou au fonds Barnier". Autres mesures citées dans leur analyse "assurer des crédits et des emplois à la 'Mission adaptation', nouvellement créée par l’Ademe et le Cerema principalement, pour aider les collectivités locales à intégrer les enjeux d’adaptation" et, plus généralement, "veiller à préserver les ressources des opérateurs sur l’adaptation".