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Plan pour les villes moyennes : des contrats sans moratoire sur les grandes surfaces ?

Le gouvernement s’éloigne de l’idée d’un moratoire sur les grandes surfaces évoquée ces dernières semaines et s’en remet à des contrats passés avec les villes moyennes dans le cadre du plan préparé par Jacques Mézard.

Le plan d'action pour les villes moyennes annoncé par le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, devant l’association Villes de France, le 12 octobre, sera présenté "dans les semaines qui viennent", a déclaré son directeur de cabinet, David Philot, en clôture d’un colloque organisé par le CGEDD (Conseil général de l’environnement et du développement durable) sur le thème "Comment réconcilier ville et commerce ?", le 19 octobre à Paris. L’objectif de ce plan, qui s’adressera aux villes de 20.000 à 100.000 habitants, sera de renforcer leur attractivité en mettant la priorité sur la requalification des centres anciens dégradés. Il sera mis en œuvre dans "un cadre contractuel" et comportera un volet commercial visant au "rééquilibrage entre centre-ville et périphérie", a indiqué David Philot, en l’absence du ministre. "Entre 15 et 20 villes sont déjà prêtes à entrer dans cette logique contractuelle", a-t-il précisé. Ajoutant qu’il s’agirait du "projet du maire, d’abord, au premier chef". "Nous serons exigeants, il faut que les commerces jouent le jeu", a-t-il aussi prévenu, citant l’exemple de Périgueux où "la mairie fait des efforts mais parfois les commerçants ne suivent pas" et "la jouent en solitaire", notamment sur les heures d’ouverture.
Le gouvernement interviendra "à tous les niveaux de la chaîne", en particulier en matière d’ingénierie. "Créer un mix commercial attractif n’est pas simple, même des villes plus importantes n’ont pas cette capacité", a-t-il souligné, suggérant par exemple de "muscler" et "mobiliser" Epareca afin d’élargir ses compétences aux villes moyennes, au-delà des quartiers prioritaires de la politique de la ville. La solution réside selon lui dans des "partenariats publics-publics (Etat et collectivités) et privés". Il faudra aussi "regarder les foncières".
En parallèle, un travail sera mené pour faire revenir les habitants dans les centres. Cette initiative passera par un "appel à projets modeste" autour de cinq à six pilotes et consistera à travailler à partir de "morceaux de ville" pour les inscrire dans la "construction de villes durables".
Revenant sur le diagnostic préoccupant posé par le CGEDD dans deux rapports récents (l’un de juillet 2016 réalisé avec l’Inspection générale des finances et l’autre de mars 2017), qui constituaient la trame de cette journée d’échanges, le bras droit de Jacques Mézard a estimé que les "pouvoirs publics étaient à présents mûrs pour travailler sur l’aménagement commercial", soulignant "le rôle central d’équilibre du territoire" joué par les villes moyennes. Alors que le taux de commerces fermés dans les centres des villes moyennes dépasse les 10% en 2015, "la cote d’alerte est clairement atteinte", a estimé David Philot. Et le modèle (qui a vu la prolifération anarchique des zones commerciales en périphérie des villes) "est à bout de souffle". "Il y aura des morts à la fin", a-t-il déclaré : "Les zones de chalandises se chevauchent, (...) les grandes enseignes se cannibalisent entre elles."

Moratoire sur les grandes surfaces : fermez le ban

Et pourtant, alors que Jacques Mézard avait laissé entendre, le 12 octobre, que l’idée d’un moratoire sur les constructions de grandes surfaces faisait partie des "sujets en débat", le gouvernement semble à présent fermer la porte à cette hypothèse défendue notamment par l’association Centre-ville en mouvement. Clôturant la matinée, le directeur général des entreprises, Pascal Faure, s’est en effet abrité derrière la liberté d'installation et des "raisons constitutionnelles et européennes" pour expliquer que son ministère de tutelle (Bercy) n'y était "pas favorable". Sans doute un arbitrage entre les deux ministères sera-t-il nécessaire. D'autant que certaines villes, comme Avignon ou Angers, ont pris les devants. 
Les échanges de la journée ont d’ailleurs été l’occasion de montrer que certains voisins européens sont moins zélés dans l’interprétation du droit européen. Et qu'ils maîtrisent mieux le développement du commerce en l’orientant vers les coeurs des villes. C’est notamment le cas de la Grande-Bretagne, pays réputé plus libéral, qui impose des "tests séquentiels" : c’est-à-dire l’obligation de prouver qu’une opération ne peut être menée dans le centre avant de l’envisager en périphérie. Rappelons que suite à la directive Services de 2006, la France a légiféré à deux reprises : en 2008, avec la loi LME qui a relevé de 300 à 1.000 m2 les seuils d'autorisations et supprimé dans le même temps toute référence à l'impact économique d'un projet commercial, et, en 2014, avec la loi Pinel, qui a réformé les commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC). Les chambres consulaires ont notamment été écartées de leur composition au prétexte qu'elles étaient "juges et parties". "Comme si nous étions des syndicats de petits commerçants", s'est offusqué François-Xavier Brunet, président de la chambre de commerce et d'industrie de Tarbes et des Hautes-Pyrénées. "Tout cela a abouti à ce que le régime d'autorisation commerciale en France soit ni plus ni moins qu'un machine à dire oui : depuis 2009, 90% des projets présentés en CDAC sont autorisés sans le moindre discernement."
"Le modèle français est un désastre", a aussi réagi Ariella Masboungi, architecte-urbaniste (Grand Prix de l’urbanisme 2016). "La France a un droit permissif alors que l’Europe du Nord a un droit non permissif. (...) On aurait besoin d’un pouvoir plus solide, plus affirmé, sur la préservation des terres, sur la nécessité de polariser le commerce sur les cœurs de ville et sur les centralités", a-t-elle développé, appelant à "encourager les élus qui prennent des risques". Pour l’urbaniste, "le chantage à l’emploi" exercé par les grands opérateurs commerciaux est "une chose terrible" et le mégaprojet Europacity de 500.000 m2 dans le Triangle de Gonesse (Val-d'Oise) s’apparente au "diable". "Cela va tuer tous les centres commerciaux qui sont là, tous les efforts des villes qui se battent", a-t-elle encore attaqué, regrettant qu’aucune étude scientifique ne permette d’évaluer le nombre d’emplois locaux détruits par de tels projets. Des propos qui ont fait vivement réagir le président du Conseil national des centres commerciaux (CNCC), Antoine Frey, qui s’est dit "choqué", y voyant une allusion à de la "corruption". Selon lui les opérateurs sont prêts à retourner en centre-ville mais les "barrières à l’entrée sont considérables". Le rapport du CGEDD et de l'IGF montrait une augmentation de 3% de surfaces commerciales chaque année depuis 2000 (deux fois plus vite que la consommation), avec un rythme de 2 à 3 millions de m2 autorisés par an. 4 à 5 millions de m2 sont en cours de réalisation.

 

Aménagement commercial : "un jeu de dupes" entre élus et opérateurs ?
Depuis des années, l’Assemblée des communautés de France (ADCF) alerte sur les conséquences de l’extension des grandes surfaces en périphérie des villes. Elle est même l’une des premières à avoir utilisé l’expression "machines à dire oui" pour qualifier les commissions d’aménagement commercial. Mais selon Philippe Schmit, secrétaire général de l’ADCF, élus et opérateurs se livrent à "un jeu de dupes", "un jeu de faux-semblants". "Tous les projets de la Commission nationale d’aménagement commercial sont très fortement défendus par les élus", a-t-il fait remarquer, lors du colloque organisé par le CGEDD, le 19 octobre. En 2011, l’association avait activement soutenu la proposition de loi Ollier-Piron proposant de renforcer les moyens d’agir à travers les règles d’urbanisme. Elle avait ainsi été à l’origine d’une pétition signée par six personnalités (dont Jean-Marc Ayrault) devenues quelques mois plus tard membres du gouvernement de François Hollande… Mais la proposition est finalement "restée lettre morte". Toutefois, "le débat a pris une autre tournure", veut croire Philippe Schmit, notamment grâce aux deux rapports du CGEDD. Mais "attention à ne pas caricaturer" le débat, prévient-il : "Certaines oppositions périphérie-périphérie sont bien plus inquiétantes" que les oppositions centre-périphérie, souligne-t-il. Selon lui, l’introduction de la politique locale du commerce (dévolue aux intercommunalités dans la loi Notr de 2015) est une grande avancée alors que "le code général des collectivités locales ne faisait aucune allusion à la politique du commerce". Dans un communiqué du 18 octobre, l’ADCF appelle à "des assises du commerce et des territoires". Elle demande "un plan d’action d’envergure" pour "requalifier les friches commerciales et revitaliser les cœurs urbains" et souhaite que le ministère de la Cohésion des territoires "soit clairement le pilote de ce dossier".