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Plan particulier pour la Creuse : "Nous avons expérimenté une nouvelle façon de servir les territoires"

Philippe Ramon est le sous-préfet nommé début mars 2018 pour accompagner les territoires à faire émerger un plan particulier pour la Creuse (PPC). Plus de vingt mois de travail ont abouti, le 5 avril 2019 à Felletin, à l’adoption du PPC qui retient 118 projets et 96 engagements de l’État. La démarche s’inscrit dans un contexte plus général de contractualisation souhaité par le gouvernement, qui, depuis mai 2017, a déjà signé des pactes avec les départements des Ardennes, de la Nièvre et d’autres contrats(1). Ce plan devrait en inspirer d’autres, a rappelé le Premier ministre devant le Sénat le 10 avril. Interview.

Localtis - Le plan particulier de la Creuse, le fameux PPC, qu’est-ce que c’est ? 
Ce n’est pas un plan fermé ni un appel à projets. C’est un plan ouvert qui va permettre de mettre en oeuvre des propositions qui ont émanées des territoires. 118 projets. Le chiffre n’est pas figé. Il peut évoluer. Et 96 engagements de l’Etat à soutenir ces propositions. 

Philippe Ramon - Parmi les 118 projets retenus, certains ont reçu plus d’échos. Vous, quels projets voudriez-vous mettre en avant ? 
Plutôt que de cibler un dossier ou un autre, je voudrais d’abord souligner la logique tactique que nous avons adoptée. Il s’est agi de s’appuyer sur les atouts déjà existants et de soutenir l’organisation de l’action économique locale en véritable filière. Je cite volontiers l’exemple de l’agriculture. La Creuse concentre beaucoup d’éleveurs naisseurs de veaux mais toutes les activités de transformation à forte valeur ajoutée se font à l’extérieur du département : l’engraissement, l’abattage, la transformation. L’idée consiste à rapatrier un maximum de ces activités dans le département. 
Les tapis et tapisseries de Felletin et d’Aubusson constituent aussi une filière stratégique des projets emblématiques. Le département possède un savoir-faire ancien, reconnu au patrimoine immatériel de l’humanité de l’Unesco depuis 2009. Pour le valoriser complètement, nous allons aider la filière à se structurer. Cela va passer notamment par le soutien à la création d’un centre de formation et d’un atelier-relais sur la filière art/textile et art tissé pour améliorer l’offre et par le lancement d’une mission de préfiguration d’un pôle d’entretien du mobilier national pour étayer la demande. 

Dans le PPC, on a beaucoup entendu parler de la culture de cannabis
Oui, le projet sur la culture du cannabis a beaucoup été repris dans les médias. Pour moi, c’est un projet important car potentiellement porteur de beaucoup de valeur ajoutée mais ce n’est qu’un projet parmi les 118. Ce n’est pas forcément le principal. 
Je préfère évoquer les maçons dans la Creuse et la filière du bâtiment en général, secteur historique dans le département. On dit qu’en Creuse, une personne sur deux a quelqu'un de sa famille en lien avec un métier du bâtiment. Partant de ce constat, le groupe de travail a proposé, dans le cadre du plan, d’ériger le lycée des métiers du bâtiment de Felletin en campus d’excellence. Il s’agirait à la fois d’enseigner la taille de pierres mais aussi les usages du numérique. Le lycée héberge aussi une licence de génie civil parcours BIM (Building Information Modeling). 

Un autre domaine d’innovation important en termes de perspectives d’évolution, c’est celui des drones ...
Là encore, pour écrire le PPC, on s’est appuyé sur un point fort. Il se trouve que Safran, groupe international de haute technologie, équipementier de l'aéronautique, de l'espace et de la Défense, effectue ses essais de drones militaires sur la plateforme de l'aérodrome de Lépaud. En parallèle, toute une série de petites entreprises se sont mises à travailler avec des drones, notamment en agriculture et dans le domaine du bâtiment. En même temps, nous avons réalisé que la Nouvelle-Aquitaine disposait d’un cluster, AETOS, dédié à l’industrie du drone qui vient d’intégrer le pôle de compétitivité Aerospace Valley. Le groupe de travail "Drone" a mis tout ce petit monde en relation et nous sommes en train de construire une "aérodrone" à Lépaud, une plateforme et des bâtiments dédiés aux drones. Pour lancer la démarche et le faire savoir, le premier salon du drone "techniques et usages" sera organisé, dès cet été,  les 14, 15 et 16 juin 2019, à l’aérodrome de Lépaud. 

Le défi démographique est-il l’enjeu phare du PPC ? 
Le défi démographique a été désigné comme étant l’enjeu principal du PPC. Après avoir partagé un diagnostic sur les atouts et les faiblesses du département, le comité de pilotage a fixé au PPC l’objectif d’inverser la tendance démographique par la création d’activité. La philosophie du plan, c’est moins d’être dans une démarche de défense des services publics, de "lutter contre" les fermetures de classes par exemple - le taux d’encadrement est d’ailleurs d’un enseignant pour sept enfants, un taux exceptionnel ! - que de s’inscrire dans une démarche de création d’activité, d’attraction des jeunes, d’une création de la demande. Pour cela, il va s’agir de modifier l’image du département, de soigner la qualité de l’accueil. 

Quelles sont les particularités de la Creuse ? 
La Creuse est un département extrêmement peu structuré, très peu polarisé. Il n’a aucun Scot valide. 14% des communes seulement ont un document d’urbanisme, donc a contrario 86% n’en n’ont pas ! Même chose concernant les grands schémas stratégiques : pas de schéma de transport, pas de schéma d’énergie renouvelable, pas de schéma de déchets en vigueur. Il faut aussi se représenter que le département recense 117.000 habitants répartis au sein de 256 communes. Une seule commune a plus de 10.000 habitants, Guéret, une seule autre commune a plus de 5.000 habitants, La Souterraine. 75% des communes ont moins de 500 habitants, elles-mêmes éclatées en plusieurs centres-bourgs. Cet éparpillement rend l’organisation du territoire extrêmement complexe et onéreux : les réseaux, notamment numériques, les écoles, les transports, la gestion des déchets... tout est plus compliqué. De ce fait, on a invité les collectivités à réfléchir à une organisation à l’échelon départemental et à coordonner les structures d’ingénierie (numérique, ENR, d’urbanisme, etc.). L’objectif d’inscrire le territoire dans une stratégie de moyen et long termes et de redynamiser les gros centres-bourgs, créer des logiques de centralité et mutualiser les moyens. Plusieurs projets du PPC poussent en ce sens. Pour redynamiser les centres-bourgs, les groupes de travail ont proposé de s’appuyer notamment sur le pôle d’excellence "domotique et santé" (2) creusois, labellisé depuis 2006, qui propose des solutions pour maintenir les personnes du troisième âge à domicile, dans des habitations adaptées et équipée de moyens domotiques. 

De nombreux élus, présidents d’associations et chefs d’entreprises ont apprécié la méthode mise en place en Creuse. S’agit-il d’une nouvelle façon de faire de l’État ? 
Nous avons expérimenté en Creuse la façon de servir les territoires que la future Agence nationale de la cohésion des territoires pourrait généraliser. Il s’est agi, en premier lieu, de mettre en place une personne dédiée à 100% sur site aux cotés de la préfète. Nous avons également beaucoup travaillé avec la Banque des territoires chez qui mon interlocuteur quasiment du quotidien était toujours dans une posture de recherche active de solution (3). Ensuite il n’a pas été question d’enveloppe de crédits à distribuer mais de projets. Tout est parti des projets portés par les forces vives de la Creuse. Mon rôle n’a pas été de prescrire des solutions mais d’écouter, de suggérer, d’orienter parfois vers les solutions existantes mais surtout de lever les freins et résoudre les problèmes qui bloquaient la mise en oeuvre des projets. Pour cela, il a fallu assez souvent trouver des moyens financiers, mais les moyens disponibles non utilisés comme les fonds européens, les fonds "Massif central", les fonds du programme des investissements d’avenir, et les autres appels à projets ministériels sont nombreux et pas toujours engagés suffisamment. Je tiens, à ce propos, à préciser qu’aucun projet n’a été repoussé pour des raisons financières liées à l’État. Mais il s’est agi aussi, souvent, de mettre simplement les porteurs de projets en relation avec les bonnes personnes.   

Concernant les plans de financement, des inquiétudes se sont fait entendre. Certains craignent que les fonds ne proviennent que de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). 
80 millions d’euros ont été fléchés sur le PPC par le Premier ministre en réunion interministérielle. Sur cette enveloppe, la DETR, qui est passée en Creuse de 6 millions d'euros en 2014 à 13,4 millions d'euros en 2019, interviendra à hauteur de 12 millions d'euros environ sur 3 ans, soit en moyenne 4 millions d'euros par an. L’enveloppe ayant été majorée de près de 10% en 2018 pour faire face aux enjeux du plan, il n’est pas aberrant qu’une partie de ces crédits soient utilisés pour soutenir les projets les plus structurants pour l’avenir du territoire portés par les collectivités locales. Parfois, les ministères interviennent mais leur participation financière n’est pas suffisante. Ainsi, par exemple, pour l’extension de la cité de la Tapisserie à Aubusson, le ministère de la Culture propose une intervention à hauteur de 900.000 euros et la DETR complétera le tour de table par 300.000 euros de crédit la première année et autant la seconde. Mais la DETR, qui n’est mobilisée qu’à hauteur de 2 millions d'euros en 2019, est loin de constituer la seule "enveloppe" mise à disposition de ce territoire pour ses projets. Rien que pour le déploiement de la fibre, l’Etat, dans le cadre du PPC propose 10 millions d'euros supplémentaires d’intervention de l’agence du numérique, ce qui n’est pas sans créer quelques jalousies...  

Comment le plan sera-t-il piloté ? 
L’une des particularités de ce plan, c’est que ce n’est pas celui de l’État mais celui des forces vives du territoire lui-même. Le comité de pilotage, composé de tous les grands élus, sera chargé de suivre son application et d’évaluer les résultats en liaison avec l’Insee. Et pour la mise en oeuvre, nous allons sans doute créer une "équipe projet", en "escort team" comme dit le président de région, composée d’agents de l’État, du conseil départemental et du conseil régional pour aider les porteurs d’idées à devenir de véritables porteurs de projets. Ce n’est pas la partie la plus facile mais le devenir de la Creuse dépend de la capacité de ce territoire à mettre en oeuvre en peu de temps et de façon très concrète les projets qu’il porte. L’initiative entraînant l’initiative, c’est à ce prix que le rebond démographique sera engagé. 

(1) Deux contrats d'accessibilité ont été signés avec les régions Pays de la Loire et Bretagne, le pacte breton.

(2) La domotique englobe les technologies novatrices destinées à favoriser l’autonomie des personnes et leur maintien au domicile : téléprésence sociale, téléassistance, télémédecine etc. 

(3) La Banque des Territoires (BDT) participe au comité de pilotage réunit par la préfète et contribue à différents groupes de travail sur la transition énergétique, la santé, les drones ou la tapisserie. Concrètement, sur ces deux derniers sujets, la BDT apporte aux collectivités une ingénierie de définition de projet pour le pôle drone de Lépaud et pour une résidence d’artisans dans la cité de la tapisserie d’Aubusson.