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Universités - Plan Campus : donner plus à ceux qui ont le plus ?

Le plan Campus, lancé en 2008 pour faire émerger douze pôles universitaires d'excellence, prend forme. Les dotations aux douze projets sélectionnés sont en cours. Mais le dispositif ne fait pas que des heureux, même si tous les acteurs impliqués ont décidé d'y participer pour ne pas se trouver en dehors de la course.

L'opération Campus, lancée en mai 2008, se concrétise petit à petit. Elle doit donner naissance à douze pôles universitaires d'excellence de niveau international. Ces douze pôles ont d'ores et déjà été sélectionnés et recevront des financements spécifiques. Certains autres projets, présentés lors du lancement de l'opération, n'ont pas été retenus. Ils ont toutefois été rattrapés au vol et bénéficient de labels spécifiques tels que "innovants" ou "prometteurs", avec des financements correspondants. Cinq milliards d'euros doivent être au total consacrés à l'opération, dont 3,7 milliards pour les douze projets campus. Un budget issu de la vente d'une partie du capital d'EDF. Depuis le début de l'année 2009, et après cette phase de sélection, le gouvernement a commencé à répartir l'argent entre les pôles sélectionnés. Le pôle "Lyon Cité Campus" s'est ainsi vu accorder 575 millions d'euros de capital. Un budget qui doit permettre de répondre à l'urgence de la vétusté des locaux universitaires et d'améliorer la qualité de vie des étudiants. Les collectivités abondent ce financement, à hauteur de 85 millions d'euros pour la région, et 32 millions d'euros pour le Grand Lyon. Autres projets qui connaissent déjà leur dotation : le projet "Université de Strasbourg", qui doit recevoir 375 millions d'euros, le campus bordelais, avec 475 millions d'euros, qui seront abondés à hauteur de 110 millions d'euros par le conseil régional d'Aquitaine et, plus récemment, le campus de Montpellier qui recevra 320 millions d'euros et celui de Marseille, qui bénéficiera de 500 millions d'euros de la part du gouvernement et de 377 millions d'euros de la part des collectivités et du Crous (centre régional des œuvres universitaires et scolaires). Les projets "prometteurs" ou "innovants", recevront quant à eux 260 millions d'euros de la part du gouvernement, d'après les annonces faites par Valérie Pécresse le 29 avril 2009. Des sommes auxquelles viendront aussi s'ajouter les budgets consacrés à ces pôles, campus sélectionnés ou projets prometteurs ou innovants, dans le cadre du plan de relance.

"Le plan coupe des têtes qui mériteraient d'être gardées"

La démarche prend donc forme. Mais elle ne fait pas que des heureux. Certains responsables d'université ne sont en effet pas convaincus par cette approche. Eric Buffenoir, vice-président du conseil d'administration de l'Université Montpellier 2 regrette ainsi que le gouvernement ait lancé une politique qui vise à donner "pareil à tous", alors que "les universités n'ont pas les mêmes besoins, ni les mêmes ambitions". Le caractère arbitraire du choix des projets campus pose également question. "En Allemagne, il y a eu un vrai concours portant sur la nature du projet, permettant à des universités, même de petite taille, d'être sélectionnées. Le plan Campus repose quant à lui sur une masse critique ; en-dessous de 50.000 étudiants et 20.000 publiants, les universités ne comptent pas, explique Jacques Fontanille, président de l'Université de Limoges et vice-président de la Conférence des présidents d'université (CPU). On risque d'appauvrir le système globalement pour en faire émerger une partie seulement." "La vision du gouvernement est complètement rudimentaire, le plan coupe des têtes qui mériteraient d'être gardées", estime pour sa part Eric Buffenoir. "On décide par appel à projets, explique Jean Fabry, du Syndicat national de l'enseignement supérieur (Snesup), cela me paraît totalement arbitraire et improvisé ; concentrer les moyens sur quelques sites me paraît extrêmement inquiétant pour les autres." Le responsable du Snesup estime qu'un vrai débat de prospective aurait été nécessaire, une "réflexion de longue durée" intégrant tous les enjeux autour de cette problématique : l'urbanisme, la démographie, le dynamisme du tissu urbain, etc. "Il y a des problèmes, c'est vrai, explique Jean Fabry, mais ce n'est pas une bonne façon de les traiter, on met le couteau sous la gorge des universités, dont certaines sont poussées à fusionner pour avoir les budgets !" Une allusion non déguisée au projet des trois universités de Montpellier qui doit donner naissance au futur Pôle de recherche et de l'enseignement supérieur (PRES), chargé de mettre en œuvre le plan Campus et la création de l'Université Montpellier Sud de France. Autre problème relevé par les détracteurs du plan Campus : le financement. "Le plan Campus fait partie des opérations à visée spectaculaire avancées par le gouvernement pour traiter de manière insatisfaisante les réels problèmes et notamment l'insuffisance du financement de l'Etat", explique encore Jean Fabry.

"Ne pas aller dans le sens du plan Campus serait du suicide"

Dans le cadre des contrats de projets Etat-région, de nombreux retards de financement de la part de l'Etat sont ainsi constatés. "Ce sont des procédures technocratiques très lourdes avec un engagement pluriannuel, détaille Jean Fabry, l'Etat n'a pas donné l'argent prévu au bon moment, or ces sommes doivent être ensuite abondées par les collectivités locales ; la défaillance de l'Etat implique ainsi la défaillance des autres." Côté collectivités, le financement des universités n'est pas la priorité, surtout en période de crise. "Même les plus grandes collectivités ont du mal à se saisir des enjeux universitaires et de recherche, poursuit Jean Fabry, et la crise porte à d'autres priorités." Enfin, la CPU regrette que le plan ne soit pas révisable périodiquement. "On en verra les effets que dans dix ans sans possibilité d'ici là de réorienter la politique, explique Jacques Fontanille, c'est un coup parti pour longtemps." Mais si les uns et les autres trouvent à redire sur l'opération campus, tous ont décidé d'y participer : "Ne pas aller dans le sens du plan Campus serait du suicide", avoue ainsi Eric Buffenoir. Et certains autres responsables d'université sont même tout à fait partisans de ce type de démarche, visant à faire émerger des pôles d'excellence, visibles de l'étranger. C'est notamment la position de Bruno Sire, le président de l'Université Toulouse 1. "Si on a dix ou douze pôles d'excellence, c'est déjà très bien pour la taille de notre pays, assure-t-il, en Angleterre, Italie ou Allemagne, il n'y a que quelques grandes universités seulement." Reste que Toulouse fait partie des douze campus sélectionnés et se verra donc attribuer des sommes confortables. Quoiqu'il en soit, l'opération va se poursuivre. Le gouvernement doit encore annoncer les sommes qui seront dédiées aux autres campus sélectionnés. Mais d'ici là, la CPU compte bien défendre son opinion. "Nous essayons de convaincre le gouvernement qu'il faut tenir compte de la performance relative des universités et pas seulement de leur taille", détaille Jacques Fontanille.

Emilie Zapalski