Pacte ferroviaire : les données et la maintenance, principaux obstacles de la réforme
Le 10 juillet au Sénat, en commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, une table ronde sur l’application du pacte ferroviaire voté en juin 2018 a fait ressortir les angles morts de cette réforme. "La question des données à communiquer aux nouveaux entrants fut déjà houleuse lors des débats parlementaires, un an après elle revient en force", résume à la tête de cette commission Hervé Maurey, sénateur centriste de l'Eure.
Après l'Assemblée nationale (voir notre article), c'est au tour du Sénat de réaliser un point d'étape de la mise en application de la loi "Nouveau Pacte ferroviaire". Cela a pris la forme d'une table ronde réunissant le 10 juillet, au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, les grands acteurs concernés, à savoir l'opérateur historique, les opérateurs alternatifs à la SNCF, Régions de France, l’administration centrale du ministère de la Transition écologique et solidaire et l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer).
En un an, les choses ont avancé, des ordonnances et décrets d’application ont été publiés. La totalité des conventions qui lient la SNCF aux régions ont été renégociées. Perdurent toutefois des zones de flou : "On attend plusieurs décrets, principalement ceux sur les données à communiquer aux nouveaux entrants et sur le transfert des ateliers de maintenance", relève Claude Steinmetz. Le président de l'Association française du rail (Afra), qui réunit des opérateurs, nouveaux entrants et industriels ferroviaires, connaît bien la SNCF pour y avoir exercé, notamment en tant que responsable des TER de la région Paca.
Premières difficultés
Cette région, l'une des plus pressées avec le Grand Est et les Hauts-de-France d'ouvrir à la concurrence ses TER, dès le premier jalon européen fixé à décembre prochain, a justement livré son témoignage. Son vice-président chargé de la sécurité des transports et de l'intermodalité, Philippe Tabarot, explique que sa collectivité s'est aussitôt lancée car elle est celle affichant les plus mauvais résultats d'exploitation. Elle a bon espoir de les voir redresser en ouvrant deux lots à la concurrence, dont une ligne TER stratégique car interurbaine, qui relie Marseille à Nice en passant par Toulon. Ce premier appel d’offres sera lancé en février 2020 et les premiers TER libéralisés circuleront en décembre 2022. Des lignes traversant d'autres villes ou agglomérations comme Gap, Avignon ou Aix-en-Provence, seront à terme concernées. "Mais l'ouverture à la concurrence pose déjà des difficultés car ces sillons sont déjà très sollicités par des trains du quotidien et la SNCF refuse de jouer le rôle de garant de leur robustesse", déplore Philippe Tabarot.
Hormis l'Occitanie et la Bretagne, qui préfèrent attendre, et le Centre-Val de Loire qui se prononcera lors du renouvellement de convention, les autres régions ont prévu des appels à manifestation d’intérêts (AMI) pour identifier comme l'a fait la région Paca des opérateurs et entreprises ferroviaires intéressés, ou ont intégré dans leur nouvelle convention avec la SNCF des "tickets détachables" qui permettent d’ouvrir à la concurrence une petite partie de leur réseau. La question des données à communiquer aux nouveaux entrants, du matériel roulant et des ateliers de maintenance reste vive. Elle a toujours été houleuse. Les régions souhaitent les récupérer dans des conditions équitables. "Mais le diable se niche dans les détails", intervient Bernard Roman, président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer). Si le décret attendu sur ces données est "trop exclusif" et liste trop précisément celles qui devront être transmises, il redoute que cela se retourne contre les régions qui souhaiteront des compléments : "L'opérateur pourra leur dire que ce n'est pas prévu dans le texte". Il préconise de se ménager la possibilité qu'elles puissent en demander si besoin davantage.
Rien n'est résolu pour la maintenance
Le débat se crispe également autour de l'historique de maintenance des lignes mises en concurrence. Les opérateurs entrants voudront connaître l'état du matériel roulant dont ils hériteront. Or la SNCF ne veut pas divulguer son savoir-faire en matière de maintenance, notamment préventive. "Tout le monde sait qu'il existe un plan de maintenance actualisé mais aucun accord n'a été trouvé pour qu'il soit transmis", résume Claude Steinmetz. Marc Papinutti, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) au ministère de la Transition écologique et solidaire, ne désespère pas de trouver un compromis : "Les messages de chacun ont été entendus, nous cherchons désormais le point d'équilibre".
L'Arafer cite d'autres barrières techniques à l'entrée sur ce marché, à l'instar des équipements de sécurité ferroviaire, nécessaires aux nouveaux entrants mais dont l'accès est compliqué car ils ont jusqu'alors été commandés ou fabriqués par ou pour la SNCF. Le gendarme du secteur va aussi être saisi au sujet de la révision du contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau. Par besoin de visibilité financière, Régions de France attend de réels engagements de l’État sur ce futur contrat. Le régulateur recommande de nourrir des indicateurs robustes - "c'est essentiel pour cet exercice de suivi de la mise en œuvre de la loi" - notamment concernant les travaux prévus sur les lignes. "Car quel opérateur voudra venir s'il n'a pas de vision sur ce que représentent ces travaux ?", interroge Bernard Roman. Dernier sujet d'interrogation, et non des moindres, un manque soupçonné d'indépendance du gestionnaire d'infrastructure. S'il n'est guère du goût de l'Arafer, la SNCF ne voit pas où est le problème. Le régulateur conseille de faire évoluer cette gouvernance afin de se prémunir "et d'éviter un maximum de contentieux à venir".