Outre-mer : Gérald Darmanin fait réagir les élus locaux
Le ministre de l'Intérieur s'est exprimé, le 2 février lors d'un forum organisé par Le Point, sur le fait que plusieurs territoires d'outre-mer soient demandeurs d'une réforme institutionnelle. Selon lui, la situation des Antilles n'a rien de commun avec celle de la Nouvelle-Calédonie où se profile un nouveau statut. Certains de ses propos ont déplu aux députés ultramarins... ainsi qu'à l'Association des maires de France.
La réforme institutionnelle que réclament plusieurs territoires ultramarins est "un sujet d'élus, et malheureusement je constate la même chose en Corse, c'est un sujet d'élus qui ne veulent pas toujours appliquer les compétences qu'on leur a données, il faut qu'on ait la franchise de le dire aux ultramarins", a déclaré jeudi 2 février le ministre de l'Intérieur lors d'un forum sur les outre-mer organisé à la Maison de l’océan, à Paris, par l'hebdomadaire Le Point. "Les gens spontanément dans la rue ne vous parlent pas d'institutions. Les gens, ils veulent le développement économique, un logement, plus de subventions, de sécurité, mais pas d'institutions différentes", a-t-il ajouté, poursuivant : "En Nouvelle-Calédonie, vous avez 90% des compétences désormais, et quand on veut aller vers l'autonomie ou l'indépendance, on ne peut pas toujours demander à l'État français de compenser le budget de la Sécurité sociale ou compenser telle ou telle politique parce qu'on n'a pas su les mettre en place."
Le contexte des déclarations de Gérald Darmanin : les élus de plusieurs territoires d'outre-mer voudraient profiter de la révision constitutionnelle qu'implique la fin de l'accord de Nouméa et la mise en place d'un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie pour revoir les articles 73 et 74, qui concernent les autres collectivités ultramarines. "Là où je peux rejoindre les élus ultramarins c'est que nous avons un système vieux", concède le ministre.
Celui-ci a par ailleurs estimé que si "les outre-mer ont structurellement moins d'argent", c'est notamment parce qu'ils fonctionnent avec l'octroi de mer, "sorte de TVA" qui "permet de taxer les produits qui rentrent dans le territoire ultramarin". Or, selon le ministre, "la première cause de l'inflation, c'est souvent l'octroi de mer" et "il faut sans doute refaire profondément la fiscalité ultramarine".
"Il faut savoir dire : vous n'aurez d'autonomie demain que si vous êtes capables de produire ce que vous mangez, ce que vous consommez comme électricité, et c'est par la richesse économique que vous aurez des recettes, pas par les subventions", a en outre lancé le ministre, s'interrogeant : "Car si la France s'en va de ces territoires, qui va venir si vous n'êtes pas capable de vous développer ? Est-ce qu'il faut changer la France par la Chine quand on est Calédoniens ou Polynésiens ? C'est une question intéressante."
Autre saillie : "C'est la République française qui a aboli l'esclavage (...), on demande donc [aux territoires ultramarins] d'aimer la République." "Il y a aux Antilles, en Guyane, un sentiment identitaire, de réaction, qui mérite d'être entendu mais qui (...) ne mérite pas d'être entendu comme la Nouvelle-Calédonie a le mérite d'être entendue parce que ce n'est pas la même histoire."
Dès le lendemain, des députés ultramarins ont condamné ces propos. "Au relativisme moral des puissances colonisatrices, persuadées d'apporter culture et savoir aux populations dont elles brimaient les capacités d'autodétermination en même temps qu'elles tuaient leur puissance créatrice, semble avoir succédé une forme nouvelle de révisionnisme historique", ont réagi 18 députés élus dans un communiqué. "Si l'histoire coloniale est en effet plurielle dans sa réalisation, elle est une dans ses causes et dans ses conséquences actuelles : les outremer demeurent le pur produit de l'expansionnisme, restent envisagés comme des relais de puissance et d'influence, et sont tributaires de prismes nationaux car constamment ramenés à leurs vertus géostratégiques", ont-ils poursuivi. L'abolition de l'esclavage est "le résultat de la résistance constante des esclaves, contraints d'arracher leur liberté là où les décisions de la République mentionnée par Gérald Darmanin tardaient à être proclamées, et plus encore, à être appliquées", insistent les députés ultramarins. "C'est cette même République qui maintient nos territoires d'outre-mer dans un état de sous-développement chronique et qui passe quasiment systématiquement sous silence les outre-mer dans les projets de loi présentés au Parlement, dessaisissant progressivement ce dernier de ses prérogatives", ajoutent-ils.
Et samedi 4 février, c'était au tour de l'Association des maires de France de s'exprimer par un communiqué courroucé en forme de mise au point. En premier lieu, "contrairement à ce qu’affirme le ministre, les compétences des collectivités n’ont pas été 'données' par l’État mais relèvent de leur libre administration, consacrée par la constitution", souligne l'AMF. Deuxièmement, "l’autonomie alimentaire ou énergétique ne saurait constituer un préalable à la libre administration, d’autant plus qu’aucune région de France ne produit entièrement ce qu’elle consomme !". L'association tique aussi sur le terme de "subventions", indiquant que "les dotations ne sont pas des 'subventions' mais des dus, qui viennent compenser la suppression par l’État de la fiscalité des collectivités".
L'hypothétique "si la France s'en va" déplait également à l'AMF, pour laquelle ces territoires faisant partie de la France, il ne saurait être question de s'en aller. Quant au "sujet d'élus", l'association se dit d'autant plus surprise qu'une démarche de consultation des élus sur une réforme institutionnelle a précisément été engagée.