Outre-mer : comment attirer et retenir les jeunes diplômés
Les délégations sénatoriales aux outre-mer et aux entreprises ont mené jeudi 11 mai des auditions conjointes relatives à la problématique de l’emploi des jeunes diplômés dans les territoires ultramarins. Des territoires dans lesquels de nombreux obstacles pénalisent le retour des natifs ayant suivi des cursus en métropole, constatent les intervenants.
D’une manière générale, regrette Serge Babary, le président de la délégation sénatoriale aux entreprises, "le défi de l’emploi local est un thème insuffisamment abordé". A fortiori dans des territoires ultramarins qui souffrent d’un déficit d’attractivité, source de difficultés de recrutement récurrentes, alors même que certains de ces territoires connaissent une situation démographique "inquiétante". En cause, "un défaut structurel d’ingénierie dans nos territoires dans le public comme dans le privé", constate le président de la délégation aux outre-mer Stéphane Artano, ce qui rend plus compliqué qu’ailleurs en métropole "de faire venir et de retenir les talents".
Un modèle économique ultramarin "qui doit être repensé de manière durable"
Afin d’illustrer la situation spécifique des outre-mer, Sophie Brocas, directrice générale des outre-mer (DGOM), file la métaphore du huis-clos économique qui freine, selon elle, le développement de ces territoires. Le huis-clos est en premier lieu géographique avec un océan, "fait physique indépassable" qui restreint les marchés des entreprises locales ; un huis-clos "lié à l’histoire coloniale qui s’est construite avec des entreprises dominantes" dont le fonctionnement même impacte négativement la montée en compétence des employés dans un territoire qui se caractérise également par l’existence d’une économie informelle et de difficultés constatées "à dépasser les entreprises de plus de un salarié !" ; le huis-clos concerne également la fiscalité locale "complexe et peu stable" ; les liens avec la métropole qui concentre l’essentiel des relations commerciales de ces territoires ; et enfin le huis-clos est celui d’un modèle économique "qui doit être pensé de manière durable" face aux enjeux du changement climatique qui va fortement impacter les outre-mer dans les décennies à venir.
Un appel à ce que les entreprises s’impliquent davantage
Alors que "les entreprises ont besoin de talent", poursuit-elle, elles sont confrontées à un double phénomène : le départ de ceux qui vont poursuivre un cursus en métropole et qui ne reviennent pas, ainsi que la difficulté pour les autres d’accéder dans ces territoires à des formations. La DGOM appelle ainsi les entreprises à s’impliquer davantage à travers "la publication d’offres de stages, d’apprentissage ou d’emploi sur une plateforme unique (...) pour attirer les jeunes stagiaires et les fidéliser". Des entreprises, estime-t-elle, qui doivent accepter de prendre des risques "sur des postes à enjeu en acceptant la question de la mobilité, y compris pour des jeunes métropolitains !"
"Une situation qui porte en elle les germes d’une révolution sociale"
Vice-président de la Fédération des entreprises d’outre-mer (Fedom), Didier Fauchard souligne pour sa part que "l’on ne peut pas séparer la question de l’emploi de celle du logement" ainsi que de celle de la mobilité, a fortiori sur un territoire, l’île de la Réunion, où les transports sont un enjeu central. Mais la principale difficulté, avance le représentant du Medef, concerne les enseignements de base : "L’école n’est devenue obligatoire sur l’île de la Réunion que dans les années 70, ce qui explique en grande partie la question de l’illettrisme", ainsi que celle du décrochage scolaire qui touche beaucoup de jeunes "que l’on retrouve ensuite en missions locales". Une situation, prévient-il, "qui porte en elle les germes d’une révolution sociale !". Le dirigeant regrette enfin qu’il n’existe pas de dispositif d’aide au retour, à l’instar de ce qui existe pour l’aide au départ vers la métropole. "Il n’existe pas de bourses pour revenir, trouver un logement, un emploi et s’insérer".
Yannick L’Horty, chercheur à l’université Gustave-Eiffel, pointe quant à lui "les discriminations à l’embauche" dont sont victimes les jeunes issus des territoires ultramarins, ce que démontrent des études récentes menées dans les secteurs de la restauration et du commerce de prêt-à-porter. Des études "très partielles et convergentes" qui décrivent un phénomène "qui joue un rôle dans l’explication persistante du chômage" en métropole comme en outre-mer.
Un problème d’équité de l’accès aux offres d’emplois
Cofondatrice de l’association Guyan’Envol, Cynthia-Renée Sagne accompagne des jeunes entre 15 et 25 ans sur un territoire "où les jeunes sont plus mobiles qu’ailleurs mais aussi moins diplômés". Là encore, les problématiques s’additionnent : marché du travail en tension, manque de formation avec une difficulté spécifique liée à l’installation des jeunes diplômés qui peinent à s’émanciper du cercle familial. Au point que les collectivités locales, explique-t-elle, "réfléchissent à un dispositif d’aide au retour". Sur la question du retour en Guyane de jeunes formés en métropole, elle constate que "certains rentrent avant même d’avoir une promesse d’embauche car ils manquent de visibilité sur les opportunités en local où le bouche-à-oreille est un facteur accélérant mais qui interroge sur l’équité de l’accès aux offres d’emploi".
Au final, rappelle Sophie Brocas, l’enjeu consiste à offrir aux jeunes générations des perspectives de mobilité : "On peut revenir pour cinq ans et envisager cela comme une étape de carrière ; mais on a souvent l’impression que ce retour est définitif ! Les jeunes générations ne sont pas dans cet esprit-là."