Congrès de Régions de France - Orientation : l'impossible défi des régions
À l'occasion d'un atelier lundi 30 septembre 2019 dans le cadre du congrès des régions, des élus ont fustigé le transfert de la compétence orientation il y a un an. Pour eux, la loi ne leur donne pas les moyens financiers et humains ni l'autorité nécessaires pour réussir.
Dire que les représentants des exécutifs régionaux sont remontés contre la loi du 5 septembre 2018 qui leur a confié la gestion de l'orientation serait un euphémisme. À l'occasion d'un atelier intitulé "Orientation : comment les régions remplissent-elles leur nouveau rôle ?", organisé lundi 30 septembre dans le cadre du 15e congrès de Régions de France à Bordeaux, les intervenants se sont livrés à une attaque en règle contre cette réforme.
Il y a un an à peine, la loi Avenir professionnel renforçait le rôle des régions en matière d'orientation. Le texte les chargeait d'informer les élèves dès le collège, mais aussi les étudiants, sur les métiers et les évolutions de l'emploi, et fixait l'entrée en vigueur de cette mesure au 1er janvier 2019. La même loi ôtait l'apprentissage de l'éventail de compétences des régions. Ce point a constitué le premier angle d'attaque des élus présents à Bordeaux.
Apprentissage, le chaînon manquant
Pour Emmanuelle Gazel, vice-présidente chargée de l'emploi et de la formation en Occitanie, "on reproche souvent aux politiques d'emploi-formation-orientation leur complexité. Là, nous avions une occasion unique d'avoir l'ensemble de la chaîne autour de l'emploi avec l'orientation, la politique dans les lycées professionnels et la carte des formations, et évidemment l'apprentissage. Il n'y a pas de logique à nous retirer le pilotage de l'apprentissage". Alors que la gestion de l'apprentissage est désormais du ressort des branches professionnelles, la question de la maîtrise de la carte des formations a également été soulevée par Jean-Louis Nembrini, vice-président de la Nouvelle-Aquitaine chargé de l'éducation et des lycées : "On va livrer au plus offrant la carte des formations. Aujourd'hui, on ouvre des CFA du bâtiment pour la construction, et demain on les ferme ? Ce n'est pas comme ça que nous voyons les choses. Nous voulons conserver contre vents et marées la maîtrise de la carte des formations, car sans cette maîtrise, les lycées professionnels et les petits CFA fermeront les uns après les autres. Dans un monde où la formation tout au long de la vie est la seule certitude, si on perd un lycée sur le territoire, lieu de l'enseignement supérieur court, on perdra tout." Quant à Valérie Debord, vice-présidente du Grand Est chargée de l'emploi, elle voit un paradoxe à donner aux régions la compétence de l'orientation tout en lui retirant celle de l'apprentissage : "On nous a imposé une loi dont nous ne voulions pas. Nous étions nuls pour gérer l'apprentissage mais nous sommes formidables pour gérer l'orientation !"
Échec assuré ?
Bien entendu, comme tout transfert de compétence, cette réforme de l'orientation nécessite des moyens. Ici encore, les dents grincent du côté des conseils régionaux qui se voient transférer des postes et non des emplois. "Avec 16 équivalents temps plein pour 230.000 lycéens, vous comprenez qu'on est loin de pouvoir faire un travail individualisé et de qualité", pointe Emmanuelle Gazel. Valérie Debord, elle, ironise : "On nous dit compétents sur les schémas régionaux économiques, sur la formation complète des demandeurs d'emploi, sur l'aménagement du territoire et on nous donne royalement, en ce qui concerne ma région qui compte 5,5 millions d'habitants, l'équivalent de 16 postes de Dronisep (délégations régionales de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions) pour gérer l'orientation dans l'ensemble des établissements à partir de la troisième. Ce n'est pas sérieux et ce n'est pas honnête. C'est l'échec assuré."
Manque de cohérence, manque de moyens, n'en jetez plus, la coupe est pleine ! Loin s'en faut… car le principal grief fait à la loi est de ne pas aller assez loin dans la décentralisation de l'orientation en diluant l'autorité des régions. Si la nécessaire concertation avec les conseils départementaux pour l'orientation au collège semble un moindre problème, il n'en est pas de même des rapports avec l'Éducation nationale et ses personnels. "On nous explique qu'on coordonne l'orientation, mais sous la tutelle du rectorat, fustige Valérie Debord. Une fois de plus, les régions sont maltraitées. Nous réclamons un grand service de l'orientation et de la formation pleinement et entièrement décentralisé. On ne peut pas nous demander d'administrer une politique si nous n'avons pas pleine et entière autorité."
Bousculer les choses
D'autorité, il a beaucoup été question durant les débats. De l'autorité du conseil régional sur les personnels chargés de l'orientation surtout. "Je propose qu'on bouscule les choses avec l'accord des bousculés, a lancé Jean-Louis Nembrini. Je propose que les directeurs de CIO (centres d'information et d'orientation] viennent travailler avec nous. Mais pas par convention, par délégation. Si ce n'est pas le président du conseil régional qui donne instruction à ces personnels, on ne rentrera pas dans les collèges. Nous voulons aller au cœur des territoires. Les agents de l'Éducation nationale pourraient être décentralisés, mais il suffit de le décider pour créer un conflit social !"
Pour ce qui est des CIO, Emmanuelle Gazel a apporté une première réponse… pessimiste. L'Occitanie leur a en effet "demandé de rejoindre les maisons de l'orientation" que la région met actuellement en place, mais cela "ne s'est pas fait". Quant aux professeurs de l'Éducation nationale, les régions ont des idées à leur soumettre. "On veut mener des actions pour outiller les enseignants qui sont au contact de l'ensemble des jeunes scolarisés. Nous souhaitons mettre en place un travail de professionnalisation à leur égard", a précisé Emmanuelle Gazel. La nouvelle directrice général de l'Onisep, Frédérique Alexandre-Bailly, a immédiatement réagi en affirmant qu'il y avait sur ce sujet "un tabou" avant de préciser qu'elle était "choquée" d'entendre parler de professionnalisation des enseignants, car pour elle, "les enseignants sont des professionnels". Sur le terrain, les régions sont prévenues : elles devront marcher sur des œufs.
Territorialiser l'orientation
Alors que faire ? Dominique Fournel, vice-président du conseil régional de la Réunion, estime d'entrée que "si on applique la loi et rien que la loi, on n'ira pas très loin". Depuis le 1er janvier, des régions sont néanmoins en ordre de marche. Dans le Grand Est, des boîtes à outils vont être mises à disposition des établissements. Elles permettront d'obtenir des financements à partir de projets d'orientation visés par une charte éthique. En Occitanie, une maison de l'orientation, dotée d'une équipe dédiée et d'outils innovants, a ouvert à Toulouse. D'autres vont suivre, à Montpellier et dans tous les départements de la région. En Nouvelle-Aquitaine, après avoir signé une convention avec les trois rectorats du territoire, le conseil régional vient de créer une direction de l'orientation en son sein.
Pierre Ferracci, président du Conseil national éducation-économie (CNEE) et grand témoin du débat, a conclu en affirmant : "Il faut territorialiser l'orientation car la centralisation actuelle a largement contribué à orienter les jeunes plutôt vers les services que vers l'industrie. Et ce n'est pas déconsidérer l'Éducation nationale que de dire que sur certains terrains, elle n'est pas la mieux placée." Dans la salle, des représentantes de syndicats étudiants ont proposé d'accompagner "bénévolement" les actions d'orientation qu'on voudra bien leur confier. Elles étaient apprenties sages-femmes ou infirmières. Il fallait au moins ça pour faire retomber la pression autour d'un sujet aussi passionné.