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Réorienter l'orientation : un nouveau défi pour les régions

Face à la pléthore de structures liées à l’orientation scolaire - pour des résultats médiocres -, le rapport de Pascal Charvet, présenté le 26 juin, donne des clés pour mettre en œuvre le nouveau partage des rôles entre l'Éducation nationale et les régions. Ces dernières, désormais responsables de l'information sur les métiers et les formations, ont pris les devants, à l’instar de la Normandie qui vient de se doter d'une nouvelle agence.

Dépossédées de l’apprentissage, les régions s’emparent de leur nouvelle compétence en matière d’orientation acquise avec la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018. La Normandie a ainsi annoncé le 20 juin la création d’une agence régionale de l’orientation et des métiers au 1er janvier 2020. Elle compte ainsi investir 4 millions d’euros dans cette agence qui regroupera en un lieu unique des compétences aujourd’hui éclatées en différents endroits : Cité des métiers, l’Onisep (Office national d'information sur les enseignements et les professions) décentralisé et les activités orientation du Carif-Oref (Centre animation ressources d’Information sur la formation -Observatoire régional emploi formation). Mais ce nouveau partage des rôles entre État, rectorats et régions n’est pas clair et suscite encore bien des émois chez les personnels de l’Onisep transférés aux régions et ceux des CIO (centres d’information et d’orientation) dont un bon nombre risquent de mettre la clé sous la porte. Le très attendu rapport de Pascal Charvet remis au ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, mercredi 26 juin, intitulé "Refonder l’orientation - Un enjeu État-régions", doit servir à concrétiser le cadre de référence national signé le 28 mai entre l’Etat et les régions (voir ci-dessous notre article du 29 mai 2019). Il formule 27 propositions en ce sens. Mais rien n’est figé. "On entre dans une année expérimentale consacrée à cette nouvelle construction", explique à la presse l’inspecteur général honoraire. Sa mission ne s’achève donc pas avec la remise du rapport. Il s’agira de voir au plus près comment la nouvelle architecture se met en place.

Logique de "placement"

Dans la lignée de nombreux états des lieux, dont celui du Cese en 2018, Pascal Charvet s’attaque à un système trop "complexe", "de moins en moins lisible" et qui favorise les initiés. De quoi décourager les familles qui recourent de plus en plus à des cabinets privés tels que Recto Versoi, Mental’O, Motisup pour ne citer qu’eux, ou à des "coachs scolaires". Les péripéties de Parcoursup n’y sont pas étrangères…
La logique de "placement" qui prévaut dans les établissements et qui repose sur les résultats chiffrés avant tout autre considération est cause d’une grande déperdition. À l’échelle de l’OCDE, les chiffres de la France sont "alarmants", souligne le rapport. 8,68% des garçons de 15 à 19 ans et 22,27% des 20 à 24 ans sont dans la catégorie des "trois ni" ("ni en emploi, ni en enseignement, ni en formation"). Avec une proportion à peine moindre chez les filles. C’est quasiment le double par rapport à l’Allemagne.
Les dysfonctionnements de l’orientation se répercutent à l’université. Près des deux tiers de étudiants échouent en première année de licence. "Si l’on peut légitimement comprendre qu’un jeune se cherche selon la logique essai-erreur (…) il est plus difficile d’admettre qu’en France un nombre aussi important d’étudiants soient ainsi en situation d’échec", s'insurge le rapporteur. Or c’est bien avant que cela se joue.
La filière professionnelle n'est pas en reste. De nombreux élèves s’engouffrent chaque année dans des filières bouchées. Au niveau CAP, alors qu’il existe 200 spécialités, moins de 20% d’entre elles accueillent 85% de l’effectif total, indique le rapport. Au niveau du bac bro, 3 des 16 spécialités proposées accueillent les deux tiers des 316.000 élèves concernés. Et c’est le secteur des services qui décroche la timbale. Cette "sur-concentration" génère des "vocations contrariées" et des pénuries de recrutements dans les entreprises. "On voit très clairement ce dont se nourrit la crise de l’avenir", estime Pascal Charvet qui alerte : "Des filières sont vides, dans la plasturgie, l’aluminium… C’est une situation très grave." Il faut impérativement selon lui se rebrancher sur l’industrie, car d’autres pays l’ont déjà fait.

162 heures en lycée

Alors comment réussir, là où tant de réformes ont échoué ? Le rapporteur opte pour la "pédagogie de l’orientation". L’enjeu : donner à l’élève "la possibilité des choix" au lieu de "se faire choisir par le marché du travail" ("adéquationisme"). Il préconise une orientation en continue, comme d’autres pays, soit un "accompagnement à l’orientation" de la quatrième à la terminale. Il peut s’appuyer sur la réforme des lycées qui prévoit de consacrer un total de 162 heures à l’orientation en trois ans, soit 54 heures chaque année, à compter de la rentrée 2019. Au collège, ce sera 36 heures. Pour la première fois, l’orientation est prise sur le temps scolaire. "C’est la grande révolution", s’enthousiasme Pascal Charvet.  "La France rejoint enfin les pays civilisés qui ont compris que c’est en s’appuyant sur l’école qu’on peut faire bouger les représentations", n’hésite-t-il pas à dire. Il propose en plus la création de "référents orientation" (professeurs ou CPE spécialement formés) dans chaque établissement. Les équipes seront constituées autour des psychologues (Psy-En) des actuels CIO. Les interventions seront "construites par les régions et les équipes éducatives". Ces heures seraient réparties en "workshops", en entretiens individuels, en stages, avec des interventions de professeurs, de psychologues de documentalistes…
Le rapporteur suggère aussi de généraliser le tutorat (d’étudiants ou de lycéens) en s’inspirant des Cordées de la réussite ou des parcours d’excellence.

Les régions "en capacité de lever deux tabous"

L’autre grande nouveauté c’est bien sûr la coopération Etat-régions, concrétisée dans un cadre national de référence signé le 28 mai. Elle constitue le "second événement historique", assure Pascal Charvet, les régions étant désormais officiellement chargées de l’information sur les métiers et les formations. Par leur connaissance du monde économique, elles sont "en capacité de lever deux tabous". Tout d’abord le manque de transparence dans l’information sur le marché du travail. Et "la lecture hiérarchique" de l’orientation, où l’on considère toujours la filière professionnelle comme une voie de garage. "Une faute professionnelle", s’insurge Pascal Charvet. L’atout de la région vient de "sa connexion avec le monde économique et social", ce qu’elles clament de longue date en revendiquant un continuum allant de l’orientation à la formation. "Si l’Etat doit être le garant de l’équilibre trans-régional de l’information diffusée et de la formation proposée à tout élève sur le territoire national, la veille territoriale sur les débouchés, l’articulation des formations aux métiers et çà l’offre d’emploi, dans le territoire où vit et grandit un adolescent, est le domaine de compétences privilégié de la région", eut-on lire dans le rapport.
"On a un système qui marche sur la tête, beaucoup de régions commencent à adhérer", commente Pascal Charvet, citant la Normandie, mais aussi la Nouvelle Aquitaine ou la région Centre-Val-de-Loire. Sans parler des Hauts-de-France qui viennent de lancer leur portail Proch'orientation.

Nouvelle organisation territoriale

Reste peut-être le plus compliqué : revoir en profondeur l’organisation territoriale de l’orientation face à une pléthore d’acteurs aux fonctions redondantes, avec près de 8.000 structures et plus de 37.000 professionnels répertoriés. Pour des résultats sans appel. "Cette situation exige une démarche partenariale renouvelée, avec une stratégie et un plan d’action partagés entre région et rectorat", souligne Pascal Charvet. Il entend ainsi confier aux régions, en lien avec les rectorats, "la coordination des acteurs implantés sur le territoire assurant la diffusion de l’information à l’orientation" ainsi que "l’élaboration d’un schéma régional d’information sur les métiers et les formations servant de cadre de référence à la contractualisation avec les établissements scolaires du second degré". L’Onisep, le Cereq et les CIDJ (centres d’information et de documentation jeunesse) sont appelés à se "mutualiser".
Au niveau de l’Education, des délégations régionales de l’orientation (Drao) seront créées dans chaque région académique (en remplacement des SAIO). Reste la question, au niveau départemental, de l’avenir des CIO "où on ne va plus beaucoup", considère l’Igen. Leur sort n’est toutefois pas très clair. Il est question de maintenir l’échelon départemental mais d’en resserrer la carte d’ici trois ans, avec "au moins" un centre par département (quant à elle seule la Normandie en compte 25 !) et des antennes dans des lycées "têtes de réseau". Les Psy-En seront donc amenés à se déplacer d'un lycée à un autre. Les missions des CIO seront redéfinies, notamment autour du décrochage scolaire. Ils pourraient être amenés à travailler avec les missions locales sur la future "obligation de formation" des 16-18 ans.
Concrètement, les CIO seraient accueillis dans les CDI (centres de document et d'information) appelés à se muer en... "Bibliolabs".
L’ancien directeur de l’Onisep se veut rassurant pour l’avenir des personnels de l'Onisep et des CIO, alors que la réforme a entraîné une levée de boucliers des syndicats. "Le constat ne met pas en cause les personnels, ils n’ont pas démérité (…) La situation va s’éclaircir", promet-il. En matière d'information, l’Onisep restera le "vaisseau amiral", veut-il croire. Il conservera sa direction nationale. Les 95 agents qui y resteront "doivent savoir au plus tard cet été" ce qu’ils vont devenir. Les 155 autres, rattachés aux délégations régionales, devront se prononcer sur leur volonté de rejoindre la région ou de prendre un autre poste. Le rapporteur demande un "accompagnement". Pas de quoi rassurer les syndicats pour qui ce rapport a fait l’effet d’une douche froide. Les effectifs de l'Onisep "ne savent toujours pas comment ils seront répartis les ETP entre les régions", réagit le Snes-FSU. Selon le syndicat, "les deux tiers des CIO seraient fermés et les directeurs de CIO dispersés sur des missions plus ou moins floues, au gré des situations locales".

 

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