Observatoire des inégalités : qui (et où) sont les riches ?
Ils gagnent plus de 3.860 euros par mois pour une personne seule (mais près de 10.000 euros pour un couple avec deux enfants), sont pour une bonne part des cadres du privé, sont propriétaires (et souvent multi-propriétaires) et vivent sans surprise dans les communes les plus prisées, que ce soit Paris, les environs d'Annecy ou certaines "banlieues cossues"...
En France, 4,7 millions de personnes, soit 7,4% de la population, sont riches si l'on considère leurs revenus. En dix ans, ils sont devenus moins nombreux, mais sont en revanche "plus riches", selon un rapport de l'Observatoire des inégalités publié mercredi 5 juin.
A partir de quels revenus est-on riche en France ? 3.860 euros par mois en 2021 pour une personne seule, impôts déduits, 5.790 euros pour un couple, et 9.650 euros pour une famille avec deux adolescents, estime cet Observatoire, qui a choisi d'utiliser le même critère que l'OCDE et le gouvernement allemand, soit deux fois le revenu médian. Et qui se dit d'emblée conscient des critiques que ce choix pourra susciter, passant en revue les diverses objections qu'on pourra lui opposer.
Si l'Insee définit un seuil de pauvreté (1.158 euros en 2021), il ne fixe pas de seuil de richesse. Selon les calculs de l'Observatoire basés sur des chiffres de l'Insee, de 2011 à 2021, le pourcentage des personnes considérées comme riches selon ce critère a baissé de 1,5 point et leur nombre a reculé de 784.000, sous l'effet à la fois de réformes fiscales et de l'élévation du niveau de vie médian. Mais ces "riches" sont plus aisés. L'année 2021 correspond à la dernière année pour laquelle l’Insee a publié des chiffres (l'Observatoire dit avoir "bonnes raisons de penser que les trois dernières années, marquées par le retour de l’inflation, ont été favorables aux plus aisés").
Les cadres du privé bien plus que les agents publics
Le profil type ? Un cadre supérieur, âgé et masculin : 43% des salariés riches sont des cadres supérieurs du privé (et 25,6% des cadres sont riches), 21% de la fonction publique et 3% des directeurs généraux ou adjoints d'entreprises. Si on considère les actifs riches, 23% sont des indépendants (médecins, avocats, notaires, experts-comptables...), selon des données de 2019 analysées par l'Observatoire.
Côté fonction publique, on saura que "environ 5% des agents touchent plus de 4.300 euros par mois, le double du salaire médian du secteur public". Mais que "dans la fonction publique territoriale, les rémunérations grimpent moins haut" : "le 1% le mieux payé se situe au-dessus de 4.800 euros, et gagne 5.900 euros par mois en moyenne".
Les hommes sont deux fois plus nombreux que les femmes à percevoir un revenu situé dans les 10% les plus hauts. L'âge compte aussi : 1% des ménages ayant moins de 30 ans perçoivent des revenus leur permettant d'être considérés comme riches, 10% des 55-59 ans mais 15% des 60-64 ans, selon ce troisième rapport de l'Observatoire, mené grâce à un financement participatif.
Au-delà des 0,1% d'ultra-riches, "le décalage est énorme entre cette France qui vit bien, profite pleinement de la société de consommation, et les catégories populaires et moyennes", souligne son directeur, Louis Maurin, auteur du rapport avec Anne Brunner.
Stratégie d'accumulation
"Les riches en revenus et les riches en patrimoine sont en grande partie les mêmes" - catégorie atteinte à partir de 531.000 euros de patrimoine pour un ménage en 2021 (soit trois fois le patrimoine médian) - selon l'Observatoire (qui bat ainsi en partie en brèche la prévalence des situations du type "la veuve de l'île de Ré").
Quelque 87% des "riches" en termes de revenus sont propriétaires de leur logement, contre 58% des autres ménages, et 63% possèdent un deuxième bien immobilier, contre 22%, selon les données de 2019 analysées par Vivien Charbonnet, directeur du développement de l'Observatoire. Et parmi eux, "la moitié sont propriétaires d’au moins un logement dit 'de rapport'" (mis en location). "La constitution de ce patrimoine immobilier est le premier pas d'une stratégie d'accumulation : les revenus qui en sont issus permettent de faire grossir la fortune qui, à son tour, procure des revenus", note l'Observatoire.
Avec un patrimoine d'une valeur supérieure à 716.000 euros, les 10% les plus fortunés captaient ainsi en 2021 47% du patrimoine total des ménages français, un chiffre en hausse de six points en dix ans. "Les millionnaires représentent 5% des ménages" et "le 1% du sommet possède au moins 2,2 millions d’euros par ménage", résume l'Observatoire.
Les "riches" vivent dans des logements offrant quelque 50% de surface supplémentaire dans les petites villes et l'agglomération parisienne et près de 70% dans les grandes villes (hors Paris), selon des travaux menés par Vivien Charbonnet à l'Université de Tours. En sachant que même lorsqu'ils sont locataires, les ménages aisés "dépensent en loyer une part de leur revenu beaucoup moins importante que les autres (...), alors qu’ils occupent de meilleurs logements".
"Être riche permet de bien se loger, le pilier principal de la qualité de vie. Cela permet de choisir son lieu de vie, son quartier et son environnement (...), quitte à réduire son train de vie pour demeurer avec ses semblables", peut-on lire dans le rapport.
"On se sent plus ou moins riche selon l’endroit où l’on vit"
Alors, en termes de géographie, pas de surprise non plus. "Combien faut-il localement pour appartenir à [la] tranche favorisée ? La réponse n’est pas la même selon le territoire", souligne si besoin était le rapport. Qui ajoute que "pour un même niveau de vie, on se sent plus ou moins riche selon l’endroit où l’on vit". Question de prix de l’immobilier... mais aussi de comparaison de ses revenus "à ceux des personnes que l’on côtoie".
Les personnes aisées sont concentrées à Paris (en particulier dans les arrondissements de l'ouest, 7e en tête) et dans les Hauts-de-Seine (Neuilly-sur-Seine largement en tête). Globalement, "la région parisienne concentre les départements où les 10% les plus riches affichent le niveau de vie le plus élevé".
En région, elles vivent en particulier près de la frontière suisse. Veyrier-du-Lac par exemple, près d'Annecy, arrive en tête en 2020 du classement des petites villes où les riches sont les plus riches, avec plus de 10.000 euros par mois de revenus pour 10% de ses habitants. "La Haute-Savoie se classe ainsi en troisième position de ce classement avec un niveau de vie minimum de 5.000 euros par mois pour entrer parmi les10% les plus riches".
Et puis il y a aussi certaines "banlieues cossues et des quartiers de grandes villes qui abritent aussi, à l'inverse, la plus grande pauvreté". Au final, "des territoires qui englobent les grandes métropoles (Lyon, Marseille, Nice, Bordeaux, Toulouse) se situent à un niveau intermédiaire". Tandis qu'"en bas de tableau, on trouve des départementsplus ruraux" (Creuse, Indre...). Dans tous les cas, "il faut zoomer à l’échelle des communes ou des quartiers pour découvrir les lieux de vie prisés des plus aisés", confirme l'Observatoire.