Numérique éducatif : cinq EdTech incitent à passer "des bonnes intentions à l'action"
Cinq acteurs de la filière française des EdTech appellent à "passer des bonnes intentions aux actes", dans un livre blanc paru le 29 février. Selon ces entreprises, il existe encore trop de freins à l'accélération du numérique à l'école : manque de collaboration entre les acteurs au plan local, des collectivités et un État qui investissent trop souvent sans prendre en compte la réalité du terrain, des outils parfois hors-sol ainsi qu'un manque d'agilité dans la distribution des subventions publiques.
Plus de deux ans après les États généraux du numérique pour l’éducation, cinq acteurs de la filière EdTech (Afinef, EducAzur, EdTech France, EdTech Grand Ouest, Numeum) appellent à "passer des bonnes intentions aux actes", dans un livre blanc paru le 29 février 2024. Fruit de la contraction entre "technologie" et "éducation", le terme "EdTech" désigne un ensemble d'acteurs, des jeunes start-up aux entreprises et organismes de formation, offrant des solutions technologiques dédiées à l'enseignement scolaire et supérieur et à la formation professionnelle. Il peut s’agir d'éditeurs de logiciels, de concepteurs de solutions technologiques (plateformes, applications…) ou d'opérateurs de solutions. En 2021, moins de 15% des EdTech françaises se positionnent exclusivement sur marché scolaire (marché K12), représentant seulement 7% de l'ensemble du chiffre d'affaires de la filière, soit moins de 100 millions d'euros (l'essentiel de la filière étant en fait porté par le marché de la formation professionnelle). "Ce marché de niche peine à décoller, alors même que les enjeux liés au numérique de l’éducation sont structurants pour l'avenir de la France", regrettent les cinq acteurs du numérique et de la formation. Des enjeux qui englobent selon eux tant le niveau des élèves, la citoyenneté numérique, la continuité pédagogique, la souveraineté de la France en matière de numérique de l’éducation que la lutte contre les inégalités scolaires. Dès lors, ils émettent 12 propositions (lire encadré ci-dessous).
Trop de freins à l’accélération du numérique à l'école
Pour ces entreprises de l'EdTech, il existe encore trop de freins à l’accélération du numérique à l'école. À commencer par la formation des enseignants, insuffisante selon eux. Autre frein pointé du doigt : "le manque de collaboration entre les acteurs au plan local". Et de dresser deux constats.
Tout d'abord, "les collectivités et l'État investissent trop souvent sans prendre en compte la réalité du terrain", c'est-à-dire "sans tenir compte des besoins des enseignants, des parents, ni des recommandations des académies". Avec, comme exemple, les décisions d'équiper les élèves en tablettes ou ordinateurs qui ont ainsi été faites "sans prendre en considération les facteurs techniques (présence de wifi par exemple) ou les usages des enseignants". "Cette priorité à l'équipement déconnectée des besoins du terrain a été longuement pointée du doigt par la Cour des comptes", rappellent d'ailleurs les Edtech (voir notre article du 10 juillet 2019 et du 19 mars 2021). Le constat est clair : "Équiper ne suffit pas à accélérer le numérique de l'éducation. Pour que les équipements soient effectivement utilisés, tous les interlocuteurs interviewés prônent un rééquilibrage des investissements, selon la règle du 1+1+1 : un tiers pour l'équipement et les infrastructures, un tiers pour les ressources numériques, un tiers pour la formation".
Trop d'outils numériques perçus comme "hors-sol"
Les auteurs font un deuxième constat : "En dépit des appels à projets favorisant la collaboration entre acteurs (EdTech, centres de recherche, enseignants, collectivités) dès la phase de R&D, les synergies semblent encore trop peu nombreuses." Résultat : certains outils numériques sont perçus comme "hors-sol, loin des problématiques précises rencontrées sur le terrain", déplorent les EdTech qui ont une certitude : "Coconcevoir les outils en associant recherche, enseignants, collectivités dès l’amont est une solution qui porte ses fruits." Ils estiment qu'à ce titre, les projets lancés dans le cadre des marchés publics innovants autour de l'intelligence artificielle (P2IA) sont exemplaires.
La question du financement est aussi abordée, alors que "bon nombre des EdTech du marché scolaire ne subsistent que grâce aux appels à projets et subventions". Pour certains acteurs interviewés dans le livre blanc, la question n'est pas tant le montant des financements que la façon dont l'argent est distribué. "Dispositifs de financement trop lents, appels à projets trop complexes, trop de saupoudrage et pas assez de vision…" : un manque d'agilité dans la distribution des fonds est souvent pointé du doigt. "Le marché du numérique éducatif pèse 90 millions d'euros en France, soit 10 fois moins qu'en Angleterre." Les propos de Marie-Christine Levet, fondatrice d'Educapital datent de mai 2020 (interview parue dans Le Monde). Depuis, la crise sanitaire a accéléré l’usage du numérique à l’école, mais pas suffisamment pour que la France rattrape son retard.
Au terme de l'état des lieux proposé par leur livre blanc, les cinq acteurs de l'EdTech formulent 12 propositions. L'accélération du numérique de l'éducation est d’abord nécessaire sur les marchés publics ou parapublics (scolaire et enseignement supérieur) qui peuvent constituer des freins en tant que tels du fait de leur complexité. Il faudrait donc les simplifier. Les auteurs soulignent aussi que "la gouvernance des data est un point central, tant du point de vue de la souveraineté que de l’innovation" et préconisent d'accélérer la création de la plateforme des données de l'éducation, toujours en cours. Il faut aussi "renforcer la collaboration", préconisent les auteurs, qui appellent à "renforcer encore la cohésion" entre établissements scolaires, académies et collectivités locales. Pour pallier le "manque d'agilité dans la gestion des financements", les auteurs recommandent également de soutenir les EdTech par la commande publique, notamment en augmentant la part dédiée aux EdTech dans les PIA et pour France 2030. Autre proposition : "prioriser les investissements sur l'IA", alors que "les apprentissages personnalisés via l'IA sont des leviers pour lutter contre le décrochage scolaire". Enfin, les auteurs recommandent d'étudier la faisabilité d'un hub commun aux données de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur, de créer une instance pour accélérer la formation par le numérique tout au long de la vie ainsi qu'un haut-commissariat chargé de la mise en œuvre des ambitions françaises d’accélération de la formation par le numérique. |