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Réforme territoriale - Nouvelles régions : le Sénat adopte une motion pour réclamer un référendum

Les sénateurs ont adopté ce 3 juillet par 175 voix contre 134 une motion référendaire sur le projet dessinant la nouvelle carte des régions. Les longues interventions qui ont précédé ce vote ont une nouvelle fois témoigné des résistances que suscite la réforme.

Les sénateurs radicaux de gauche et communistes ont sorti ce mardi 2 juillet une nouvelle arme contre la réforme territoriale : le dépôt d'une motion pour exiger un référendum sur le premier des deux projets de loi du gouvernement.
"Il faut un référendum", a redit Christian Favier, sénateur CRC et président du conseil général du Val-de-Marne, déclarant : "Cette réforme a été menée dans la précipitation, alors qu'elle doit fixer la carte des territoires. La population doit pouvoir être consultée." "Sur un texte de cette importance, soit il y a procédure normale, soit on fait appel au peuple", a souligné de son côté Jacques Mézard, président du groupe RDSE (à majorité PRG) en critiquant la procédure accélérée choisie par le gouvernement. "Ce n'est pas comme cela que l'on découpe le territoire." Parmi les sénateurs qui ont soutenu la motion figurent Pierre Laurent, le secrétaire général du PCF, ou l'ancien ministre Jean-Pierre Chevènement qui, en tant que président d'honneur du MRC, a rejoint le RDSE.
Avec le dépôt de cette motion, les deux groupes relancent la guérilla parlementaire contre la réforme territoriale, en réattaquant le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, texte qui doit ramener de 22 à 14 le nombre de régions métropolitaines et reporter à décembre 2015 les élections cantonales et régionales de mars. La première attaque avait eu lieu le 26 juin, lorsqu'ils s'étaient joints au groupe UMP pour interrompre le début du processus parlementaire en demandant une saisine du Conseil constitutionnel. Lequel s'est prononcé le 1er juillet en donnant son feu vert au projet de loi (voir notre article du 1er juillet).
Juste avant cette première opération de blocage, le 26 juin, une courte majorité des sénateurs réunis en commission spéciale (en lieu et place de la commission des lois) avaient rejeté le projet de loi à une courte majorité. Cette commission avait pourtant amendé le texte pour dessiner une autre variante de la carte des régions et donner un droit d'option aux départements (voir notre article du 26 juin).

Les parlementaires privés de vacances ?

La motion a été discutée durant de longues heures ce mercredi après-midi au Sénat. Outre les groupes RDSE et CRC, l'UMP a rapidement fait savoir qu'elle voterait cette motion référendaire ce qui, étant donné l'équilibre politique du Sénat, permettait de présager son adoption, mais rien n'était sûr. Elle a effectivement été adoptée en fin de journée, par 175 voix contre 134.
Les députés devaient ensuite à leur tour se prononcer sur cette motion. Claude Bartolone avait fait savoir qu'ils se pencheraient sur la question le soir même à 21h30. A l'heure où nous bouclons notre édition, le vote à l'Assemblée n'avait pas encore eu lieu mais il laissait cette fois peu de place au suspense. "Il n'y a aucune chance que la motion passe à l'Assemblée" où le PS est majoritaire "et le gouvernement a pris toutes les mesures pour que les députés l'examinent au plus tôt", avait-on indiqué de source gouvernementale. En sachant que le gouvernement s'est dit déterminé à ce que le projet de loi soit examiné dans les deux assemblées en première lecture avant la fin juillet. André Vallini, le secrétaire d'Etat à la Réforme territoriale, l'avait réaffirmé mardi sur Public Sénat : "Si les manoeuvres de retardement continuent, on siégera autant que de besoin pour que ce texte soit examiné en première lecture au Sénat puis à l'Assemblée" et les parlementaires siégeront "tout l'été", y compris "s'il faut se priver de vacances".
André Vallini avait jugé que la motion était un "nouvel obstacle que nous franchirons rapidement" et avait à nouveau rejeté l'idée d'un référendum sur cette question : "Comment consulter par référendum les Français sur des sujets aussi techniques voire compliqués que les départements, les régions, la clause de compétence générale, les transferts de compétence d'une collectivité à une autre ?"

Un référendum empêcherait d'améliorer le texte

En tout cas, cette nouvelle manoeuvre aura à nouveau retardé le début de l'examen du projet de loi par la Haute Assemblée, prévu initialement mardi. Selon le sénateur PS Michel Delebarre, rapporteur de la commission spéciale, ce serait même "le seul objectif" de la motion. S'exprimant mercredi en séance, Michel Delebarre a d'ailleurs indiqué que les sénateurs spécialistes des procédures parlementaires ont selon lui "encore deux voire trois" tours dans leur sac pour "ralentir les choses". Jugeant par conséquent que "l'utilité de cette motion n'est pas évidente" alors même qu'"on avait failli aboutir" en commission spéciale, il a souligné que s'il devait y avoir référendum, "ce serait le projet de loi du gouvernement qui serait soumis aux Français, ce serait en quelque sorte un vote bloqué", ce qui ne serait sans doute pas "la meilleure chose". Philippe Kaltenbach (PS, Hauts-de-Seine) a lui aussi insisté sur la nécessité de "corriger" et "faire évoluer" le texte, sur le fait que "la balle est maintenant dans le camp" des élus et qu'il serait regrettable que le Parlement se dessaisisse du texte en optant pour un référendum. "Fisons bénéficier cette réforme de l'expértise du Sénat", avait-il conclu pour expliquer que le PL voterait contre la motion.
Les autres sénateurs qui se sont succédé mercredi après-midi à la tribune ont été féroces sur la réforme. Pour le groupe RDSE, Pierre-Yves Collombat (Var) a longuement détricoté l'étude d'impact, dont la démonstration économique ne serait qu'une "tautologie" et dont "le seul argument" serait "que les autres pays européens l'ont déjà fait"… Il a aussi regretté que l'"on se préoccupe du contenant avant de connaître le contenu" (en commençant par examiner le texte sur le découpage régional avant celui sur les compétences). Sa conclusion : "la meilleure solution reste de demander leur avis aux Français". Son homologue des Pyrénées-Orientales Christian Bourquin a pour sa part regretté "le chèque en blanc" du Conseil constitutionnel. Le non-inscrit Jean-Louis Masson (Moselle) a jugé "honteux" le fait de déterminer "l'organisation de la France pour 200 ans" par un texte bouclé "sur un coin de table à l'Elysée entre 16 et 18 heures" et le fait pour l'exécutif, uniquement pour "faire un coup politique", de "dire aujourd'hui exactement le contraire" de ce qui avait été réaffirmé en début de mandat présidentiel.
Du côté de l'UMP, Bruno Retailleau (Vendée) n'a pas été plus tendre, parlant lui aussi d'une "réforme arbitraire conçue dans la panique", d'une réforme qui, en "créant tant d'incertitudes", va "ajouter de la crise à la crise" et "bloquer l'investissement", qui risque d'accentuer "la fracture territoriale, démocratique, identitaire".
Autant d'interventions auxquelles le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a longuement répondu, faisant lui aussi valoir qu'il serait dommage de "priver le Sénat de débattre lui-même de ce texte" et notamment de "modifier la carte des régions", sachant que le gouvernement "est prêt à accepter un certain nombre de modifications". "Nous passerons le temps qu'il faudra pour avoir un bon texte. Avec vous", a assuré le ministre. A condition, a-t-il toutefois prévenu, que l'on ne tombe pas dans "les amalgames" et que l'on sorte des "procédures de diversion, d'enlisement".
Après le probable rejet de la motion à l'Assemblée, l'examen du texte devrait reprendre devant le Sénat ce jeudi 3 juillet en fin d'après-midi. Au final, les choses n'auront alors été retardées que de deux jours. En sachant de surcroît que la discussion générale devrait en principe être rapide, les interventions de ce mercredi ayant assez largement rempli cette fonction.