Finances locales - Nouvelles baisses de dotations en vue
On en avait peu parlé jusqu'à présent, alors que le sujet pourrait s'avérer explosif. Pour tenir l'engagement du président de la République de parvenir à 50 milliards d'euros d'économies entre 2015 et 2017, le gouvernement demandera aux collectivités de faire de nouveaux efforts. Il aura suffi de la publication, dans l'édition de ce 4 mars du quotidien Le Parisien, de déclarations de Jean-Claude Boulard, maire du Mans, pour que le dossier fasse grand bruit. L'article n'est pas passé inaperçu, puisque le matin même, sur Radio Classique, la ministre Marylise Lebranchu était invitée à commenter les informations de l'élu PS. Alimentés par les dépêches des agences de presse, les médias n'ont pas tardé à donner de larges échos à toutes ces déclarations.
Selon Jean-Claude Boulard, le gouvernement pourrait réduire les dotations de l'Etat aux collectivités de 10,5 milliards d'euros sur la période 2014-2017. A ce jour, il ne s'agit que d'une supposition. Mais elle est fondée. Lorsqu'en septembre 2012, le gouvernement a programmé deux baisses des dotations aux collectivités - de 750 millions d'euros en 2014, puis en 2015 - et, lorsqu'en février 2013, il a multiplié par deux ces montants, il s'est référé à une règle simple. Leurs dépenses représentant 20% des dépenses publiques, les collectivités doivent contribuer à l'effort d'économies à hauteur de ce ratio. On ne voit pas bien pourquoi le Premier ministre n'utiliserait pas la même règle pour ses prochains arbitrages. Sur un total de 50 milliards d'euros d'économies du secteur public, la contribution des collectivités pourrait donc s'élever à 10 milliards d'euros. Dans ce cas, dès 2015, la réduction des dotations ne serait pas de 1,5 milliards d'euros par rapport à 2014, mais de 3 milliards d'euros (soit 4,5 milliards de moins par rapport à 2013). En 2016, puis en 2017, des coupes de 3 milliards d'euros seraient à nouveau réalisées dans les dotations aux collectivités. Sur la période de 2015 à 2017, l'effort supplémentaire des collectivités s'élèverait donc à 7,5 milliards d'euros.
Arbitrages au mois d'avril
Le 27 février, Anne-Marie Escoffier avait indiqué à la presse que les collectivités locales n'étaient "pas à l'abri" d'efforts supplémentaires d'économies en 2014 et 2015. Sans toutefois avancer de chiffres. Les collectivités locales seront bien mises à contribution, comme les autres secteurs publics (l'Etat, ses opérateurs et la sécurité sociale), a confirmé Marylise Lebranchu ce 4 mars sur Radio Classique. "La dotation globale de fonctionnement va baisser", a-t-elle dit. En ajoutant qu'à son avis, "on n'arrivera pas à 10 milliards". "C'est peut-être moins", a-t-elle indiqué. "Je ne sais pas si l'on fera plus sur les opérateurs, plus sur les collectivités territoriales", a encore confié la ministre, affirmant en tout cas que "les chiffres sont sur la table".
Le gouvernement devrait attendre le mois d'avril, et donc l'après-municipales, pour préciser le niveau des économies qu'il envisage d'effectuer sur le secteur public local. Il sera alors au pied du mur, car il devra transmettre à la Commission européenne sa programmation en matière de finances publiques.
Mais la ministre en charge de la Réforme de l'Etat a déjà certaines idées. Le calcul des contributions des collectivités pourrait ne pas obéir aux mêmes règles, selon la catégorie de collectivités (secteur communal, départements, régions). "Il faut que l'on regarde les choses plus finement. Est-ce que l'on regarde le bloc 'régions', le bloc 'départements', le bloc 'interco' ? Oui, sans doute, il faut que l'on regarde comme ça", a-t-elle déclaré. Elle a par ailleurs laissé entendre que la réduction de la dotation globale de fonctionnement (DGF) pourrait être différente d'une collectivité à une autre. Elle n'a pas précisé si le niveau de la richesse serait un critère qui déterminera le montant de la réduction des dotations. Mais il devrait servir à la réforme de la DGF, un projet que la ministre a confirmé vouloir mener. "Est-ce qu'il faut que je dote de la même façon les villes riches, les villes pauvres ? Sans doute pas", a-t-elle ainsi indiqué.
Réduction de trois quarts de l'autofinancement
Les collectivités locales ont-elles des marges de manœuvre pour faire face à la réduction des dotations sans devoir fermer des services publics, ou réduire l'investissement ? Sur cette question, Marylise Lebranchu a avancé que la mutualisation entre les communes et les communautés pourrait permettre au "bloc intercommunal de dégager 10% d'économies". Cette solution fera partie du projet de loi de décentralisation qu'elle présentera en Conseil des ministres au mois d'avril. "Si vous ne faites pas [la mutualisation], il y aura moins de dotation globale de fonctionnement", a expliqué la ministre. Le projet de loi devrait par ailleurs encourager "toutes les fusions". Aussi bien les fusions entre les communes qu'entre les EPCI. Les régions et les départements, seront également incités à se regrouper, sans doute via une modulation de la DGF.
L'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF) doute que la mutualisation procure des économies substantielles (en tout cas si l'on s'en tient à la mutualisation de quelques services). Le secteur public local ne pourra, sans de graves conséquences, encaisser le choc d'une réduction de dix milliards d'euros de ses dotations, s'alarme l'association, dans une note qu'elle a diffusée ce 4 mars sur son site internet. Leur capacité d'autofinancement étant réduite des trois quarts, les collectivités ne pourraient plus entretenir les équipements qui sont à leur charge. Citées jusqu'à présent comme l'un des facteurs d'attractivité de la France, les grandes infrastructures seraient donc de moindre qualité.
La réduction de dix milliards d'euros serait d'autant plus difficile à digérer pour les collectivités que les impôts sur les entreprises présentent des signes de dégradation et qu'il sera difficile d'augmenter les impôts des ménages, souligne par ailleurs l'AMGVF. Laquelle rappelle, aussi, l'importance des coûts supplémentaires dus aux normes en tous genres et aux dernières réformes concernant, notamment, les rythmes scolaires.
"Fermetures de services publics"
Interrogé par Localtis, Philippe Laurent, maire de Sceaux et président de la commission des finances de l'Association des maires de France (AMF), brandit la menace de la fermeture de nombreux services publics, dont les crèches. Leur développement a pourtant accompagné au cours des dernières années le dynamisme de la natalité française, rappelle l'élu, très en colère. "Les collectivités locales portent en partie les dépenses d'avenir en matière d'éducation et d'infrastructures. Une réduction de dix milliards d'euros des dotations serait totalement irresponsable", s'insurge-t-il. En estimant que les économies étaient à chercher plutôt du côté de la Sécurité sociale, dont le poids représente 46,5% de la dépense publique.
La Fédération des maires de villes moyennes (FVM) a une analyse très proche. "Pénaliser [les collectivités] encore davantage, c’est diminuer l’investissement dans l’habitat et les travaux publics, ou encore le niveau des services publics", a-t-elle souligné mardi dans un communiqué. Interrogé par l'AFP, le président de l'Association des maires de France, Jacques Pélissard, n'a pas caché une "inquiétude très forte". Du côté des régions de France, dont 47% des ressources sont issues des dotations, on juge aussi que la méthode envisagée par le gouvernement "n'est pas la bonne"... et l'on plaide plutôt pour une suppression des doublons et une "clarification des compétences" pour faire des économies.