Négociation sur les futurs contrats de plan : place à la différenciation... sans les transports
Les nouveaux contrats de plan État-région qui couvriront la période 2021-2027 sont en cours de préparation. Chaque président de région rencontre le préfet de région, pour établir, d'ici fin octobre 2019, la liste des thématiques qu'il souhaite intégrer dans son contrat. Fini le cadre national, place à la "différenciation". Le volet transports - qui habituellement représente 60% des crédits - sera "encapsulé" pour deux ans, c'est-à-dire mis de côté pour régler les grandes difficultés de financement des projets en cours.
La négociation sur les futurs contrats de plan État-régions (CPER) 2021-2027 vient de démarrer sur de nouvelles bases. Pour la première fois, il n'y aura pas un "cadre national fixe et rigide pour toutes les régions, avec les mêmes thématiques", explique Nicolas Delaunay, responsable du pôle des systèmes territoriaux au Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET). "Le gouvernement souhaite changer sa façon de faire et appliquer la méthode de la différenciation aux CPER."
Jusqu'au 31 octobre 2019, chaque président de région devra ainsi avoir rencontré le préfet de région dans le cadre de discussions préalables. Objectif : établir les grandes orientations permettant d'entamer les négociations, puisque les CPER doivent être bouclés d'ici la fin de l'année 2020, pour un démarrage en 2021 pour six ans, correspondant à la programmation des fonds européens.
En résulte pour les régions une plus grande faculté de définir les thématiques sur lesquelles elles souhaitent contractualiser avec l'État. "Ces contrats nouvelle génération ne seront pas uniformes selon les régions", a ainsi redit Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, lors de son audition devant la commission du développement durable de l'Assemblée nationale le 16 octobre 2019. "Si le Grand Est veut donner une priorité au numérique, ce sera sa priorité ; si la Bretagne préfère qu'on soutienne l'agriculture, ce sera un CPER avec de l'agriculture plus développée."
Les thématiques vont donc varier selon les régions, "mais il y aura vraisemblablement des thématiques qui reviendront partout, assure toutefois Nicolas Delaunay. Il n'est pas imaginable par exemple qu'une région fasse l'impasse sur l'enseignement supérieur, mais les choses seront très ouvertes". L'État s'attend même à ce que certaines régions contractualisent sur un nombre limité de thématiques, les présidents de conseils régionaux n'étant pas tous dans le même état d'esprit. Une autre forme de contractualisation, concernant cette fois-ci la formation, avec les pactes régionaux d'investissement dans les compétences, dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences (PIC) lancé par le gouvernement, a montré des différences notables entre régions, deux d'entre elles, Auvergne-Rhône-Alpes et Paca n'ayant pas souhaité les signer.
Les crédits mobilité "encapsulés" pour deux ans
En revanche - et cela pourrait devenir un sujet de crispation chez les collectivités, notamment les départements - le volet transport (qui représente 60% des crédits de la programmation actuelle) ne figure pas au menu des discussions actuelles. La raison principale est que ce volet est resté en jachère et que le gouvernement se donne deux ans de plus pour remplir ses engagements. En même temps, il ne souhaite pas pénaliser les autres thématiques qui pourront avancer plus vite. "Nous allons encapsuler tout ce qui est déplacements, mobilités et transports", a expliqué Jacqueline Gourault durant son audition du 16 octobre. "La ministre des Transports, dans le prolongement de la loi LOM, va travailler au volet transport des CPER, et je vais travailler sur les autres secteurs en partant des besoins des territoires."
Lors d'un atelier de l'Assemblée des départements de France (ADF), le 12 septembre, Dominique Bussereau, le président de l'association, avait déjà jugé le taux d'exécution du volet transport "pitoyable". Il est revenu à la charge lors du congrès de l'ADF à Bourges : "Ces contrats que nous avions signés sous le gouvernement de Manuel Valls ne sont réalisés en matière d’infrastructure de transport qu’à moins de 20%", a-t-il déclaré, expliquant qu'il ne voyait pas comment l'État pourrait rattraper un tel retard en deux ans.
"La réalité sur ce chantier, c'est que nous n'avons pas atteint nos objectifs, c'est le volet le plus important au sein des CPER mais aussi le plus en retard en matière d'exécution, car nous avons été collectivement déraisonnables, rajoutant des projets sans savoir s'ils pourraient être financés", rappelle Nicolas Delaunay. Les retards seraient dus aux problèmes financiers de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Les recettes de l'agence ont été impactées par l'annulation de l'augmentation de la taxe carbone suite au mouvement des gilets jaunes. L'agence subit aussi la réduction des recettes issues des radars, elle aussi due à ce mouvement social, une bonne partie des radars ayant été détruits. "Il manque à l'Afitf plusieurs dizaines, voire centaines de millions d'euros ne serait-ce que pour financer ce qui était engagé", explique le CGET.
Le gouvernement souhaite aussi se donner le temps de digérer le projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) dont la prochaine lecture doit intervenir le 5 novembre au Sénat. Il attend un état des lieux précis des petites lignes ferroviaires et les conclusions du préfet François Philizot dont le rapport se fait attendre depuis le mois de juin. Ce rapport doit notamment permettre de construire "une vision partagée" entre l'État et les régions sur les investissements à programmer. Et quand les choses seront plus claires, "ce volet reviendra dans les CPER, assure Nicolas Delaunay, nous nous donnons les moyens d'améliorer les taux de consommation et d'exécution avec deux années supplémentaires ; après quoi, en 2022, on repart sur des investissements plus crédibles".
Des délais très courts
Autre nouveauté de ces futurs CPER : le volet sur l'exercice coordonné des compétences. À l'image du pacte girondin signé en février 2019 avec la Bretagne, l'État souhaite en effet profiter des CPER pour voir comment mieux travailler avec les collectivités, à travers par exemple des délégations de gestion, des formes de rapprochements ou de simples coordinations de politiques publiques.
Enfin, les CPER contiendront un volet "cohésion des territoires", l'ancien volet territorial, qui ne sera pas obligatoire. Son but : mieux articuler les politiques de l'État et des régions sur des sujets de cohésion territoriale, comme le soutien aux villes, moyennes ou petites, les Territoires d'industrie, la politique de la ville… Des programmes, tels que celui annoncé par Édouard Philippe en septembre 2019 pour les petites villes (Petites Villes de demain), pourraient y trouver leur place, si les régions le souhaitent. D'autant que plusieurs d'entre elles ont fait de la revitalisation des centres-villes une priorité.
Régions de France voit d'un bon œil ce principe de cadre "sur-mesure" annoncé par le gouvernement. "C'est cohérent de s'appuyer sur les éléments de priorités régionales", explique-t-on au sein de l'association. Même appréciation positive quant à la période choisie, qui correspond parfaitement à celle des fonds européens. Les régions restent toutefois prudentes. "C'est une bonne chose dans la pratique mais il faut voir si cela ne sert pas de paravent à des intentions qui ne seraient pas louables."
Les départements, eux, pestent contre la manière de faire. À Bourges, Dominique Bussereau a dénoncé les délais très courts impartis aux départements pour faire remonter leurs orientations. "Vous verrez l’État prendre au moins un an, l’année prochaine, pour des débats internes, pour présenter des CPER sur lesquels on a demandé aux présidents de conseils départementaux de manière très incorrecte de se prononcer en dix jours (avant le 11 octobre, ndlr)", a-t-il fustigé. "La plupart d’entre nous aurions voulu consulter les maires et les présidents de communautés de communes pour bâtir des propositions dans la concertation comme nous le faisons toujours et pas dans la précipitation : c’est tout à fait inadmissible !"
"Le calendrier est serré, justifie Nicolas Delaunay, et par le passé nous avons pris plus de temps pour les négociations, mais cette nouvelle méthode devrait nous permettre de gagner du temps en faisant notamment intervenir les préfets de région plus tôt." Les grandes thématiques choisies par les régions devraient donc être établies d'ici fin octobre. Ensuite commenceront réellement les négociations, avec les montants investis par partie. "Les discussions ne font que commencer, la date butoir est bien le 31 décembre, nous aurons donc le temps de négocier avec les régions, les départements et les communes", avait de ce fait insisté Jacqueline Gourault lors de sa venue au congrès de l'ADF.
Pour rappel, pour les CPER 2015-2020, l'État mobilise 13,6 milliards d'euros, dont 12 milliards sur les mobilités, la transition écologique, l'enseignement supérieur et la recherche et 1,23 milliard d'euros consacré au volet territorial. Pour 2020, l'État prévoit 123,7 millions d'euros en autorisation d'engagement (AE) et 111,2 millions d'euros en crédits de paiement (CP) pour permettre d'opérer la soudure avec la nouvelle génération.