Nouveaux tirs de barrage des députés contre les zones à faibles émissions
La commission spéciale de l’Assemblée nationale chargée d'examiner le projet de loi de "simplification de la vie économique" a voté ce 26 mars la suppression pure et simple des "zones à faibles émissions mobilité" (ZFE-m), alors que la veille, des députés avaient présenté à la presse une proposition de loi transpartisane visant à instaurer un moratoire de cinq ans pour leur mise en œuvre. Censées apporter une réponse à la pollution de l'air, les ZFE-m se sont heurtées jusqu'à présent à une mise en place chaotique dans les agglomérations concernées et ont ravivé le spectre d'une "bombe sociale" à désamorcer. Mais les enjeux de santé publique demeurent et leur abrogation pure et simple ferait encourir à la France des risques de sanctions au niveau européen alors que les normes de qualité de l'air ont encore été durcies.

© Aurélie Roudaut
Instaurées par la loi d'orientation des mobilités en 2019 puis renforcées par la loi Climat et Résilience de 2021, les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) sont de nouveau sur le grill en ce printemps 2025.
Dans le cadre de l’examen du projet de loi de simplification de la vie économique en commission spéciale, les députés ont adopté ce 26 mars, contre l'avis du gouvernement, des amendements identiques de LR et du Rassemblement national visant à supprimer les ZFE-m, avec des voix issues des groupes macronistes, Horizons, UDR et des indépendants de Liot, et l'abstention de plusieurs députés de gauche.
La veille, une proposition de loi visant à instituer un moratoire de cinq ans pour l’entrée en application du dispositif, portée par les Républicains, et cosignée par une cinquantaine de députés de cinq groupes parlementaires différents, avait été présentée lors d’une conférence de presse à l’Assemblée nationale. Selon ses auteurs, l'échéance portée à 2030 permettrait, de mieux préparer l'application de cette réglementation avec des conditions au niveau national plus "homogènes", et de proposer de "meilleures mesures d'accompagnement" pour les automobilistes.
Risque de "séparatisme territorial"
Les ZFE-m affichent l'objectif d'améliorer la qualité de l'air et de limiter les émissions de particules fines, responsables de maladies respiratoires et de 40.000 décès par an selon Santé Publique France, en excluant certains véhicules en fonction des fameuses vignettes Crit'Air et en poussant les automobilistes à acheter des véhicules moins polluants, hybrides ou électriques, ou à utiliser les transports en commun et les modes de transports dits "doux".
Un objectif "louable (mais) les ZFE exacerbent les inégalités", contraignant les ménages modestes à "choisir entre des coûts supplémentaires importants pour acheter un nouveau véhicule propre ou renoncer à se déplacer", a critiqué Ian Boucard (Droite républicaine), co-auteur de l'un des deux amendements au projet de loi de simplification prévoyant leur suppression. "Elles sont inutiles pour améliorer la qualité de l'air et créent une forte blessure sociale, un séparatisme territorial", a ensuite avancé Pierre Meurin (groupe RN).
Le ministre chargé de l'industrie et de l'énergie, Marc Ferracci, a tenté en vain de convaincre les députés de retirer leurs amendements : "Un certain nombre d'expériences, en particulier à l'étranger, ont montré que les ZFE avaient un effet (...) sur la réduction des émissions", a-t-il pointé.
Critiques venues aussi de la gauche
Le vote par scrutin public, où chaque député est appelé avant de donner sa position à voix haute, s'est soldé par 26 voix pour, 11 contre et 9 abstentions. Dans l'hémicycle, "chaque député sera devant ses responsabilités pour confirmer cette suppression et désamorcer cette bombe à fragmentation territoriale", a lancé Laurent Wauquiez, patron du groupe Droite républicaine.
La gauche elle-même s'est montrée critique à l'égard des ZFE. Elles "ont été développées sans aucun développement des alternatives efficaces à la voiture individuelle", a déploré en commission Sandrine Nosbé (LFI), qui s'est abstenue comme d'autres élus de son groupe, l'ex-insoumis Hendrik Davi (groupe écologiste), ou la socialiste Mélanie Thomin. L'écologiste Charles Fournier a lui reconnu que "la manière de mettre en oeuvre les ZFE ne fonctionne pas".
Après le vote en commission spéciale, l'Association 40 millions d'automobilistes a salué dans un communiqué "une grande victoire pour les automobilistes".
Pour la mise en oeuvre "d’un dispositif pragmatique et progressif", défend le gouvernement
Prenant "acte" du scrutin, la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a affirmé dans un communiqué que "dans les deux agglomérations où les ZFE sont effectives, soit celles de Lyon et Paris, la concentration de dioxyde d'azote a été réduite de plus d'un tiers".
François Rebsamen, ministre de l'Aménagement du territoire, a, lui, assuré que "le gouvernement souhaite la mise en œuvre d’un dispositif pragmatique et progressif, tenant compte des contraintes locales et garantissant des alternatives abordables". "Les ZFE ne concernent que les grandes agglomérations où des alternatives de transport existent, a-t-il souligné dans un communiqué. Pour rappel : seulement 10% du parc automobile est concerné par l’interdiction des Crit’Air 3 et 4. Ces véhicules anciens se concentrent dans les zones rurales ou périurbaines, peu affectées par les ZFE." "Le gouvernement est favorable à ce que les collectivités définissent les ZFE et puissent adapter les zones et les règles", a-t-il affirmé.
Déploiement en ordre dispersé
Jusqu'à présent, la stratégie de mise en oeuvre des ZFE-m s'est heurtée au manque d'unanimité des élus locaux, qui les ont mises en place en ordre dispersé et souvent sans sanction pour les automobilistes en cas de non-respect des règles. Dénoncées par de nombreuses associations d'automobilistes, les ZFE-m sont houspillées par l'extrême droite et la droite et plusieurs villes retardent leur application ou aménagent le dispositif.
Parmi les critiques les plus fréquentes figure le caractère "antisocial" de la mesure. En pleine crise du pouvoir d'achat, les ZFE-m sont devenues un symbole de l'exclusion des automobilistes les plus modestes, les véhicules moins polluants, hybrides et électriques, restant encore rares et chers sur le marché de l'occasion. Les données du ministère de la Transition écologiques montrent par exemple une corrélation entre l'éloignement des centres-villes ou le fait d'habiter dans des villes modestes et la propension à posséder un véhicule plus polluant (lire notre article).
Insuffisance des aides à la conversion du parc automobile
À gauche, si certains reconnaissent des difficultés dans la mise en place des ZFE, les élus déplorent surtout l'absence de solutions alternatives proposées par le gouvernement. Récemment, David Belliard, adjoint à la mairie de Paris, ou encore Bruno Bernard, président de la métropole de Lyon, ont fustigé la décision du gouvernement d'abaisser les aides à la conversion.
"Ce sont aussi les plus pauvres qui souffrent le plus de la qualité de l'air", rétorque à l'AFP Tony Renucci, de l'association Respire, qui dénonce "un vote scandaleux et irresponsable" de la part de députés qui "nient la réalité scientifique et les impacts sanitaires" de la pollution de l'air. Selon l'observatoire de l'air en Île-de-France Airparif, l'interdiction à la circulation des véhicules Crit'Air 3, mise en place à Paris (mais aussi Lyon, Grenoble et Montpellier) le 1er janvier 2025, pourrait réduire "de 40%" le nombre d'habitants exposés "à des concentrations de polluant de l'air supérieures aux valeurs limites réglementaires actuelles" dans la région francilienne.
Un cadre européen qui ne cesse de se durcir
Au-delà des enjeux de santé publique, les ZFE ont également pour objectif de mettre le pays en conformité avec le cadre européen en matière de qualité de l'air. Ce dernier, qui entend rapprocher les normes européennes des recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a déjà conduit à la condamnation de la France à plusieurs amendes.
Dans la procédure engagée actuellement par la Cour de justice de l'Union européenne, le ministère de la Transition écologique estime par exemple à 126 millions d'euros le risque financier encouru. Or l'Union européenne a encore durci ses normes sur la qualité de l'air en 2024. Pour le dioxyde d'azote et les particules fines inférieures à 2,5 micromètres (PM2.5) - très nocives car elles pénètrent profondément dans les poumons -, les valeurs limites annuelles permises seront abaissées de plus de moitié en 2030 par rapport à aujourd'hui.
Avec la suppression des ZFE, "la France ne sera pas en mesure de respecter les seuils européens. Donc on va encore payer de nouvelles amendes, plus cher", prévient Tony Renucci de l'association Respire.