Archives

Commande publique - Non-conformité aux normes de sécurité : le constructeur engage sa responsabilité

Dans une décision du 23 juillet 2010, le Conseil d’Etat rappelle que le défaut de conformité aux normes de sécurité d’un établissement voué à recevoir du public constitue un désordre rendant l’ouvrage impropre à sa destination. Dès lors, la responsabilité décennale du constructeur est engagée et ce, même si le maître d’ouvrage n’avait formulé aucune réserve à la réception des travaux.

Dans cette affaire, quelques mois après la réception sans réserve d’une salle polyvalente, des agents d'EDF constatent l’existence d’une conduite de gaz située sous le plancher. La présence d’un tel élément, risquant de provoquer l’explosion du bâtiment, viole les normes de sécurité applicables. Ces règles, prescrites par la loi, sont d’autant plus strictes qu’il s’agit d’un établissement destiné à recevoir du public. Elles tendent à limiter le risque d’incendie, favoriser l’évacuation des occupants, permettre d’alerter les services de secours et faciliter leur intervention, rendre le lieu accessible aux personnes à mobilité réduite, etc. (art. R.123-2 à R.123-13 du Code de la construction et de l’habitation), et sont contrôlées depuis 1995 par des commissions départementales ad hoc (voir encadré). En première instance, les juges avaient rejeté la demande de responsabilité présentée par la collectivité car aucune réserve n’avait été formulée à la réception. Le Conseil d’Etat annule ce jugement par un raisonnement clair : la présence d’un élément dangereux empêche l’établissement d’accueillir des usagers en toute sécurité, ce qui rend l’ouvrage impropre à sa destination. Or, selon le Code civil : "Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit (…) des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui (…) le rendent impropre à sa destination" (art. 1792). Ainsi, la seule présence d’un élément dangereux empêchant l’établissement d’accueillir du public en toute sécurité engage la responsabilité du constructeur même en l’absence de réserves émises par le maître d’ouvrage.

Outre le critère de la destination de l’établissement, un autre argument aurait pu venir corroborer cette décision. Par principe, la réception sans réserve exonère l’entrepreneur de toute responsabilité pour les désordres apparents. A contrario, le constructeur peut être tenu responsable des désordres non apparents (Civ. 3e, 27 janvier 2010, n°08-20.938), ce qui est le cas dans l’arrêt "Institut medico-éducatif de St-Junien". En effet, la conduite de gaz était invisible car située sous le plancher, ce qui a empêché le maître d’ouvrage d’exprimer une réserve à cet égard, engageant néanmoins la responsabilité du constructeur.


L’Apasp

 

 

Référence : CE 23 juillet 2010, n°315034, Instiut medico-éducatif de Saint-Junien

 Définitions

Réception (art. 41 CCAG travaux) : acte par lequel le maître d’ouvrage déclare accepter l’ouvrage, avec ou sans réserve, et constate que le constructeur a accompli ses engagements contractuels. Elle permet de vérifier la qualité apparente du travail fourni et d’exiger des réfections si les travaux ne sont pas conformes aux stipulations du marché ou s’ils ne sont pas exécutés dans les règles de l’art. La réception marque le point de départ des responsabilités pesant sur le constructeur (garanties de parfait achèvement, de bon fonctionnement, et garantie décennale).

Garantie décennale (art. 1792 et 2270 du Code civil) : les dommages affectant l’un des éléments constitutifs de l’ouvrage et le rendant impropre à sa destination relèvent de la garantie décennale. En sont exclus les désordres à caractère esthétique (CE, 9 juillet 2010, Commune de Lorry-les-Metz, req. n°310032). Ainsi, à compter de la réception, le maître d’ouvrage dispose d’un délai de dix ans pour engager une action contre le constructeur.

Etablissement recevant du public (ERP) (art. R.123-2 du Code de la construction et de l’habitation) : lieu public ou privé accueillant des utilisateurs ou des clients autres que les employés qui sont, eux, protégés par les règles relatives à la santé et la sécurité au travail. On trouve, parmi les ERP : les bibliothèques, les écoles, les hôpitaux, les universités, etc. Le code distingue différentes catégories d’ERP selon leur capacité d’accueil (plus de 1.500 personnes, entre 701 et 1.500 personnes, etc.).

Commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité
(art. R.123-14 du Code de la construction et de l’habitation) : composée d’un sapeur-pompier, du maire concerné, d’un agent de la DDE, d’un fonctionnaire de police ou de gendarmerie et d’un représentant d’une association de défense des handicapés, cette commission effectue des visites de contrôle et vérifie le respect des normes de sécurité à l’ouverture de chaque nouveau site (ou après d’importants travaux).