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Négociations post-Brexit : des migraines et des "nervous breakdown" en perspective

Le conseil des ministres de l'Union doit approuver ce mardi le mandat de négociations post-Brexit avec le Royaume-Uni. Auditionnée au Sénat, la secrétaire d'État aux affaires européennes Amélie de Montchalin a rappelé la position – de fermeté – française et les écueils à éviter. Reste que le Royaume-Uni ne semble pour l'heure guère disposé à se plier aux exigences de l'Union.

"On ne peut pas être un pied dedans et un pied dehors", a résumé la secrétaire d'État aux affaires européennes, Amélie de Montchalin, lors de son audition au Sénat le 19 février dernier sur la proposition de la Commission européenne pour le mandat de négociation de la relation future avec le Royaume-Uni, présentée par Michel Barnier le 3 février dernier. Une position partagée par la Chambre haute dans une proposition de résolution que vient de déposer sa commission des affaires européennes sur ce mandat de négociations, qui doit être approuvé ce mardi par le conseil des ministres de l'Union. Les négociations devant, elles, débuter la première semaine de mars. La secrétaire d'État a insisté à cette occasion sur le fait que l'Union européenne n'était "ni en position de demandeur, ni en position de faiblesse". Rien n’est moins sûr, comme le soulignait d’ailleurs récemment un diplomate à l’AFP : les Français "sont en train de concevoir le plan d'un château de 15 chambres alors que tout ce que le Royaume-Uni veut, c'est planter une tente".

Quatre écueils à éviter

À l'image de celles sur le budget pluriannuel de l'Union, les négociations s'annoncent plus que tendues. Amélie de Montchalin a souligné les quatre écueils qu'il fallait selon elle éviter. 

Premier écueil, céder à la pression de Boris Johnson. Les Britanniques, qui viennent de claquer la porte de l'Union, sont peu enclins à laisser rentrer les exigences de cette dernière par la fenêtre. Le Premier ministre britannique entend ainsi conclure des accords a minima – tant par leur nombre que leur contenu – d'ici la fin de l'année, terme des négociations puisqu'il se refuse toujours (et sans doute définitivement) à demander la prolongation de cette période de transition. Ce qu'il peut encore faire jusqu'en juin. Le gouvernement britannique ne revendique "rien de spécial si ce n'est un accord comme celui conclu avec le Canada" (le 10 Downing Street se prévalant d'un document de 2017 en ce sens sur twitter) a même récemment communiqué "le 10", excluant ainsi toute discussion sur les "conditions de concurrence équitable" (le fameux "level playing field"). Or, rétorque la secrétaire d'État, ces conditions sont au cœur de la déclaration politique, approuvée par le gouvernement et le parlement britanniques, accompagnant l'accord de retrait. Amélie de Montchalin entend donc bien qu'elles soient respectées, rappelant l'équation selon laquelle il faut "zéro dumping pour avoir zéro tarif douanier et zéro quota". Rejoignant ici la position du Sénat, qui "partage l'objectif d'établir une zone de libre-échange garantissant l'absence de tarifs, de redevances, de taxes d'effet équivalent ou de restrictions quantitatives", à la condition du "respect de conditions équitables" impliquant "de maintenir les normes communes élevées en matière d'aides d'État, de concurrence, d'entreprises publiques comme en matière de normes sociales, environnementales et relatives à la lutte contre les dérèglements climatiques, ainsi qu'en ce qui concerne les questions fiscales pertinentes". Le Sénat invitant à "une vigilance particulière s'agissant des produits agricoles […] qu'ils aient pour origine et qu'ils transitent par le Royaume-Uni" et attirant également "l'attention sur la nécessité de préserver l'attractivité des places portuaires européennes et sur le risque que ferait peser [des] zones franches]" alors que le gouvernement britannique a annoncé l'été dernier avoir mis à l'étude la création de dix ports francs.

Deuxième piège, céder à la pression du temps. "Le fonds prime sur le calendrier", a martelé Amélie de Montchalin. "Nous ne signerons pas le 31 décembre à 23h00 un mauvais accord sous prétexte de le signer."

Troisième risque, croire au statu quo.  "On ne peut pas penser que la situation après le retrait sera la même qu'avant", avertit Amélie de Montchalin insistant sur le fait que "le statut d'État tiers ne peut pas être aussi avantageux que celui d'État membre". Épousant là encore la position sénatoriale selon laquelle le nouveau partenariat "suppose un équilibre entre des droits et des obligations et ne peut en tout état de cause pas être équivalent à un statut d'État membre".

Quatrième chausse-trape, céder à la division. Alors que l'unité des Vingt-Sept a agréablement surpris le Sénat lors des négociations du Brexit, la crainte d'un retour des "égoïsmes nationaux" se fait plus prégnante. Le récent échec des négociations sur le budget pluriannuel (voir notre article) n'est pas sans lui donner corps.

Quatre dossiers liés par une clause guillotine

Amélie de Montchalin a ensuite listé les quatre dossiers dont la France entend voir les destins liés : "la gouvernance, l'accord commercial lui-même, les conditions de concurrence équitable et la pêche". Elle a indiqué que la France "avait fixé un principe très fort avec Michel Barnier : nous ne serons d'accord sur rien si nous ne sommes pas d'accord sur tout", évoquant une "clause guillotine" – l'absence d'accord sur un dossier entraîne la révocation automatique des autres accords éventuellement noués.

La question de la gouvernance – entendre le cadre général des règlements des différends futurs – est tout sauf anodine. Le Royaume-Uni déniant à l'avenir la compétence de la Cour de justice de l'Union européenne, une autre organisation doit être trouvée afin de résoudre les futurs litiges. L'enjeu est d'éviter "un cas comme la Suisse", prévient Amélie de Montchalin, avec laquelle il n'existe "pas de cadre commun" ce qui nécessite "de prendre des mesures de sanction ou de rétorsion sujet par sujet".

À n'en point douter, le secteur de la pêche – pour lequel la France poursuit trois objectifs : l'accès aux eaux, la gestion des ressources et le maintien des actuelles clefs de répartition – constitue un point de crispation majeur. Récemment, le président de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand a d'ailleurs invité à la mobilisation "afin d'éviter une guerre de la pêche" déjà larvée. Ce secteur constitue l'un des deux sujets d'inquiétude du Sénat (avec les services financiers, Amélie de Montchalin ayant toutefois précisé que ces derniers ne dépendent pas de cette négociation, "l'équivalence étant une décision unilatérale qui peut se retirer à tout moment", comme l'a d'ailleurs affirmé récemment Michel Barnier aux députés européens). Le sénateur Bizet juge en effet "dangereuse la disjonction de calendrier" prévue par le projet de mandat de négociation de l'Union – qui propose que les dispositions en matière de pêche soient établies d'ici le 1er juillet – craignant "un mauvais accord sur la pêche s'il est conclu isolément du reste" alors que "nous avons absolument besoin de conserver un accès aux eaux britanniques pour nos pêcheurs qui y font la moitié de leurs prises". Dans sa proposition, la commission des affaires étrangères du Sénat rappelle ainsi "son opposition de principe à toute perspective qui aboutirait à réserver un sort spécifique" en ce domaine. Mais Amélie de Montchalin a confirmé que ce calendrier distinct n'avait été fixé que dans le but de "donner des perspectives" aux pêcheurs et qu'il n'y aurait donc "pas d'accord séparé". 

Certitude des contrôles aux frontières,
incertitude sur la mixité de l'éventuel accord

Enfin, alors que le Sénat invite dans sa résolution "instamment la Commission et les États membres à préparer l'éventualité d'un non-accord ou d'un accord minimal", la secrétaire d'État a d'ores et déjà prévenu qu'il y aurait "des contrôles aux frontières quel que soit l'accord", précisant que le degré de ces contrôles dépendra de la teneur de l'accord. Elle a donc plaidé pour que l'on continue à mettre en œuvre les "mesures de préparation", soulignant le fait que les États membres s'étant préparés à l'éventualité d'un no deal – en mettant en place des infrastructures "à Calais, dans les différents ports normands, bretons, à Boulogne..." – avait renforcé la position de l'Union dans les négociations.

Enfin, s'agissant de la mixité ou non de l'éventuel accord – i.e. son adoption par les seules instances européennes ou sa soumission à validation par les parlements nationaux, comme le récent Ceta – la secrétaire d'État a indiqué que la France avait "tranché de ne pas trancher maintenant". Elle sera décidée en fonction du contenu de l'accord, a décrypté Amélie de Montchalin, évoquant la possibilité qu'une partie puisse être "ratifiée d'une certaine manière, une partie d'une autre". Ou "l'ensemble ratifié de manière mixte", en confessant toutefois qu'elle ne pensait "pas que ce sera la voie qu'on prendra".