Mobilités : l’AMF ne veut plus que le bloc communal soit la cinquième roue du carrosse
Lasse que le bloc communal soit laissé à l'écart des discussions alors qu'il assure l'essentiel de la charge du réseau routier, lequel reste de loin incontournable, surtout dans les territoires ruraux, l'Association des maires de France met la pression sur le gouvernement afin que sa voix soit entendue lors de la prochaine conférence "Ambition France transports"… et au-delà. L'AMF appelle en particulier à revoir un modèle de financement "économiquement et démocratiquement intenable", en alertant sur les conséquences d'une fracture territoriale qui se creuse. Elle dresse quelques propositions et souhaite en outre qu'il soit de nouveau permis aux intercommunalités volontaires de se saisir de la compétence "mobilités".

© F.Fortin/ Sylvain Laval , David Lisnard et Frédéric Cuillerier
À quelques encablures de l’ouverture de la conférence "Ambition France transports" (lire notre article du 16 avril), l’Association des maires de France (AMF) a décidé de ruer dans les brancards, lasse que le bloc communal soit considéré comme la cinquième roue du carrosse en matière des transports. "Peut-on évoquer la fin des concessions autoroutières sans associer les communes qui accueillent les véhicules en sortie d’autoroutes ? Peut-on évoquer le déploiement des services express régionaux métropolitains (Serm) sans associer les communes qui gèrent les voies d’accès aux gares, les parkings, les transports urbains… ?" fait mine d’interroger Frédéric Cuillerier, maire de Saint-Ay (Loiret) et co-président de la commission Transport, mobilité et voirie de l’AMF ce 22 avril, lors d'une conférence de presse. Si la réponse à ces questions est évidemment négative, à en croire l’AMF, le chemin est pourtant pris.
Le téléphone pleure
"Le premier propriétaire du réseau routier en France est toujours le dernier consulté", grince Sylvain Laval, l'autre co-président de cette commission. Et encore, quand il l’est. "Nous avons sollicité les quatre derniers ministres des transports. Un seul a répondu : François Durovray, mais il n’est resté en poste que trois mois", déplore Frédéric Cuillerier, sans préciser s’il faut y voir un lien de cause à effet. Et l’élu loirétain d’ajouter que "nous n’avons pas eu le moindre contact avec le nouveau ministre", que les deux co-présidents souhaiteraient pourtant pouvoir "rencontrer en tête-à-tête avant la conférence" afin d’avoir l’assurance que leurs demandes et propositions "seront bien prises en compte lors de cette dernière".
Mal-aimé
Le mal-aimé de l'État entend y défendre le mal-aimé des modes de transports, la route, "colonne vertébrale du pays". "Qu'on le veuille ou non, 90% des déplacements sont réalisés en voiture. Une réalité qu’il est bon de rappeler", souligne le président de l'AMF, David Lisnard, en observant qu’en dépit des efforts consentis ces dernières années pour développer les autres modes de transports, "ce pourcentage n’a guère évolué depuis une trentaine d’années". Mais ce réseau routier, qui faisait jadis la fierté de l'Hexagone, est aujourd'hui "au bord de la rupture", "à bout de souffle", alerte l'association. Confronté à plusieurs défis, égrenés par Frédéric Cuillerier – "les conséquences du changement climatique, un trafic toujours plus dense, des véhicules toujours plus lourds et plus larges, des normes sans cesse plus nombreuses et exigeantes et un coût des matières premières à la hausse" –, il souffre d'un "modèle de financement pas adapté aux besoins", argue Sylvain Laval.
Celui qui reste
Comme Départements de France lors de ses "assises de la route" de janvier dernier (lire notre article du 23 janvier), David Lisnard observe que, "l'essentiel de la charge de son entretien repose sur les communes et les intercommunalités – 65,5% du réseau et plus de 120.000 ponts – et la quasi-totalité – 99 % du réseau – sur les collectivités territoriales", notamment du fait des retraits successifs de l'État, qui sont autant de "transferts de charges non compensés". Malheur à celui qui reste.
Or, les communes et intercommunalités ne bénéficient "d'aucune recette dédiée" pour y faire face, souligne l'AMF, alors que la facture est salée. "Les dépenses de voirie représentaient, en 2023, 7,1 milliards d'euros pour les seules communes de plus de 3.500 habitants", note Frédéric Cuillerier. Il précise encore que selon la DGCL (lire notre article du 18 février), "71% de la voirie communale est gérée par les communes de moins de 3.500 habitants". Si les montants consacrés à la voirie par ces dernières ne sont pas connus, l'élu l'estime à plus de 7 milliards d'euros là encore, "soit un total estimé à 15 milliards d'euros annuels environ".
Pis, souligne Sylvain Laval, "les dotations de l'État sont de plus en plus faibles", quand elles ne "mettent pas en concurrence les collectivités les unes contre les autres". Et ce, alors que "l'État s'est accaparé les recettes publiques générées par la route" et n'a gardé, ou presque, "que la seule portion du réseau qui rapporte : les autoroutes". "L'État nous reverse des miettes", tonne Frédéric Cuillerier, qui conclut : "Les communes n'ont plus les moyens d'entretenir le réseau", ce qui va conduire inexorablement à "la dégradation du réseau, très préjudiciable pour la sécurité routière et pour nos concitoyens ruraux" et "renforçant la fracture territoriale" (lire notre article du 18 avril). Bref, "un modèle profondément déséquilibré, devenu économiquement et démocratiquement intenable".
La solitude, c'est après
Une fracture territoriale par ailleurs d'autant plus béante que "l'exécution défaillante" de la loi d'orientation sur les mobilités (LOM), aux "objectifs grandiloquents", avec "ses formules un peu pompeuses – le droit à la mobilité pour tous", n'a nullement permis "le désenclavement des zones rurales", constate l'AMF. L'association dénonce ainsi une organisation des transports publics qui souffre "d'un même déséquilibre, dû au manque de financement, à la complexité administrative, à la pression de certaines régions, au désintérêt de l'État pour les communes peu denses".
"Une fracture territoriale qui devient une fracture sociale", alerte Sylvain Laval, laquelle est renforcée par les zones à faibles émissions (ZFE), qui font que celui qui vit déjà "dans un désert médical ne peut plus aller dans l'oasis médicale, en centre-ville", grince David Lisnard. Taxé de populisme, le président de l'AMF renverse l'accusation, invitant les partisans des ZFE "à ne pas jouer sur les peurs". Dans son viseur, "des chiffres très populistes sur le nombre de morts" qui seraient dus à la pollution. Et, par ailleurs, "le manque d'études d'impact environnemental sérieuses sur l'intérêt des ZFE".
Lundi au soleil ?
L'AMF invite en conséquence à revoir de fond en comble le modèle de financement des mobilités. "Ne faisons pas croire que le versement mobilités (VM) est une solution. Étendre son assiette, ce serait mettre en souffrance une partie du tissu économique pour n'avoir que de faibles recettes qui ne permettront pas d'apporter des réponses à la hauteur des demandes", prévient Sylvain Laval, en relevant que "le VM est de plus en plus difficilement supportable [pour les entreprises], y compris dans les territoires les plus dynamiques".
Le tout en se focalisant prioritairement sur les routes. "Il est essentiel que les débats ne se limitent pas aux Serm ou à l'avenir des concessions autoroutières", insiste l'association.
Concrètement, elle formule quatre propositions :
- "réaffecter les financements perçus sur la route aux communes et intercommunalités, premiers gestionnaires". "Que la route paye la route", en somme, comme l'avait formulé Départements de France ;
- "intégrer le bloc communal dans le modèle économique post-concessions autoroutières", ou plus exactement post-renouvellement de ces concessions, l'AMF ne paraissant pas remettre en cause ce modèle de gestion ;
- "mobiliser les contributeurs du réseau routier" – entendre principalement les opérateurs de réseaux –, qui "s'acquittent de redevances souvent symboliques ou inexistantes", estime l'AMF ;
- "valoriser les missions de police du maire au bénéfice des budgets locaux", formulation là aussi un peu pompeuse qui vise concrètement à ce que le produit des amendes dressées par les polices municipales et les gardes champêtres, "aujourd'hui largement reversé à l'État", revienne aux budgets communaux.
Comme d'habitude
Comme toujours, à la question des financements s'ajoute également celle de la gouvernance. En l'espèce, l'AMF invite ici tout particulièrement à "intégrer le bloc communal" dans celle des Serm, "étape essentielle pour garantir un accès équitable à des solutions de transport performantes". Et au-delà des Serm, à "promouvoir des solutions complémentaires, fondées sur une ingénierie partagée et modulable selon le contexte local". "Sans cette approche globale et coordonnée, le désenclavement des espaces ruraux restera un vœu pieux", prévient l'AMF.
Enfin, l'association préconise une nouvelle fois (lire notre article du 7 octobre 2022) de permettre à nouveau aux intercommunalités volontaires de se saisir de la compétence d'organisation de la mobilité, proposition jadis soutenue par Intercommunalités de France (lire notre article du 23 octobre 2023). "La fenêtre de tir pour la prise de compétences était extrêmement courte", et ce, dans un contexte peu propice (crise sanitaire, report des élections municipales), rappelle Sylvain Laval. L'AMF souligne en outre que la loi Serm prévoyait la remise – pour mémoire, avant le 30 juin 2024 – d'un rapport du gouvernement au Parlement sur l'application de ce dispositif, qui devait notamment "évaluer l'opportunité de cette réouverture temporaire". "À ce jour, l'AMF n'a reçu aucune information concernant ce rapport", regrette l'association. On ajoutera que Gérald Darmanin, alors ministre de l'Intérieur, avait annoncé, dans une réponse ministérielle d'août 2023, qu'un tel bilan serait présenté "dans le cadre de la conférence des autorités organisatrices de la mobilité", laquelle n'a jamais été réunie.
Reste désormais à savoir comment ces propositions de l'AMF seront reçues. Avec la crainte que l'État ne lui réponde une nouvelle fois : "Tu as tes problèmes, moi j'ai les miens."