Mixité sociale à l'école : le Sénat rejette une proposition de loi

Le Sénat a largement rejeté une proposition de loi visant à assurer la mixité sociale dans les établissements scolaires. Particulièrement contraignant pour les établissements privés, le texte a fait l'objet de vives critiques de la part de la majorité sénatoriale et de la ministre de l'Éducation nationale.

Le Sénat a rejeté en séance publique, jeudi 10 octobre 2024, par 218 voix contre 109, une proposition de loi (PPL) visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements publics et privés sous contrat. 

Au cœur de cette PPL, déposée par Colombe Brossel, sénatrice de Paris, l'article Ier disposait que le service public de l'éducation "garantit la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d'enseignement par une répartition des élèves qui comprend, dans chaque établissement, une proportion équilibrée et représentative des différentes catégories socio-économiques constatées sur le plan national". Autrement dit, au-delà de l'objectif de mixité sociale inscrit dans la loi de 2013 pour la refondation de l'école, la PPL entendait, selon les termes de Colombe Brossel, créer de "véritables obligations" en la matière et sans aucune distinction territoriale.

Secteurs multicollèges obligatoires

Pour ce faire, l'article Ier A prévoyait la transmission chaque année de l'indice de position sociale (IPS, qui mesure l'origine sociale des élèves, les conditions matérielles du foyer ou les pratiques culturelles de la famille) de tous les établissements aux maires et présidents de collectivité compétente. L'État se voyait par ailleurs chargé de contrôler le respect de la mixité sociale au sein des établissements publics et privés sous contrat.

Pour boucler le dispositif, la PPL demandait aux conseils municipaux d'assurer la mixité sociale dans chacune des écoles et aux conseils départementaux et régionaux de tenir compte "des impératifs de mixité sociale" dans l'élaboration de leur carte scolaire. Il imposait également des secteurs de recrutement multicollèges, en lieu et place de la simple possibilité offerte actuellement.

L'enseignement privé sous pression

Particulièrement visé par Colombe Brossel, l'enseignement privé était mis sous pression avec une disposition visant à subordonner la conclusion d'un contrat avec l'État à sa "capacité à assurer la mixité sociale". En outre, le texte souhaitait que les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat soient dorénavant prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public à condition que leur composition sociale soit comparable. Ce qui revenait à agiter la carotte de la mixité sociale pour éviter le bâton des baisses de subventions... 

Enfin, la PPL prévoyait d'étendre aux établissements privés sous contrat l'obligation de recourir à la procédure Affelnet pour l'inscription au lycée – autrement dit, d'en finir avec la liberté de recrutement des élèves dans le privé –, et interdisait l'ouverture d'une classe dans un établissement privé dans un délai de trois ans à compter de la décision de fermeture d'une classe dans l'enseignement public relevant du même ressort géographique et dispensant un enseignement de même degré. 

"Alors que la France est l'un des pays où le milieu social de l'élève conditionne le plus sa réussite scolaire, il est urgent d'agir pour assurer à tous les élèves les mêmes chances de réussite", a défendu Colombe Brossel. Mais, ni du côté du gouvernement ni du côté de la majorité sénatoriale, elle n'a été entendue.

"Ne pas raviver la guerre scolaire"

"De nombreux leviers sont déjà entre nos mains [pour assure la mixité sociale à l'école] et le gouvernement ne souhaite pas raviver la guerre scolaire", a déclaré Anne Genetet, la ministre de l'Éducation nationale, ajoutant que "le gouvernement n'entend pas se substituer aux collectivités territoriales". Selon elle, "la gestion de la carte scolaire ne pose pas tout à fait les mêmes problèmes quand on se trouve à Paris intra-muros ou dans le Lot-et-Garonne, le Rhône, l'Essonne ou à La Réunion".

Anne Genetet a également estimé que "le manque de mixité sociale de certains établissements n'est pas de la faute de l'école. La composition de classes socialement homogènes procède d'abord et avant tout d'une politique d'aménagement du territoire, de développement économique et d'une histoire dont nous héritons." Avant de conclure que la PPL aborde la question de la mixité sociale "sous l'angle de la contrainte [or] la liberté est un fondement du pacte conclu entre l'État et l'enseignement privé et nous y demeurons profondément attachés".

Non à "une planification autoritaire"

Dans la majorité sénatoriale, si l'on partageait plusieurs points de vue de la ministre – de l'existence d'outils capables de favoriser la mixité sociale à l'école jusqu'au constat du manque de mixité dans les villes, en passant par le besoin d'autonomie des collectivités –, on rappelait, à l'image de Max Brisson, que "beaucoup d'établissements privés sous contrat participent à l'effort en faveur de la mixité". Le sénateur des Pyrénées-Atlantiques refusant par ailleurs que l'on donne à l'IPS "une base légale" qui en ferait une "véritable boussole du pilotage et de la répartition des élèves dans les établissements". De son côté, Pauline Martin, sénatrice du Loiret, soulignait que "la carte scolaire, opérée dans la dentelle et bien souvent dans un consensus, ne doit pas glisser vers une planification autoritaire".

Rejetée au Sénat, cette PPL devrait rester lettre morte. Sauf à ce qu'un député la reprenne à son compte et réussisse à la glisser dans l'ordre du jour bien fourni de l'Assemblée nationale. En attendant, un autre texte, visant cette fois à instaurer une mixité sociale au sein des collèges publics, est toujours dans les tuyaux du Sénat...