Mission flash sur le Loto du patrimoine : un satisfecit, mais aussi quelques réserves
Deux députés d'obédiences différentes sont d'accord sur les bienfaits du Loto du patrimoine : le dispositif répondrait à un vrai de besoin de préservation du patrimoine, il participerait même à la "cohésion nationale". Côté critiques : les sommes allouées demeurent "détournées du budget de l'État", le dispositif ne bénéficie pas qu'au petit patrimoine en péril (loin de là), la Française des jeux aurait pu faire un effort financier au vu du joli coup marketing dont elle a bénéficié... Ils proposent de lancer un second jeu, moins cher et dont la part affectée au patrimoine serait plus élevée.
Le 22 janvier, Sophie Mette, députée (Mouvement démocrate) de Gironde, et Michel Larive, député (France insoumise) de l'Ariège, ont présenté à la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale les conclusions de la mission flash "Première évaluation du Loto du patrimoine".
Les résultats chiffrés de ce dispositif original, composé d'un tirage spécial du loto lors des Journées du patrimoine et un jeu à gratter au ticket de 15 euros durant plus de trois mois, avaient déjà été dévoilés par Stéphane Bern et la fondation du Patrimoine (voir notre article ci-dessous du 10 janvier 2019). Les rapporteurs se félicite du "succès commercial", mais aussi du caractère "pragmatique" du dispositif en réponse aux besoins de préservation et de mise en valeur du patrimoine. Le tirage spécial a suscité un surcroît de mises d'environ 30% par rapport à un tirage ordinaire (ce qui est "généralement le cas des tirages spéciaux du loto", tempèrent les députés) et la fondation du Patrimoine devrait récupérer entre 21 et 22 millions d'euros.
Une "initiative structurante", qui doit être "reconduite et pérennisée"
Les rapporteurs pointent "l'immense intérêt de rendre les enjeux du patrimoine plus visibles à nos concitoyens" et se félicitent que "le patrimoine, par la personnalité de Stéphane Bern et le recours à un jeu très populaire, a acquis une dimension nettement plus démocratique". Le Loto du patrimoine participerait ainsi à la "cohésion nationale".
La plateforme permettant à chacun de signaler un bâtiment en danger aurait contribué à cette appropriation, avec près de 2.000 projets signalés. Au final, 269 projets ont été identifiés comme prioritaires pour 2019 (voir notre article ci-dessous du 10 janvier 2019).
Au-delà des dons, le loto a contribué à "susciter des projets" de propriétaires hésitants, grâce à la médiatisation importante et à l'augmentation du mécénat des particuliers (comme dans le cas de la maison de Pierre Loti à Rochefort). Il a également permis de "renouer les relations avec les collectivités territoriales, qui sont revenues à la table des financeurs dans de nombreux cas, notamment pour financer les phases ultérieures", notent les députés.
Côté organisation, "si cette opération a pu perturber, à certains égards, les pratiques professionnelles du ministère de la Culture" (Ndlr : allusion aux tensions entre Stéphane Bern et les services du ministère), les difficultés se sont finalement aplanies "et chacun y trouve désormais son intérêt". Conclusion : "Nous pensons que cette initiative est structurante pour l'avenir et qu'elle doit, à ce titre, être reconduite et pérennisée."
En revanche, les rapporteurs souhaitent "circonscrire cette opération à la cause patrimoniale" (y compris le mobilier, voire le rachat de trésors nationaux) et ne pas déborder sur d'autres domaines.
Un "détournement du budget de l'État" ?
Au chapitre des réserves, les députés ont estimé que le Loto du patrimoine n'était pas vraiment une source de financement nouvelle, dans la mesure où ces sommes "sont détournées du budget de l'État", qui finance donc en réalité l'opération. Sur ce point la mission flash ne tranche pas vraiment.
Les parlementaires note également un certain flou sur les objectifs. Initialement lancée pour sauvegarder le petit patrimoine en péril, elle aurait été "dévoyée pour financer des patrimoines plus importants et pas nécessairement en péril", ce qui aurait dû relever de l'État, via les Drac. De fait, près de 73% des projets retenus pour cette première édition sont classés ou inscrits aux Monuments historiques et 62% appartiennent à des propriétaires publics.
Les rapporteurs s'interrogent notamment sur le financement de projets portés par le Centre des monuments nationaux (CMN), "qui avait les crédits pour les programmer lui-même intégralement". En matière de financement, la mission souhaite que la Française des jeux, qui a bénéficié d'une très bonne image dans cette opération, apporte aussi une contribution directe au financement du patrimoine.
Quelle répartition pour les fonds ?
La répartition des fonds récoltés pose aussi question, notamment le déséquilibre entre les 18 "projets emblématiques" et les 251 autres projets qui recevront des sommes "relativement faibles". La mission estime cependant qu'il est nécessaire d'avoir un nombre important de projets.
Des interrogations existent aussi sur la procédure de sélection des projets. Si les critères de sélection retenus pour cette première édition étaient "plutôt intelligents", la procédure gagnerait, selon la mission, à être "davantage formalisée" (pluralités des modalités de saisine, appui ou non des Drac ou des Monuments historiques...). Il conviendra par ailleurs d'améliorer l'accompagnement des projets en "assurant en quelque sorte un service après-vente".
Enfin, la mission estime que "le loto n'a pas vocation à constituer un financement pérenne ou exclusif. Il doit servir à créer un effet de levier initial pour amener d'autres financeurs autour de la table".
La lancinante question des taxes
Bien entendu, les rapporteurs sont revenus sur la polémique relative aux taxes prélevées par l'État (TVA, CSG et CRDS, prélèvement en faveur du Centre national pour le développement du sport) et la déception, pour certains, de constater qu'un ticket à 15 euros ne rapportait en définitive que 1,52 euro au patrimoine. La mission flash plaide donc pour le lancement d'un second jeu, "moins cher pour être accessible au plus grand nombre, mais dont la part des mises allouée au patrimoine serait plus élevée, notamment grâce à un abaissement du retour au joueur".
En attendant - et pour clore la polémique - le gouvernement a débloqué une enveloppe de 21 millions d'euros (sur des crédits gelés du PLF 2018), afin d'abonder la dotation pour le patrimoine. Mais "seuls 14 millions d'euros [...] seront en réalité affectés à cette opération, ce qui correspond effectivement aux prélèvements et taxes perçus par l'État". En outre, cette dotation revêt un caractère exceptionnel.
Par ailleurs, la mission plaide pour "un meilleur équilibre" entre la rémunération des joueurs et la part affectée au patrimoine. Les rapporteurs estiment en particulier qu'"il faudrait doubler" la part allouée au financement des projets de conservation du patrimoine. Plus inattendu, la mission préconise, face aux risques d'addiction, qu'"une étude approfondie soit conduite sur les conséquences sanitaires et sociales du Loto du patrimoine"...