Emploi - Microcrédit : les réseaux se tournent vers les pouvoirs publics
Que ce soit en France, en Europe ou dans le monde, le chômage continue d'augmenter. 202 millions de personnes sont sans emploi au niveau mondial : c'est le niveau le plus élevé jamais atteint. Et la tendance ne devrait pas s'inverser avec 2019 ! C'est ce qu'a déclaré Peter Potschen, directeur du département Entreprises du Bureau international du travail (BIT), mardi 3 février, à l'occasion d'un colloque européen organisé avec la Caisse des Dépôts et la direction générale de la cohésion sociale, à Bercy, sur l'impact du microcrédit professionnel sur l'emploi. Un impact jugé de plus en plus convaincant alors que les politiques de l'emploi patinent.
46.000 prêts par an en France
Avec trente ans de recul, la France est le pays d'Europe qui a la plus longue expérience dans ce domaine. 46.000 microcrédits professionnels (des prêts de moins de 25.000 euros qui permettent à des personnes n'ayant pas accès aux circuits bancaires classiques de monter leur activité) y sont accordés chaque année, selon un rapport du BIT présenté pour l'occasion, intitulé "Le microcrédit en France et en Europe en 2030 : la création d'emploi et la promotion de l'entrepreneuriat". Ce rapport s'appuie notamment sur une enquête réalisée par CSA fin 2013 auprès de 4.204 emprunteurs qui ont bénéficié d'un accompagnement à la création d'entreprise. Les résultats sur l'insertion professionnelle des porteurs de projets sont sans détours : 77% des entreprises créées grâce au microcrédit sont pérennes trois ans après, contre 66% pour l'ensemble des entreprises. 91% des emprunteurs sont "insérés professionnellement" trois ans après. Et, surtout, 89% des chômeurs qui ont créé ou repris une activité grâce au microcrédit sont désormais "insérés sur le marché du travail" ! Quand on sait que les deux tiers des emprunteurs sont des chômeurs, le microcrédit apparaît bel et bien comme un moyen de lutter contre le chômage. D'autant qu'une fois pérennisées, ces entreprises ont créé en moyenne 2,6 emplois.
Accompagnement
Ces performances s'expliquent par l'accompagnement dont bénéficient les porteurs de projets grâce aux réseaux spécialisés tels que l'Adie, Réseau Entreprendre, France Active, les boutiques de gestion (BGE) ou Initiative France. 84% des porteurs de projets jugent positif l'accompagnement et neuf sur dix sont "très satisfaits" de leur expérience.
"Il y a quelques années, on aurait pointé les risques d'auto-exploitation des intéressés, de surendettement". Aujourd'hui, c'est "la qualité de l'emploi" qui prévaut, a fait valoir Bernd Balkenhol, professeur à l'université de Genève et co-auteur du rapport BIT. 72% des salariés des entreprises pérennisées sont des CDI. Seulement, le microcrédit n'est pas forcément "créateur de richesse". Les trois quarts des entrepreneurs n'arrivent pas à épargner et 60% jugent leurs revenus insuffisants.
Autre bémol : la protection sociale. 19% des micro-entrepreneurs déclarent avoir une couverture santé de moins bonne qualité et 2% n'en n'ont aucune. "Il semble que la question de la protection sociale des micro-entrepreneurs, en lien avec celle de la flexisécurité, reste une question pour laquelle des réponses concrètes doivent être apportées rapidement", estime le BIT. Surtout si un changement d'échelle était envisagé. Car d'après l'inspection générale des finances, 190.000 demandes de prêts ne sont pas satisfaites chaque année. Autrement dit, l'offre de prêts ne répond pas à la demande. "Ce chiffre est à considérer avec prudence", mais il donne "une idée du potentiel de développement de cet outil", juge le BIT.
"Mur financier"
"Comment tous ensemble passer de 40.000 prêts à 60.000 ou 80.000 dans les années qui viennent", a interrogé Christian Sautter, le président de France active. Pas simple, alors que le BIT souligne "l'incapacité des organisations françaises de microfinance à atteindre l'équilibre financier". Le financement est ce qui taraude les réseaux d'accompagnement. Et les scénarios envisagés par le BIT à horizon 2030 ne sont pas pour les rassurer. Dans l'un d'eux, les réseaux pourraient être amenés à disparaître et être absorbés par les banques. Mais ils pourraient aussi se professionnaliser et redéfinir leurs partenariats avec les pouvoirs publics dont les subventions seraient être calculées en fonction du "retour social sur investissement"… Enfin, le troisième scénario verrait une autonomisation du secteur de la microfinance avec l'arrivée des géants comme Google et Facebook qui utiliseraient les nouvelles technologiques de manière plus efficace que les réseaux bancaires et capteraient une part croissance de la clientèle… A cet égard, "les organisations de microfinance pourraient disparaître ou, à l'inverse, devenir des acteurs clefs du secteur bancaire", selon le rapport.
Pour Jean-Marc Maury, directeur du département développement économique et ESS de la Caisse des Dépôts (qui gère le fonds de cohésion sociale), l'argent dépensé pour les prêts "n'est pas le vrai sujet". "Le vrai sujet c'est l'accompagnement et son coût" qui représente 12% d'un microcrédit. Une généralisation du modèle actuel conduirait à "un mur financier". "Nous sommes à la limite de la rupture. Nous sommes en train de manquer des occasions de développement économique et de cohésion sociale", a lancé Catherine Barbaroux, la présidente de l'Adie. L'association, comme toutes ses consœurs, recourt fortement au bénévolat. Les taux qu'elle pratique (7%) lui permettent de dégager un peu d'autofinancement mais elle a besoin des subventions de l'Etat et des collectivités.
Bénéfice de 2.500 euros en trois ans sur les finances publiques
Or pour la collectivité, ce retour social sur investissement est net. "Un emploi créé coûte 3.000 euros et est plus économe que d'autres prises en charge", a ainsi souligné la directrice de cabinet de Carole Delga, Isabelle Amaglio-Terisse. Et selon les organisateurs du colloque, le bénéfice moyen pour les finances publiques est estimé à 2.500 euros par microcrédit sur trois ans, compte tenu des économies réalisées sur les dépenses sociales.
Le microcrédit s'avère "plus efficace" que les emplois aidés, estime Catherine Barbaroux. "On ne demande pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Mais il est dommage que Paul ne soit pas plus chaudement vêtu", a-t-elle développé. Or la tendance est plutôt à la mode estivale. Louis Schweitzer, président d'Initiative France, a alerté sur le risque de retrait des collectivités. "Nos financeurs principaux sont pour plus de la moitié les collectivités territoriales qui ne deviennent pas de plus en plus riches. La rationalisation fait qu'elles risquent de se désengager de gré ou de force", a-t-il averti. Le Réseau Entreprendre, qui fonctionne différemment de l'Adie et d'Initiative France et assure 90% de ses moyens avec les cotisations des entreprises "accompagnatrices", reconnaît également qu'il "manque un peu d'argent public".
Vers des formations éligibles au CPF ?
Un message qu'on semble prêt à entendre au ministère du Travail. Emmanuelle Wargon, déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a proposé de travailler avec les réseaux pour que, dans un délai de "trois mois", la liste des formations éligibles au nouveau compte personnel de formation (CPF) puisse intégrer la formation à la création d'entreprise. Elle a également proposé "un travail collectif" pour déboucher sur une "feuille de route modeste" autour de "l'accompagnement avant, l'accès à la formation et le développement après". Et pour "utiliser au mieux les financements existants". Jean-Marc Maury a pour sa part réclamé "une plus grande coordination entre les acteurs", épinglant au passage les 654 dispositifs d'aides à la création d'entreprise. A ce titre, Christian Sautter a placé "une grand confiance dans les régions qui vont prendre des responsabilités nouvelles" avec le projet de loi Notre en cours d'examen.
Dans ce concert de louanges, Georges Gloukoviezoff, docteur en économie, UCD Geary Institute (Ireland) et co-auteur du rapport du BIT, tient à rappeler que "même si tout le monde a potentiellement les capacités pour devenir créateur d'entreprise, l'entrepreneuriat ne peut pas être envisagé comme une solution universelle". "Le microcrédit est vu comme une solution tellement efficace qu'on lui prête parfois des rôles qu'il n'est pas de taille à tenir", conclut-il.