PLF 2017 - Mesures "finances locales" : Estelle Grelier défend les choix du gouvernement
Localtis - En quoi l'affectation, à partir de 2018, d'une part de la TVA aux régions, est-elle "historique", selon l'expression du Premier ministre ?
Estelle Grelier - C'était une revendication ancienne des régions que de partager un impôt d'Etat, sur le modèle des Länder allemands. Le gouvernement y a répondu, car c'est un véritable acte de décentralisation. Il marque le partenariat indispensable entre l'Etat et les régions, qui travaillent aujourd'hui ensemble sur les questions d'emploi et de formation professionnelle, ou de développement économique. De plus, il était nécessaire de donner aux régions les moyens de leurs compétences. Le Premier ministre l'a rappelé au congrès des régions de France : la réforme territoriale a assis le fait régional, en créant des régions de dimension européenne et en renforçant leur compétence pour la gestion des fonds européens, la formation professionnelle et l'apprentissage ou le développement économique. La TVA a d'ailleurs du sens, car c'est un impôt dont le dynamisme est lié à celui de l'activité économique, en cohérence avec les compétences des régions. C'est, enfin, une nécessité financière. Après la réforme fiscale de 2009, les régions ont vu leur autonomie financière et fiscale se réduire fortement, bien davantage que les autres catégories de collectivités : leurs recettes sont largement peu dynamiques et elles n'ont plus qu'un pouvoir de taux résiduel. Ce n'est pas cohérent avec la réforme territoriale. La TVA permet de rééquilibrer cette situation.
Les régions vont aussi bénéficier d'un fonds pour financer l'action économique des régions et ce dès 2017.
Le Premier ministre a garanti aux régions le financement de leurs dépenses de développement économique complémentaires dans la limite de 450 millions d'euros. Cette décision leur permettra d'assurer dès l'an prochain la transition avec les départements dans de meilleures conditions pour le tissu économique local.
Est-il envisageable que les autres collectivités territoriales bénéficient aussi d'un impôt national ?
Le partage d'impôts nationaux entre l'Etat et les collectivités territoriales n'est pas une nouveauté. Il s'est même beaucoup développé depuis l'acte II de la décentralisation. Les départements bénéficient ainsi de ressources issues de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques ou de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance. Il est logique que les régions bénéficient de ressources nouvelles, parce qu'elles ont vu leurs compétences s'accroître avec la réforme territoriale et leurs recettes étaient particulièrement peu dynamiques. A l'inverse, les départements voient leurs compétences se réduire, parfois sans transfert de ressources. C'est le cas en matière de développement économique, domaine dans lequel ils ne peuvent plus intervenir, du fait de la suppression de la clause de compétence générale. Cela leur donne plus de marges pour intervenir sur leurs autres compétences.
L'atténuation de la baisse des dotations allouées aux communes et intercommunalités en 2017 ne signifie-t-elle pas la reconnaissance par l'Etat que la réduction qu'elles ont subie en 2015 et 2016 a été trop forte et rapide ?
La contribution au redressement des finances publiques a représenté moins de 2% des recettes des communes et intercommunalités, sensiblement moins, au global, que la progression des recettes de fiscalité locale. Ce n'est pas "l'étranglement" que certains décrivent. Par ailleurs, nous avons systématiquement accompagné les collectivités les plus fragiles : entre 2014 et 2017, ce sera presque 1 milliard d'euros de péréquation en plus dans les dotations. A cela s'ajoute le fonds de péréquation des ressources intercommunal et communal - le "Fpic" - qui a atteint 1 milliard d'euros en 2016. Ces mesures ont permis de réduire considérablement la contribution des communes les plus fragiles, voire pour certaines, d'augmenter leurs concours. Quant à savoir si la baisse était trop rapide, c'est surtout la situation de nos finances publiques qui ne permettait pas d'attendre pour faire les choix difficiles. Ils ont été faits et ces efforts ont payé. Les collectivités retrouvent des marges de manœuvre et il a été possible, via le retour attendu du déficit sous les 3 % du PIB, de réduire la contribution au redressement des finances publiques du bloc communal. Cette mesure, associée aux 2,2 milliards d'euros du fonds de soutien à l'investissement local en 2016 et 2017, doit permettre de relancer l'investissement public.
En revanche, la baisse des dotations est maintenue à son rythme pour les départements et les régions. N'est-ce pas inéquitable ?
Au contraire des régions et des départements, le bloc communal n'a pas bénéficié du transfert de ressources dynamiques ces dernières années. Les régions ont en effet bénéficié de ressources fiscales nouvelles dans le cadre de la réforme de l'apprentissage et elles auront au 1er janvier prochain 25 points supplémentaires de CVAE puis, comme l'a annoncé le Premier ministre, une part de TVA. Les départements, pour leur part, ont obtenu près de 900 millions d'euros au titre des frais de gestion du foncier bâti, ainsi que la possibilité de relever leur taux plafond de DMTO, ce qui contribue à la très forte progression de cette ressource fiscale en 2015 et de nouveau en 2016.
Le PLF prévoit la suppression de l'article 150 de la loi de finances pour 2016 qui réformait la DGF des communes et communautés au 1er janvier 2017. La réforme doit à présent intégrer un hypothétique projet de loi de financement des collectivités territoriales qui doit s'appliquer pour la première fois en 2018. Certains craignent que ce report signe l'abandon de la réforme, alors que sa nécessité fait l'unanimité. Que leur répondez-vous ?
La réforme de la DGF a déjà commencé : dès cette année, nous réformerons la dotation de solidarité urbaine, afin qu'elle soit mieux répartie. Il s'agit d'une réforme d'ampleur permettant un meilleur ciblage de cette dotation (passage de 751 à 668 communes éligibles) et une rénovation de ses critères d'attribution (poids accru du revenu moyen des habitants) et des modalités de répartition de sa progression annuelle (suppression de l'effet de seuil qui était devenu intenable). Cette réforme reste indispensable et nous ne saurons pas en faire l'économie. Avec moins de dotations, il faut répartir plus justement. En effet, la répartition actuelle de la DGF est particulièrement injuste : elle est fonction des ressources passées et non des charges actuelles. Par ailleurs, le modèle de la dotation d'intercommunalité ne joue plus son rôle d'incitation à l'intégration intercommunale et doit donc être réformé. Il faut en finir avec des ressources calculées en fonction de la nature juridique, pour tenir compte de la richesse et du niveau d'intégration.
Bercy ne parle pas de loi de financement des collectivités territoriales, mais évoque "une loi de mise en œuvre de la réforme de la DGF", ce n'est pas tout à fait la même chose. L'idée d'une loi de financement des collectivités territoriales passe-t-elle mal à Bercy ?
Il existe des débats interministériels, c'est normal. Mais il y a convergence pour déplorer les lacunes du système actuel. D'abord, l'association des collectivités territoriales à la définition des engagements de la France sur sa trajectoire budgétaire globale est insuffisante. Ensuite, il manque une approche globale de l'ensemble des flux financiers de l'Etat vers les collectivités, rapprochée avec le niveau des charges imposées aux collectivités.
La réforme de la dotation de solidarité urbaine (DSU) est consensuelle, sauf peut-être sur un point : le lissage des attributions. Le gouvernement a choisi un écart de 1 à 8 entre l'attribution de la ville éligible la plus pauvre et celle de la ville éligible la plus favorisée. On est loin du scénario de travail du Comité des finances locales (écart de 1 à 2). Etes-vous prête à bouger le curseur en cas de débat ?
Le gouvernement a étudié différents scénarios, dont celui évoqué, parmi d'autres, au CFL. Il s'agit de mieux répartir la DSU entre toutes les communes bénéficiaires. Mais, il est clair qu'il faut particulièrement se préoccuper des communes les plus hautes dans le classement, qui n'ont parfois pas de recettes fiscales dynamiques. Cette proposition me semble équilibrée vis-à-vis de ces territoires, tout en aidant des villes classées après la 250e, qui ont aussi des quartiers politique de la ville. Je pense notamment à ces villes moyennes qui ne sont pas riches et ne bénéficient actuellement pas de la hausse annuelle de DSU. Bien évidemment, le Parlement sera amené à se positionner sur cette question. Mais c'est notre proposition et il me paraît juste que les communes urbaines les plus pauvres continuent à bénéficier d'une dynamique de leur DSU plus forte que des communes se trouvant dans une situation plus favorable.
Pour financer notamment la progression de la péréquation, le gouvernement propose un élargissement de plus de 3 milliards d'euros de l'assiette des variables d'ajustement en incluant désormais en particulier la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle des régions et des départements et les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle. Sur ce sujet aussi, le débat, certes technique, va être certainement animé.
Les concours financiers aux collectivités doivent diminuer de 2,8 milliards d'euros en 2017. Pour assurer ce résultat, compte tenu de la progression de certains concours, il faut en diminuer d'autres. C'est pour cela que certains versements, correspondant à des compensations d'exonération d'anciens impôts, diminuent. Et c'est parce que les versements ainsi soumis à minoration sont devenus insuffisants que le gouvernement propose que de nouveaux versements soient soumis à minoration. Comme vous l'indiquez, ce système permet d'assurer le financement de la progression des dotations de péréquation. Il permet donc de substituer des dotations bénéficiant à des communes peu favorisées ou à des intercommunalités plus intégrées à des versements peu ciblés et bénéficiant aussi à des collectivités très riches. Dans ce PLF, nous avons fait le choix de ne pas gager les mesures nouvelles bénéficiant à l'investissement : le fonds de soutien à l'investissement local et la dotation d'équipement des territoires ruraux sont financés par des ressources supplémentaires apportées par l'Etat. Si ce système de "variables" est remis en cause, nous ne pourrons plus financer la péréquation ou l'intercommunalité autrement qu'en creusant le déficit.
Les élus locaux réclament une meilleure compensation des exonérations de fiscalité locale et des abattements sur le foncier bâti prévus dans le cadre de la politique de la ville. Le gouvernement sera-t-il ouvert à des amendements ?
C'est une question importante, qui s'est déjà posée l'année dernière. Nous avions alors sorti cet abattement des variables d'ajustement et relevé le niveau de compensation. Il y a donc eu un premier pas très significatif. A titre personnel, je serais plutôt favorable à rendre la main aux élus sur cette question. Ils devraient pouvoir décider de garder ou non l'exonération, après avoir vérifié que les bailleurs sociaux qui en bénéficient ont bien mis en place les contreparties prévues par les textes. Mais c'est une position personnelle.
Le PLF prévoit de supprimer la retenue à la source spécifique des indemnités des élus locaux et de les soumettre aux règles de droit commun des indemnités soumises à l'impôt sur le revenu. Une étude d'impact a-t-elle été réalisée ? Vous engagez-vous à ce qu'il n'y ait pas de perdants ?
L'indemnité de fonction des élus est soumise à une retenue à la source libératoire. Les élus bénéficient aujourd'hui d'un droit d'option, qui vise à opter pour une retenue à la source libératoire, avec un barème spécifique, ou à verser leurs indemnités dans le calcul de l'impôt sur le revenu de droit commun. Le projet de loi prévoit que les indemnités seront désormais imposables uniquement suivant les règles applicables aux traitements et salaires, sans option. C'est une mesure de simplification et d'équité devant l'impôt. Je souhaite que le débat parlementaire permette d'en mesurer tous les effets, en toute transparence.
Les élus locaux sont inquiets des effets de l'évolution de la carte intercommunale sur les ressources des communes et communautés, ainsi que sur le potentiel financier et fiscal. Allez-vous leur remettre des simulations avant la discussion du projet de loi de finances rectificative ?
Avec Jean-Michel Baylet, nous nous sommes exprimés sur cette question devant le CFL. En ce qui concerne l'impact des transformations de certaines communautés d'agglomération en communautés urbaines – question qui s'est posée dès cette année - nous allons augmenter la dotation d'intercommunalité des communautés d'agglomération de 70 millions d'euros. J'en profite pour rappeler que le gouvernement n'a pas fait financer la création de Paris et Marseille par les autres collectivités, le financement ayant été apporté par l'Etat, qui a abondé la dotation globale de fonctionnement de 113 millions d'euros. S'agissant du Fpic, l'exercice n'est pas simple, car la carte n'est pas encore stabilisée et nous travaillons actuellement à partir des schémas arrêtés par les préfets. Par ailleurs, le Fpic se calcule à partir du potentiel financier agrégé, qu'il ne sera possible de calculer avec précision qu'en janvier prochain. Pour autant, pour anticiper les effets de la carte, nous avons décidé de maintenir le Fpic à 1 milliard d'euros : cela évitera des ressauts de contributions trop importants. Il faut aussi rappeler que, dès la loi de finances pour 2016, nous avons mis en place un dispositif de lissage au profit des bénéficiaires du Fpic : les versements ne peuvent être inférieurs à 90% du montant de l'année précédente. Nous continuons à étudier les résultats au plus près, et sommes prêts à ajuster les choses en fonction des résultats.
Le gouvernement n'a toujours pas remis au Parlement le rapport sur l'expérimentation de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation. Hésite-t-il à engager la phase de généralisation ?
La révision de la valeur locative des locaux professionnels doit se traduire dans les bases d'imposition dès l'année prochaine. Les dispositions votées dans la loi de finances rectificative l'an dernier ont permis d'améliorer significativement les résultats avec une limitation et un lissage dans le temps des effets qui facilitera la transition pour les contribuables. Ainsi, le gouvernement aura enfin permis de débloquer cette réforme, sur laquelle les gouvernements successifs échouent depuis des dizaines d'années. La révision des valeurs locatives des locaux d'habitation viendra ensuite. Des expérimentations ont été menées. Tous les enseignements en seront tirés avant d'avancer.
Propos recueillis par Thomas Beurey
Intercommunalité : des aménagements de la fiscalité dans le collectif budgétaire de fin d'année
Comme il l'a annoncé dès le mois de juin (voir notre article du 14 juin 2016: "
Fiscalité intercommunale et fusions : une circulaire et de nouveaux assouplissements en vue"), le gouvernement va proposer des mesures pour faciliter sur le plan fiscal la mise en œuvre de la nouvelle carte intercommunale au 1er janvier 2017. Elles figureront dans le projet de loi de finances rectificative pour 2016. Il est prévu notamment :
- de donner la possibilité aux autorités organisatrices de la mobilité d'autoriser le maintien d'un taux de versement transports nul ou réduit pendant une durée maximale de 12 ans suivant l'évolution de périmètre de l'EPCI sur le territoire des communes sur lesquelles le versement transports n'était pas institué ou l'était à un taux inférieur ;
- de garantir aux EPCI issus de fusion la perception de l'intégralité des allocations compensatrices précédemment perçues par les EPCI préexistants et notamment celles relatives aux quartiers prioritaires de la ville (QPV) ;
- de permettre aux EPCI issus de fusion, souhaitant mettre en œuvre la procédure d'intégration fiscale progressive, de délibérer jusqu'au 15 avril de l'année qui suit la fusion afin de procéder à l'harmonisation obligatoire des abattements de taxe d'habitation ;
- de permettre aux communes changeant en cours d'année d'EPCI de rattachement de se voir garantir le reversement de la fiscalité professionnelle perçue par l'ancien EPCI à travers une dotation budgétaire ;
- de reporter la date de délibération en matière de taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi) au 15 janvier, en cas d'évolution de périmètre de l'EPCI. L'objectif est de permettre à ce dernier de percevoir le produit de la taxe dès la première année suivant l'évolution de périmètre.
T.B.