Mathieu Klein : "La crise du travail social est toujours plus aiguë"

Organisées par la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), des Journées du travail social auront lieu ces 24 et 25 septembre à Nancy. En tant que maire de Nancy et président du Haut Conseil du travail social (HCTS), Mathieu Klein ouvrira ce congrès aux côtés de la présidente du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle et des représentants de la FAS Grand Est. Revalorisations salariales et conditions de travail, financement de la solidarité nationale et équité entre départements, automatisation de l’accès au droit et lutte contre le non-recours… Mathieu Klein est revenu pour Localtis sur les dossiers jugés prioritaires pour permettre une sortie de crise du travail social, des priorités que le HCTS entend mettre à l’agenda du nouveau gouvernement.

Localtis - Il y a neuf mois, le Haut Conseil du travail social remettait son livre blanc du travail social au gouvernement et vous alertiez sur la gravité des difficultés rencontrées par les professionnels. Que s’est-il passé pour le travail social depuis ?

Mathieu Klein - La situation est toujours aussi difficile. Il y a eu néanmoins des éléments positifs, le plus significatif étant l’accord qui étend la revalorisation Ségur à tous les salariés des associations, tous travailleurs sociaux confondus (voir notre article). L’autre point, c’est la méthode qui a été définie pour l’élaboration de la convention collective nationale unique étendue (CCNUE) : il y a un chemin pour sortir de disparités qui ne sont aujourd’hui plus compréhensibles. Le chantier de l’Institut national du travail social a également été lancé (voir notre article), avec des avancées prochaines sur la formation des cadres de haut niveau et les travaux de recherche en France - puisque la France n’a pas aujourd’hui de filière complète permettant la recherche en travail social. Autre élément important du livre blanc : la réforme à venir des diplômes en travail social, notamment pour prendre en compte les enjeux du dérèglement climatique dans la formation des travailleurs sociaux. 

Il y a donc eu des avancées, mais la préoccupation quant au niveau de gravité de la situation du secteur du travail social est toujours aussi forte. Parmi les signaux d’alerte récents, il y a eu l’annonce qui a été faite par Départements de France de l’incapacité des départements à engager les 170 millions d’euros nécessaires à la mise en œuvre de l’extension du Ségur compte tenu de leur situation financière très difficile (voir notre article). Or la crise est toujours plus aiguë, particulièrement dans les métiers de la protection de l’enfance où l’on assiste à à une chute vertigineuse du nombre d’assistants familiaux en poste. Un autre sujet porte sur la création de France Travail, avec des moyens pour l’accompagnement des personnes qui sont encore insuffisants. 

Concernant les deux accords agréés en juin, vous évoquez la déclaration de Départements de France qui invite les départements à ne pas appliquer cet accord tant qu’il n’y a pas de compensation intégrale de la part de l’Etat. En tant qu’ancien président de département, vous connaissez bien ces difficultés financières. Comment faudrait-il procéder ? Faut-il, pour toutes ces revalorisations, une prise en charge intégrale par l’État ou est-ce qu’il faut, malgré les difficultés des départements, une contribution de leur part ?   

Que les conseils départementaux prennent leur part, c’est normal et d’ailleurs je crois qu’ils n’ont jamais demandé à être déchargés de leur part de responsabilité. Ce qu’ils disent aujourd’hui, et je crois que c’est profondément juste, c’est qu’ils font face à des difficultés financières liées à l’instabilité des ressources qui sont les leurs, puisque les droits de mutation sont par définition indexés sur l’état du marché immobilier.  

Aujourd’hui, le vrai problème c’est le financement de la solidarité nationale. Les départements font face à des dépenses obligatoires qui, fondamentalement, ne relèvent pas de ressources locales : le financement du RSA [revenu de solidarité active], de l’accueil des mineurs non accompagnés… Ce sont des politiques publiques pour lesquelles l’échelon local, départemental en l’occurrence, est le bon échelon pour mettre en œuvre les parcours d’accompagnement en proximité et dans une logique de développement social et territorial. Mais l’équation financière ne peut pas être celle de la ressource de chaque département, sinon cela conforte les inégalités territoriales de façon criante. C’est le vrai problème structurel auquel sont confrontés les départements : les bases sur lesquelles sont assises leur capacité à construire les politiques publiques, les politiques de solidarité en particulier, sont des bases très inéquitables. Il faut donc que le gouvernement rétablisse de l’équité entre les territoires pour que ces territoires puissent se concentrer sur ce qu’ils savent faire, c’est-à-dire accompagner le parcours de vie des personnes. 

Au-delà des enjeux de rémunération, quelles priorités entendez-vous porter, en tant que président du HCTS, auprès du nouveau gouvernement ?  

L’accès aux droits est un sujet social et sociétal majeur car nous savons qu’il y a des trous dans la raquette. Le non-recours est le phénomène qui illustre de façon la plus criante les imperfections de notre système. Quand 30% des personnes éligibles à une aide n’y ont pas accès dans les faits, c’est la démonstration que le système ne fonctionne pas correctement. 

La réforme de la solidarité à la source doit permettre d’automatiser le versement des prestations sociales aux personnes qui peuvent y prétendre (voir notre article). C’est plus rapide, cela évite les ruptures pour les personnes et cela permet aussi aux travailleurs sociaux de se concentrer sur l’accompagnement des parcours de vie, sur l’insertion sociale et professionnelle des personnes, plutôt que de passer un temps long à ouvrir ou rouvrir des droits auprès des administrations concernées. C’est un sujet que j’aborderai très vite avec le nouveau ministre des Solidarités car il y a une urgence à ce que cette réforme ne se perde pas dans les limbes du changement de gouvernement.

Est-ce que vous avez de bons retours, à ce sujet, sur l’expérimentation Territoires zéro non-recours ? 

Je peux témoigner du territoire que je connais le mieux : le grand Nancy, qui est en train d’expérimenter. Nous ne sommes pas encore en phase d’évaluation mais les professionnels qui m’en parlent reconnaissent tout l’intérêt d’actions coordonnées de l’ensemble des institutions sociales. Ces professionnels voient l’intérêt d’aller vers les habitants, dans des quartiers ciblés, avec une logique transversale (Assurance maladie, CAF, département, CCAS, associations…). Et ces actions permettent d’ouvrir des droits pour des personnes qui ne les ont pas ou qui ne les ont plus. 

Comment améliorer les conditions de travail des professionnels pour recruter davantage et petit à petit sortir de cette crise du travail social ?

C’est un sujet sur lequel le livre blanc est largement revenu : la débureaucratisation du travail social, donner aux professionnels plus d’espace et plus de temps pour qu’ils puissent prendre des initiatives et exercer leur cœur de métier. L’automatisation des droits, comme je viens de l’évoquer, a des conséquences sur la qualité de vie au travail. Il est également souhaitable de limiter le recours aux appels à projets. La multiplication des appels à projets impose en effet aux professionnels un reporting assez constant. Certains l’ont exprimé dans le cadre de l’élaboration du livre blanc : "nous passons plus de temps à rendre compte qu’à faire" - ça n’est pas une situation acceptable. Ce manque de reconnaissance du savoir-faire des professionnels contribue à la perte de sens et donc aux difficultés d’attractivité des métiers du travail social. Les conditions d’exercice des métiers constituent un enjeu très fort, c’est l’un des chantiers que le HCTS continue de travailler dans l’après livre blanc. 

En tant que maire de Nancy et président du HCTS, vous vous apprêtez à accueillir le congrès de la FAS et à mettre à l’honneur le travail social et les professionnels qui exercent ces métiers. Que souhaiteriez-vous dire à vos collègues maires et élus sur la contribution des collectivités à ce chantier ? Quelles sont leurs marges de manœuvre ?   

La situation financière est extrêmement difficile pour l’ensemble des collectivités aujourd’hui donc il faut obtenir de la part du gouvernement que l’autonomie des collectivités locales soit non seulement préservée mais aussi renforcée et que la confiance revienne pour que nous puissions travailler dans une logique de complémentarité, de subsidiarité. Aux élus, je dirai que nous sommes au cœur de la plus belle des missions puisque nous sommes au cœur du pacte social, dans sa mise en actes au quotidien à travers nos politiques publiques, qu’elles soient municipales, départementales, régionales, que l’on parle d’éducation, de formation, d’action sociale, de petite enfance, d’insertion sociale et professionnelle, de handicap, de santé… Tous ces sujets nous mettent en première ligne de la République sociale des territoires telle que les citoyens attendent qu’elle vive au quotidien. C’est une immense responsabilité et je sais l’effort de tous les maires, tous les présidents de département pour être le plus actif qu’ils le peuvent sur ces enjeux-là. 

Travaillons avec les associations, c’est une extraordinaire richesse. La FAS est un peu le navire amiral de l’ensemble des acteurs associatifs de la solidarité et, sur le terrain, les collectivités et les associations peuvent ouvrir de nouveaux champs, explorer, innover… Beaucoup d’actions très concrètes changent le quotidien et méritent ensuite d’être incubées, essaimées. C’est aussi la raison pour laquelle le dialogue entre le gouvernement et les collectivités doit être un dialogue constant, solide, nourri, sincère, parce que c’est aussi comme ça que l’on avance. Le congrès de la FAS doit servir à cela, il faut que l’état d’urgence pour les solidarités soit reconnu, que les moyens soient mis sur la table pour que nous puissions avancer dans la confiance, acteurs locaux, État et associations. 

Vous avez évoqué l’approche du développement social qui avait été tant portée par Michel Dinet auquel vous aviez succédé au département de Meurthe-et-Moselle. Est-ce que la mise en œuvre d’une telle approche avance concrètement sur les territoires ou est-ce que c’est toujours un défi, du fait notamment des postures politiques et institutionnelles, de mobiliser les acteurs dans cet état d’esprit collectif favorable aux solidarités ? 

Il y a vraiment une nouvelle génération du développement social local qui doit être aujourd’hui ouverte. Ce que je constate, c’est qu’il y a une attente immense, il y a une soif de projets qui font sens sur un territoire, qui portent et qui tirent vers le haut, qui mobilisent des acteurs quelle que soit la nature de leur engagement ou de leurs responsabilités. Et ce qui fait défaut aujourd’hui c’est, je crois, une relation suffisamment apaisée et constante entre l’État et les collectivités pour que le développement social territorial soit vraiment la pierre angulaire sur laquelle se bâtissent les politiques de solidarité. Donc il faut retrouver une nouvelle dynamique, un nouveau souffle et je pense que le congrès de la FAS peut et doit largement y contribuer. Ce qui est certain, c’est qu’une immense majorité d’acteurs sur le terrain n’attend que cela.