Pacte pour la revitalisation des centres-villes - Martial Bourquin : donner aux élus les "moyens d'agir"
Le sénateur Martial Bourquin revient, dans une interview accordée à Localtis, sur les enjeux et les choix qui ont prévalu dans l'élaboration de la proposition de loi portant Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs qui était présentée ce jeudi 19 avril au Sénat.
Rémy Pointereau et Martial Bourquin, rapporteurs du groupe de travail sénatorial sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, ont dévoilé ce jeudi 19 avril les 31 articles d'une proposition de loi portant "Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs".
"Ce qui est en jeu, c'est la survie même du modèle de ville à l'européenne" : après avoir tiré l'alarme en ces termes, Rémy Pointereau s'est employé à décrire les grandes lignes du dispositif envisagé par ce texte pour rééquilibrer les règles du jeu entre le centre-ville et les autres acteurs, en particulier les grandes surfaces et le e-commerce (voir notre encadré en fin d'article).
Reposant sur un système de bonus et de malus, cette proposition s'attaque directement à la fiscalité du commerce pour la renforcer en périphérie et la rendre plus attractive en centre-ville. Surtout, la définition du périmètre d'intervention sera "ouverte à tous les territoires et ne dépendra pas d'une liste établie par un cabinet ministériel, si performant soit-il", déclarait Martial Bourquin.
Une ambition saluée par les experts Yves Dauge et Pierre Narring, qui se sont déclarés enthousiasmés, ou encore par François Baroin, président de l'Association des maires de France, et Vanik Berberian, président de l'Association des maires ruraux de France. Pierre Narring et François Baroin ont tout de même insisté sur l'insertion de clauses d'aménagement commercial dans les PLUi, encouragée par la jurisprudence récente de la Cour européenne (30 janvier 2018), là où les sénateurs s'appuient essentiellement sur le Scot.
Le Sénat devrait examiner ce texte dès le mois de juin, avant le projet de loi sur l'Évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan). Dans une interview exclusive accordée à Localtis, Martial Bourquin, sénateur du Doubs, commente les lignes directrices qui ont guidé l'élaboration de ce texte, les principaux enjeux qui se posent aujourd'hui aux élus concernés, les nouveaux outils qu'il entend promouvoir.
Localtis - Comment a été accueillie votre proposition de loi à l'occasion de cette première présentation ?
Martial Bourquin - Nous avons assumé le choix de l'intelligence territoriale : ce sont les élus locaux et leurs partenaires qui pourront choisir les périmètres et les outils d'intervention pour le bien de leurs centres-villes et de leurs territoires. Le Sénat porte constitutionnellement la voix des territoires, et la présence aujourd'hui de deux associations d'élus témoigne d'un immense intérêt pour notre travail. Si le Parlement entier vote cette loi, elle sera d'une portée extraordinaire pour les élus.
Quelle pourrait être l'articulation de votre proposition de loi avec le plan Action Cœur de ville et le projet de loi Elan ?
Je plaide pour qu'on aboutisse à un assemblage complémentaire entre notre proposition de loi et le plan Action Cœur de ville. Si j'étais l'un des ministres, je verrais notre proposition de loi portant Pacte de revitalisation des centres-villes d'un bon œil, parce que selon nous, le plan Action Cœur de ville est trop limité, il oppose les villes entre elles en laissant des pans entiers de dévitalisation des territoires. Quand les noms sont parus, j'ai vu des maires très déçus : choisir 222 villes sur cinq ans nous semblait insuffisant. D'autant que parmi ces villes, certaines ont augmenté leurs surfaces commerciales de périphérie.
Quels moyens proposez-vous aux élus dans cette proposition de loi ?
Si on ne touche pas au logement, on ne pourra pas réussir le pari de la revitalisation. Il faudra reconstruire et réhabiliter. C'est un chantier exceptionnel et grisant, qui redonne à la fonction de maire toute sa dignité, mais il lui faut des moyens d'agir. Nous avons donc proposé, tout d'abord, d'agir sur les prix en allégeant les normes et la fiscalité en centre-ville. Nous proposons de déclarer des moratoires locaux à chaque fois que ce sera nécessaire et de transformer les CDAC, aujourd'hui simples chambres d'enregistrement, qui deviendront des organes décisionnels armés d'études d'impact objectives pour accepter - ou non - de nouvelles implantations commerciales. Enfin, nous n'aurions pas bouclé ce dossier sans aborder la fiscalité des Gafa : nous proposons des mesures fiscales pour les mettre à contribution dans l'aménagement territorial et commercial du territoire.
Comment l'élu d'une petite ville peut-il s'y prendre pour engager une politique de revitalisation de centre-ville conformément à votre proposition de loi ?
Il faudra tout d'abord, sur la base d'une étude urbaine réalisée par des hommes de l'art, définir un périmètre Oser (opération de sauvegarde économique et de redynamisation, ndlr). Pour ce faire, sera proposé un cahier des charges type que les élus auront à disposition et qu'ils adapteront avec l'expertise d'un architecte ou d'un urbaniste.
Cette étude urbaine est essentielle, elle deviendra le canevas décrivant la centralité voulue par la ville, en posant avec force la question de l'esthétique. Car, en effet, le beau va avec la convivialité. Il ne faut pas avoir peur de débattre de ça avec les habitants, les commerçants, les professions libérales, pour produire un constat et un projet partagés.
L'étude urbaine, transposée dans le PLU, doit déboucher sur un projet de centre-ville. Alors on peut mobiliser l'Oser. Ensuite, toutes les opérations réalisées feront sens : elles ne seront pas décidées au coup par coup mais répondront à une cohérence d'ensemble de l'action urbaine, permettant de s'approcher de plus en plus de l'idéal type défini avec les architectes et urbanistes. Il est important d'inviter l'élu à avoir une vision de sa ville et de sa centralité.
Le financement de votre Pacte est basé sur une contribution pour la lutte contre l'artificialisation des terres. S'appliquerait-elle exclusivement aux nouvelles artificialisations ?
C'est le débat qu'on va avoir. Selon les décrets qui suivront la loi, il faudra veiller à ce que l'artificialisation des terres soit très fiscalisée. En droit français, il n'y a pas de rétroactivité. Par ailleurs, on est en train de voir juridiquement comment mobiliser le levier de la Tascom (taxe sur les surfaces commerciales, ndlr), qui pourrait être augmentée de 30% et allégée d'autant en centre-ville. C'est le maire ou le président d'EPCI qui, avec le périmètre Oser, décidera des baisses de fiscalité en centre-ville et d'une perception renforcée de la Tascom en périphérie.
Ces millions de mètres carrés ont été artificialisés au détriment de l'activité agricole, c'est catastrophique. Autour des villes, il faut du maraîchage, du bio, de l'économie circulaire, c'est pourquoi nous demandons que les chambres d'agriculture participent aux CDAC, afin de limiter la consommation de terres agricoles par les extensions commerciales.
Quelle en serait l'échelle d'application ? Ne risque-t-on pas l'apparition de comportements de "passagers clandestins", c'est-à-dire le refus par certains maires de jouer le jeu de l'Oser afin, justement, d'attirer des surfaces commerciales ?
Non, car la régulation par les CDAC permettrait de les refuser, à l'échelle du bassin de vie lui-même régulé par le Scot. Si les surfaces empiètent sur les terrains agricoles, si elles ne sont pas conformes au DAAC (document d'aménagement artisanal et commercial, ndlr) que nous voulons prescriptif, dès lors ces demandes d'implantation ne passeront pas. On aurait donc un contrôle départemental de l'aménagement commercial, ainsi qu'une réglementation et une harmonisation fiscale à l'échelle des bassins de vie. Le fruit de cette contribution pour l'artificialisation des terres devrait être perçu à l'échelle du bassin de vie.
Votre proposition de loi vise-t-elle à réinsérer l'aménagement commercial dans le cadre - pour ne pas dire dans le carcan - de l'urbanisme réglementaire classique ?
C'est bien le problème : l'urbanisme commercial est appréhendé depuis longtemps de manière indépendante de l'urbanisme, c'est-à-dire de manière libérale. Les pays qui ont fait le contraire (Allemagne, Royaume-Uni), avec des régulations sur le commerce, ont mieux réussi à garder leurs centres-villes. Pour aller dans ce sens, nous allons mobiliser le levier principal du DAAC renforcé, qui deviendra prescriptif et justifiera le refus par une CDAC d'un centre commercial jugé inapproprié au regard de l'occupation des sols.
L'inspiration européenne se ressent fortement dans votre proposition de loi. Se dirige-t-on vers un modèle européen de l'aménagement du centre-ville ?
C'est un choix de société, et derrière, un choix de civilisation. Les Allemands ont instauré au début du XXe siècle une politique d'urbanisme extrêmement exigeante. Comme l'hypermarché était une invention française qui s'est exportée dans le monde entier, on a pensé revitaliser des bassins industriels avec des grandes surfaces. On a obtenu l'effet inverse : ça n'a pas réglé le problème de l'emploi et des services. Nous pouvons nous inspirer des initiatives voisines, tout en gardant la spécificité culturelle locale.
Que pensez-vous des foncières locales pour renforcer les structures d'animation commerciale ?
La fonction du manager de centre-ville est centrale pour mobiliser les commerçants.
Pour ce qui est d'une foncière locale, il faut y réfléchir mais je me vois mal demander à un notaire ou un médecin d'investir dans une foncière alors même qu'ils n'hésitent pas à se délocaliser en périphérie pour profiter de coûts fonciers et immobiliers plus bas. Je pense qu'il faut privilégier l'action des établissements publics fonciers, qui font un travail formidable.
LES PRINCIPALES MESURES DU PACTE NATIONAL DE REVITALISATION DES CENTRES-VILLES ET CENTRES-BOURGS
La première proposition est la définition d'un centre-ville instituant
l'opération de sauvegarde économique et de redynamisation (Oser).
Il s'agit ensuite de renforcer l'attractivité des locaux de centre-ville, à commencer par une dynamique forte de rénovation du bâti (
réduction des normes, allégements fiscaux), tout en limitant le départ des services publics en périphérie. Une agence nationale des centres-villes serait créée sur le modèle de l'Anru.
Afin de moderniser le commerce de détail, les sénateurs proposent la
rénovation du Fisac (Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce) “qui a fondu comme neige au soleil au cours des dernières années” : abondé par une
contribution pour la lutte contre l'artificialisation des terres, ce nouveau Fisac pourrait financer l'accompagnement de la digitalisation des commerçants par crédit d'impôt, la formation des managers de centre-ville, ou encore le déploiement prioritaire du très haut-débit en périmètre Oser. Ce Fisac renforcé permettrait par ailleurs de créer un
fonds de garantie pour sécuriser les bailleurs face aux loyers commerciaux impayés, tandis que seraient revues les conditions d'expérimentation de nouveaux contrats locatifs (une redevance proportionnelle au chiffre d'affaires est évoquée) ainsi que les modalités de transmission d'entreprises.
Le
droit de l'aménagement commercial constitue sans doute le front le plus ambitieux de cette proposition de loi. Pour tourner la page de ce que Rémy Pointereau décrit comme “l'échec complet du fonctionnement des CDAC, qui ont autorisé 90% des projets commerciaux soumis lors des dernières années”, les sénateurs proposent d'associer de manière consultative, dans la composition des CDAC, les CCI, les CMA et les chambres d'agriculture, ainsi que les associations de commerçants et les managers de centres-villes lorsqu'ils existent.
Le seuil d'autorisation d'implantation commerciale, hors d'un périmètre Oser, serait réduit de 1.000 à 400 m² (comme à Paris actuellement), tandis que les locaux de stockage du commerce électronique seraient soumis à autorisation, ce qui n'est pas encore le cas.
Dans les Scot, le document d'orientation et d'objectifs (DOO) comprendrait obligatoirement un
document d'aménagement artisanal et commercial (DAAC) doté d'une valeur opposable : les autorisations commerciales seraient dès lors “conformes” et non plus seulement “compatibles” au DOO. “Le demandeur devra produire une
analyse d'impact sur l'aménagement du territoire,
réalisée par un organisme indépendant, et démontrer notamment qu'aucune friche commerciale existante ne permet l'accueil du projet envisagé”.
Afin de
rééquilibrer la fiscalité en faveur des centres-villes, les sénateurs entendent bien rebattre les cartes. D'une part, la
contribution pour la lutte contre l'artificialisation des terres, mesure financière principale du Pacte taxant la consommation d'espace, ainsi qu'une
taxe sur les livraisons liée au commerce électronique, mesurée à la distance routière (kilomètres parcourus entre le dernier lieu de stockage et le point de livraison) renforceraient la fiscalité en périphérie, afin d'inciter les acteurs de la grande distribution et de l'e-commerce à développer des plateformes logistiques et commerciales de proximité. De l'autre, les surfaces commerciales de centre-ville, en périmètre Oser, pourraient être partiellement
exonérées de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), tandis que
l'impôt sur les bénéfices des entreprises de moins de vingt salariés serait supprimé pendant 5 ans, pour être réintroduit progressivement lors des trois années suivantes.