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Interview - André Marcon : la responsabilité des élus est de dessiner ce que sera leur centre-ville dans dix ans

A la demande du ministre de la Cohésion des territoires, le Président honoraire de la CCI France, André Marcon, a animé une mission prospective sur la revitalisation commerciale des villes petites et moyennes, dont le rapport a été remis au ministre le mois dernier (voir notre article du 16 mars). Réunissant des représentants du monde du commerce, cette mission a établi 34 mesures visant avant tout à la responsabilisation des acteurs de la revitalisation des centres-villes. A la veille de la diffusion d'une circulaire sur le plan Action Coeur de ville et de la présentation d'une proposition de loi sénatoriale sur les centres-villes (voir notre article de ce jour), André Marcon est revenu pour Localtis sur les mesures proposées dans son rapport, au regard notamment des dispositions législatives qui s'esquissent dans le projet de loi Elan.

Localtis - Comment s’inscrivent vos propositions dans le débat actuel sur la revitalisation des centres-villes ?
André Marcon - L’opération Cœur de ville était déjà décidée quand nous avons commencé à travailler. Je souhaite que les moyens conséquents consacrés à ce plan soient engagés de façon efficiente, notamment dans l’habitat qui demande le plus de moyens. On nous a questionnés en tant que commerçants, et en tant que tels, nous estimons que la priorité n’est pas à la revitalisation du commerce. Il est plus urgent de ramener d’abord la population en centre-ville, ensuite seulement les commerçants pourront faire leur travail.
C’est pourquoi nous assumons une attitude offensive et non défensive. Le problème est ancien, depuis 40 ans les citoyens se sont détournés des centres-villes pour des questions de rythme de vie, en grande partie parce que l’accès au commerce était plus facile dans les surfaces de périphérie que dans les centres-villes. Ce n’est pas en leur disant qu’ils avaient tort qu’on va les faire revenir, au contraire il faut se pencher sur ce que vont être les habitudes de consommation de demain. On le voit bien, il y a une forte volonté de populations de vivre en milieu aggloméré, d’avoir des services à disposition et de ne pas perdre de temps dans les transports. Il importe aux citoyens de profiter d’une convivialité que l’on a perdue dans des milieux très dispersés de la périphérie, où les espaces de rencontre sont rares.
Pour rendre les centres-villes plus attractifs, il est important de construire ces nouveaux lieux agglomérés en répondant aux attentes de la population sur trois points : une offre d’habitat d’un standard convenant à l’essentiel de la population, une excellente accessibilité pour les personnes et les marchandises, et enfin une certaine convivialité qui caractérise la vie dans la cité.

Vous insistez, dans vos propositions, sur la formation des élus : pouvez-vous expliquer comment ils peuvent monter en compétence, et sur quels points ils sont particulièrement attendus ?
Les élus doivent gagner en solidarité et en transversalité. Je parle au nom de tous les maires en considérant que nous fonctionnons encore beaucoup trop en silo. Nous ne sommes pas ancrés dans un esprit collaboratif au sein de nos EPCI : la commune centre et les communes périphériques décident chacune isolément leurs politiques sans se soucier de ce que font les autres. Il faut comprendre que la commune centre est le faire-valoir d’un territoire : si elle est malade, c’est l’ensemble du territoire qui en souffre. Il faut jouer collectif : c’est le premier point de la formation des élus.
On retrouve cette gestion segmentée des problèmes du centre-ville avec, dans chaque territoire, une personne qui s’occupe de l’habitat, une autre des transports, une autre encore du commerce. Si l’on veut être efficace, il faut que les élus soient formés aux enjeux de la transversalité afin d’assurer un pilotage efficace de leur ville. Il en va de même pour les managers de centre-ville qui, en dépit de leur excellent travail, s’occupent essentiellement du commerce : nous souhaitons les former plus complètement afin qu’ils aient la main sur l’habitat, les transports, l’évènementiel, qu’ils deviennent en fin de compte de vrais managers à l’image des managers de centres commerciaux.

Quelle est votre position quant à un moratoire comme proposé dans le projet de loi Elan ?
Nous l’avons dit au ministre de la Cohésion des territoires Jacques Mézard : selon nous, cette mesure s’adresse aux maires qui ne prennent pas leurs responsabilités. Les élus ont tous les moyens de maîtrise sur l’aménagement commercial et ils doivent les mobiliser, c’est le sens de notre message offensif : il ne s’agit pas d’empêcher mais de permettre.
Souvent, des cas justifient qu’il faut arrêter de construire : pour cela il suffit d’une décision de l’EPCI sur un périmètre donné. La jurisprudence européenne du 31 janvier 2018 le dit très clairement.
J’ai la même conviction pour l’ouverture des commerces le dimanche, qu’il faut laisser au bon vouloir des gérants. Nous avons beaucoup de remontées de commerçants qui, dans un premier temps, y étaient absolument opposés, et qui maintenant réclament ce droit : c’est le dimanche, nous disent-ils, qu’il y a de la clientèle.

Certains proposent de soumettre les projets de création de nouvelles surfaces commerciales, lors de leur examen en CDAC, (commission départementale d'aménagement commercial) à une étude d’impact confiée à un expert indépendant. Qu’en pensez-vous ?
Encore une fois, les maires ont actuellement les pouvoirs de décider ce qu’ils veulent pour leurs territoires pour les années à venir. Je rappellerai que les CCI ont réalisé ce travail très longtemps et qu’elles le réalisent encore. A quoi bon faire des systèmes coercitifs ? Imaginons plutôt comment relier plus efficacement les centres commerciaux et les centres-villes.

Quel peut être le rôle des consulaires à l’avenir, dans la revitalisation des centres-villes ?
Les chambres consulaires ont été créés pour régler le problème des commerçants dans les ports, dans lesquels il n’existait aucune régulation du commerce. Les chambres ont toute légitimité pour animer ce processus, en mettant leurs connaissances à la disposition des échelons territoriaux qui sont à la manoeuvre : la région, l’intercommunalité, la commune.
Elles ont également un rôle à jouer en tant que forces de proposition et organismes de formation ou d’animation pour le tissu commercial.

A l’heure de l’alliance entre Amazon et Monoprix, comment les commerçants indépendants peuvent-ils eux aussi tirer parti des opportunités du digital pour stimuler leur activité ?
Le développement exponentiel de l’e-commerce pose un véritable problème social, car il n’est pas encore soumis à la captation de la taxe sur la valeur ajoutée. Le transport et la livraison du produit ne rapportent pas à notre pays, c’est 20% du produit et des services rendus qui échappent à la fiscalité et pénalisent d’autant notre modèle de société. J’ai demandé à l’Inspection générale des finances de trouver des solutions pour ça. Il s’agit néanmoins d’une nouvelle façon de consommer, désormais acquise, avec laquelle il faut composer.
Quelle peut être la valeur ajoutée, dans un tel système commercial, pour un commerçant de centre-ville ? Il peut tout d’abord devenir un pratiquant du click and collect : le client commande à l'avance son produit en naviguant sur le site internet du commerce, puis se rend en magasin pour le récupérer. A plus long terme, le commerçant indépendant peut devenir un tiers de confiance du client en assurant un service très personnalisé : conseiller les clients dans les gammes de produits disponibles en ligne, assurer la livraison des commandes puis le service après-vente. A ce stade, le commerçant n’aura plus besoin de stockage et ne sera plus confronté au problème régulier de réduction des stocks avec des soldes : il travaillera à flux constants.
De nombreux commerçants sont déjà positionnés sur le net sur des niches étroites, y compris en milieu rural. Je suis convaincu que ce sera bientôt la norme.

Certains experts estiment qu’il faut accepter la contraction du commerce de centre-ville, et assumer la réduction du linéaire commercial. Qu’en pensez-vous ?
Je suis d’accord : la responsabilité des élus est de dessiner ce que sera leur centre-ville dans dix ou quinze ans. Ils n’ont pas forcément raison mais ils se doivent de l’imaginer. Dessiner, cela signifie choisir : il faut soutenir les rues qui ont le plus de commerces et non l’inverse. Plus on aura des artères performantes, plus on pourra diffuser par capillarité. Dans la plupart des cas, ces décisions vont de soi : lorsque sur un rond-point de périphérie s’installent une boulangerie, puis une clinique vétérinaire, car le terrain est peu cher et que la fréquentation est bonne, on casse la dynamique de convivialité du centre-ville, alors qu’il faudrait la soutenir.

Sur les quatre volets d’intervention proposés dans votre rapport - gouvernance, urbanisme, animation, innovation - où est la priorité ?
Le plan Cœur de ville, à mon sens - et cela n’engage que moi -, n’est pas fait pour les villes sinistrées, il est fait pour des villes qui ont déjà travaillé et qui ont des espaces de développement possible. En ce sens, c’est la gouvernance qui doit constituer la priorité.
Dans notre pays, on tend à secourir tous ceux qui souffrent, au risque de ne soigner personne. Je crois beaucoup plus en l’effet locomotive. Une ville qui fonctionne pourra inspirer les villes alentours.
Dans notre rapport, nous soulignons trois points importants. Il faut d’abord que la ville procède à un diagnostic solide et partagé avec les acteurs de terrain, qui dépasse le simple échange entre les élus et un bureau d’étude. Ensuite, les intentions doivent être transcrites dans un plan stratégique validé par l’intercommunalité, qui engage l’ensemble des communes et de leurs acteurs. Nous disons donc qu’il ne faut pas soutenir financièrement les villes qui n’ont pas encore fait cet effort d’appréciation et de consolidation de leur situation. Enfin, des élus compétents et des managers formés doivent former les bases d’une gouvernance professionnelle, c’est-à-dire partagée avec les acteurs de terrain.