"Marseille en grand" : "Un défaut de cohérence d'ensemble"

Insuffisances structurelles, mauvaise formalisation des objectifs, gouvernance et coordination à revoir entre les parties prenantes, au premier rang desquelles les collectivités territoriales et leurs groupements... Le rapport de la Cour des comptes consacré à "Marseille en grand", le plan lancé par Emmanuel Macron en 2021 pour rattraper les retards de la deuxième ville de France, pointe de sérieuses lacunes et alerte sur des financements non garantis.  

Trois ans après son lancement par Emmanuel Macron, le plan "Marseille en grand" fait l'objet d'un rapport sévère de la Cour des comptes publié ce lundi 21 octobre. Absence de cadre contractuel formel, gouvernance inadaptée, cohérence insuffisante du plan d'action, financements non garantis... le plan présente, selon la Cour des comptes, "un défaut de cohérence d'ensemble", même si ses mesures répondent "effectivement" à des besoins importants du territoire.  Conséquence : ce plan avance très lentement et fin 2023, seulement 1,31% du montant total annoncé - plus de 5 milliards d'euros - avait été décaissé par l'État.

Rattraper les retards historiques de la deuxième ville de France 

Ce plan était présenté comme un engagement de l'État en faveur de Marseille et de sa métropole comme un "contrat d'ambition" au service de l'amélioration du cadre de vie des Marseillais. Rénover les écoles insalubres et expérimenter "l'école du futur", développer les transports en commun sur un territoire qui n'a que deux lignes de métro pour plus de 870.000 habitants, réduire la fracture géographique et sociale entre les quartiers nord et sud, renforcer les effectifs de police : destiné à rattraper les retards historiques de la deuxième ville de France - dont certains quartiers sont les plus pauvres d'Europe -, ce plan se voulait "exceptionnel" par son montant et son contenu. Or, estime la Cour, "la réalité du caractère exceptionnel et global du plan Marseille en grand mérite d'être nuancée".  

"Sans concertation préalable avec les acteurs"

"Conçu de manière précipitée" et "sans concertation préalable avec les acteurs", le plan présenterait "un défaut de cohérence d'ensemble". Les politiques mises en oeuvre à travers ce plan sont assurées par une grande diversité d'acteurs (région Provence-Alpes-Côte d'Azur, département des Bouches-du-Rhône, métropole Aix-Marseille-Provence, ville de Marseille et opérateurs). L'intervention de ces divers acteurs confère "une complexité au plan" qui aurait dû être prise en compte dans la définition de ses modalités de gouvernance. D'ailleurs, l'exécutif avait exigé que l'effort financier de l'État soit précédé d'une réforme de l'organisation des administrations locales, analysée comme un obstacle au développement de la métropole. De fait, "le plan a été mis en oeuvre malgré le caractère inabouti de la réforme métropolitaine, présentée comme une condition préalable", pointe la Cour. Bien que la gouvernance métropolitaine ait été réformée par la loi, la réforme des relations financières entre la métropole et ses communes membres n'a pas été engagée.

De plus, le plan Marseille en grand souffrirait d'un défaut de formalisation, son contenu ne s'appuyant sur aucun cadre contractuel, du fait de la réticence des collectivités territoriales, affirme le rapport. En fait, le plan "ne s'appuie sur aucun autre document que la transcription du discours du président de la République" du 2 septembre 2021. "Par conséquent, les objectifs du plan ne sont pas explicités et ne peuvent qu'être déduits de la nature des mesures proposées", constate la Cour. 

Une chance pour les Marseillais ? 

Toutefois, "ce plan est une chance pour les Marseillais", a nuancé la présidente de la chambre régionale des comptes Provence-Alpes-Côte d'Azur, Nathalie Gervais, lors de la présentation à la presse, relevant notamment "des résultats avec les premières livraisons d'écoles", neuves ou rénovées. À peu d'exceptions près, les mesures du plan répondent "effectivement" à des besoins importants du territoire. En matière d'éducation par exemple, la Cour estime que le plan "se concentre sur l'expérimentation de nouvelles modalités d'organisation pédagogique et l'amélioration du parc d'écoles publiques via des opérations de construction, reconstruction ou réhabilitation, mais n'intègre aucune mesure spécifique visant à répondre aux causes de l'échec scolaire".

Idem concernant le logement : "Les mesures ne portent que sur la résorption des logements dégradés, au détriment de la lutte contre la ségrégation résidentielle ou la production de logements sociaux." Côté transports, comme l'ont déjà clamé de nombreux acteurs locaux, les 15 projets prévus par le plan "ne répondent que partiellement à l'objectif affiché de l'État de désenclaver les quartiers nord" qui ne bénéficient d'aucune liaison directe avec le centre-ville.

Sur l'emploi, les mesures se limitent à "l'entrepreneuriat des jeunes des quartiers défavorisés" sans prendre en compte "la diversité des publics concernés par les difficultés d'accès à l'emploi".

Des financements non garantis

Au final, du fait de l'insuffisance de la gouvernance et des moyens de pilotage et de suivi, "le plan mêle, sans les distinguer, des mesures d'urgence et des projets de développement à long terme", pointe la Cour. "Malgré l'urgence de la situation marseillaise, le déploiement du plan s'inscrit dans le cadre du droit commun et aucune procédure dérogatoire n'a encore été décidée." 

De fait, les principaux financements demeurent soumis aux règles d'engagement usuelles et aux délais d'instruction associés. La Cour rappelle que la garantie d'une satisfaction rapide des besoins prioritaires passe par une meilleure distinction entre les mesures d'urgence, qui doivent bénéficier de modalités de mise en oeuvre exceptionnelles ou dérogatoires, et les projets de plus long terme.

Dans leurs réponses à la Cour, État, mairie et métropole se renvoient la balle, les services du Premier ministre soulignant une "absence de consensus entre acteurs locaux" et l'incapacité "des collectivités locales à adhérer à l'ambition du plan".

Rédigé avant le changement de gouvernement, le rapport de la Cour soulignait déjà que, faute de "formalisation" du plan, "certains de ses financements n'ont fait l'objet d'aucun engagement juridique et ne sont donc pas garantis".

Un constat dépassé ?

Le nouveau ministère des Relations avec les territoires et de la Décentralisation a tenu ce 21 octobre à faire connaître sa réponse au contenu de ce rapport. Tout d'abord pour considérer que le plan "apporte depuis trois ans une réponse forte face à des carences anciennes et des retards importants dans le développement des services". Et souligner que le rapport de la Cour "est une photographie des entretiens conduits au deuxième semestre 2023, qui ne reflète plus la situation actuelle".

"Les services préfectoraux sont pleinement engagés pour suivre de près l’avancement des projets, dont la maîtrise d’ouvrage est partagée entre les collectivités et l’État", assure le ministère de Catherine Vautrin, qui estime que "l'absence de centralisation de la décision" pointée par la Cour est précisément "adaptée à la nature même du plan" : "Il n’y a pas de contrat global ; le plan Marseille repose sur plusieurs contractualisations autour des différentes thématiques. Des protocoles sectoriels ont ainsi été signés indépendamment pour chaque thématique, permettant de s’appuyer autant que possible sur des instances existantes, afin d’éviter un millefeuille administratif."

Enfin, le ministère constate que "90% des mesures sont engagées", avec des résultats "déjà visibles", qu'il s'agisse notamment de police et de justice (renforcement des moyens et des effectifs), d'éducation (livraison de six premières écoles à la rentrée 2024 et quatre supplémentaires d’ici la fin de l’anné) ou de mobilités (cinq projets en cours de finalisation, dont la ligne 4 du bus à haut niveau de service).