Gestion locale - Marchés publics d'assurances : des zones d'ombre demeurent
Le nouvelle référence en matière de marchés des assurances apporte des éclaircissements sur la résiliation avec préavis, la possibilité d'émettre des réserves, la coassurance ou encore le rôle des intermédiaires. Pour autant la circulaire publiée le 10 avril 2008 qui abroge et remplace la circulaire du 18 décembre 2001 laisse les praticiens sur leur faim sur un certain nombre de points : la procédure négociée est absente, le prix provisoire aurait pu trouver une place de choix, la question des groupements d'opérateurs n'a pas été abordée... Bref, le texte réglementaire n'a pas suffisament pris en compte la spécificité des marchés des assurances.
Points positifs...
Parmi les éléments jugés "positifs" figurent des précisions concernant la durée du marché. La circulaire rappelle que le contrat peut prévoir un simple terme définitif, avec option de résiliation par chacune des parties sans pénalité. Pour Pascal Antoine, directeur d'Audit assurances, qui préside la commission "collectivités publiques" du Syndicat des auditeurs et consultants en risques et assurances (Sacra), cette voie permet de contourner la "reconduction expresse" qui pose un véritable problème. En effet, lorsqu'une collectivité oublie de reconduire son contrat, elle se retrouve sans assurance. "La résiliation avec préavis est une faculté qui doit être utilisée par les collectivités", préconise Stéphane Rozzi. Avec la bénédiction de la préfecture, le directeur des affaires juridiques de la ville de Nancy a déjà utilisé avec succès cette astuce pour les contrats de sa collectivité et en tire un bilan convaincant.
Un autre point positif est la possibilité qu'ont les assureurs d'émettre des réserves. "Cela permet malgré les contraintes de l'appel d'offres d'obtenir des conditions de qualité et des réponses homogènes - donc comparables - de la part des candidats", observe Pascal Antoine.
Le rappel sur la coassurance est lui aussi bienvenu, estime Stéphane Rozzi. "Les contrats de coassurance peuvent être proposés aux acheteurs publics par des groupements conjoints d'assureurs, à condition que le pouvoir adjudicateur ait expressément prévu la possibilité d'une coassurance", affirme la circulaire. Ainsi, la collectivité assume-t-elle de plein gré tous les avantages de la coassurance et ses inconvénients, lesquels se manifestent notamment lorsque l'un des assureurs non solidaires se retire du groupement.
Le responsable du pôle commande publique de la communauté d'agglomération de Metz, Yves Nicloux, juge "intéressantes" les dispositions de la circulaire sur le rôle des intermédiaires, en particulier le rappel de l'impossibilité pour un assureur de se faire représenter par plusieurs intermédiaires. "Les collectivités doivent le spécifier en gras dans leurs appels d'offres", conseille-t-il.
... et regrets
A l'exception de ces quelques points, les déceptions sont nombreuses. Directrice des affaires juridiques et des marchés au conseil général d'Indre-et-Loire, Patricia Bonamy aurait souhaité des précisions sur la procédure négociée. Le Code des marchés publics (CMP) autorise à l'article 35 le recours à ce type de procédure pour les marchés de services financiers, dont font partie les marchés d'assurances. Mais seulement "lorsque la prestation de services à réaliser est d'une nature telle que les spécifications du marché ne peuvent être établies préalablement avec une précision suffisante pour permettre le recours à l'appel d'offres". La difficulté avec un tel énoncé est de savoir a priori quelle sera l'interprétation du juge. Certains contrats d'assurance des collectivités parmi les plus importants, comme les contrats d'assurance dommages aux biens qui couvrent un patrimoine immobilier souvent très disparate, sont par nature complexes. Pour être optimale, leur conclusion nécessite d'être précédée d'une phase de négociation. Pour Patricia Bonamy, il aurait été précieux pour les praticiens que la circulaire lève toute ambiguïté en précisant dans quelles circonstances en matière d'assurance la condition de l'article 35 du CMP était remplie. Or, il n'en est rien.
Pour elle, la question des prix reste également sans réponse. "Dans le CMP, le prix provisoire est exceptionnel sauf pour les marchés de maîtrise d'oeuvre, rappelle-t-elle. Le prix est réputé être définitif sur toute la durée du contrat." Or, il est arrivé que des assureurs résilient unilatéralement le contrat d'un client qui présentait de mauvais résultats en termes de sinistralité sans aucune possibilité de discussion pour prolonger le contrat même sous la condition d'une réévaluation du taux de prime. La responsable des affaires juridiques attendait donc de la circulaire qu'elle aide les professionnels concernés à sortir de ce type de difficultés.
Le directeur d'Audit assurances concentre ses critiques sur le fait que la circulaire interdit les groupements d'opérateurs économiques. Certains assureurs ont pris l'habitude de participer à plusieurs groupements - sans en être les représentants. Dans les faits, ils remettent plusieurs offres. Pour Pascal Antoine, les assureurs concernés pourraient désormais s'abstenir de toute offre plutôt que de privilégier un intermédiaire à un autre et de faire des mécontents. La situation peut, selon lui, nuire à la concurrence, alors que celle-ci est déjà jugée insuffisante par beaucoup sur le marché de l'assurance des collectivités.
Autre difficulté, l'obligation découlant de l'article 51 du CMP de constituer un groupement d'opérateurs économiques à la date du dépôt des offres rend "délicate" la couverture des risques difficiles. "Cette obligation réglementaire, d'une part est contraire aux usages de la profession et d'autre part crée des effets pervers d'entente entre les candidats dans la mesure où le marché de l'assurance est oligopolistique", fait remarquer l'expert. Dernier regret : le texte ne dit pas si les acheteurs peuvent réellement accepter des réserves émises par les candidats sur la solution de base du cahier des charges de l'appel d'offres.
De son côté, Yves Nicloux estime qu'un tableau récapitulant les nombreuses taxes s'appliquant aux contrats d'assurance aurait été utile : "Il y a un grand flou à ce sujet."
... en attendant le guide
Si la circulaire n'est peut-être pas toujours aussi précise et claire que certains l'auraient souhaité, c'est qu'elle renvoie au "guide des bonnes pratiques" qui sera diffusé prochainement par l'Observatoire économique de l'achat public. Un document qui doit constituer, en particulier pour les petites communes, "un outil d'aide à l'expression des besoins, la passation et l'exécution des marchés publics d'assurances".
Les responsables territoriaux espèrent que ce guide leur apportera une véritable aide car les marchés publics d'assurances demeurent complexes et spécifiques. L'une des raisons principales des difficultés tient à l'existence de deux codes : celui des assurances, à valeur législative, et celui des marchés publics, de nature réglementaire. Le souci étant d'articuler les deux. "Les assureurs ne font pas souvent attention aux pièces des marchés. Si on était vraiment formaliste, il faudrait à chaque fois déclarer les marchés infructueux. Heureusement, le contrôle de légalité est bienveillant", conclut Yves Nicloux .
T.B. / Projets publics
Référence : circulaire du 24 décembre 2007 relative à la passation des marchés publics d'assurances publiée au Journal officiel du 10 avril 2008.
Voir dans les archives de Localtis : "Une compagnie d'assurances ne peut pas présenter plusieurs offres pour un même marché", 24/09/2004 ; "Comment conclure un marché public d'assurance ?", 01/10/2004 ; "Collectivités locales et assurance", 07/01/2003.