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Terrorisme - Manuel Valls a le champ libre pour ses mesures anti-terroristes

Manuel Valls entend prendre des "mesures exceptionnelles" mais non "d'exception" pour lutter contre le terrorisme. Une façon de jouer sur les mots quand il est à nouveau question d'un renforcement du contrôle sur internet, deux mois à peine après la loi du 13 novembre 2014. Au-delà des mesures sécuritaires qu'il a déroulées, mardi, devant une Assemblée conquise, une grande réunion se tiendra à Matignon le 22 janvier pour un travail "en profondeur". François Baroin (AMF) sera par ailleurs reçu le 16 janvier place Beauvau pour évoquer la protection de la police municipale.

L'ovation suscitée par son discours de quarante minutes, mardi 13 janvier à l'Assemblée, donne à Manuel Valls les coudées franches pour mettre en place sa politique antiterroriste. "Oui, la France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l'islamisme radical", a-t-il martelé. "Avec détermination, avec sang-froid, la République va apporter la plus forte des réponses au terrorisme, la fermeté implacable dans le respect de ce que nous sommes, un Etat de droit."
Plusieurs élus, notamment la députée UMP des Yvelines Valérie Pécresse, sont montés au créneau pour réclamer un Patriot Act (votée à la suite des attentats du 11 septembre 2001, cette loi américaine a notamment autorisé les écoutes téléphoniques, la surveillance des emails et permis d'incarcérer sans procès des suspects à Guantanamo), mais Manuel Valls a pris quelques précautions vis-à-vis de sa gauche : "A une situation exceptionnelle doivent répondre des mesures exceptionnelles, mais jamais des mesures d'exception qui dérogeraient au principe du droit et des valeurs", a-t-il affirmé.

Contrôle d'internet

Qu'en est-il exactement ? Comme après chaque attentat depuis 1986, une nouvelle loi sera préparée. Ce sera d'ailleurs la troisième depuis le début du quinquennat après celle du 21 décembre 2012 "relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme", prise à la suite de l'affaire Merah, et celle du 13 novembre 2014 "renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme" découlant, elle, de l'attentat contre le musée juif de Bruxelles. Cette fois-ci, il s'agira d'une loi sur les services de renseignement qui vont entre-temps recevoir 432 emplois en renfort. "Un prochain projet de loi, quasiment prêt, visera à donner aux services tous les moyens juridiques pour accomplir leurs missions tout en respectant les grands principes républicains de protection des libertés publiques et individuelles", a ainsi précisé Manuel Valls, soulignant le fait que la France est "l'une des dernières démocraties occidentales à ne pas disposer d'un cadre légal cohérent pour l'action des services de renseignement". Le texte s'inspirera du rapport de Jean-Jacques Urvoas sur l'évolution du cadre juridique des services de renseignement. Il comprendra également des mesures sur le contrôle d'internet et des réseaux sociaux "qui sont plus que jamais utilisés pour l'embrigadement, la mise en contact et l'acquisition de techniques permettant de passer à l'acte". Les ministres de l'Intérieur, de la Défense et de la Justice s'y attèleront. Le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll a précisé mercredi qu'ils présenteront leurs mesures dès le Conseil des ministres du 21 janvier, afin qu'elles puissent être intégrées au projet de loi sur le renseignement. Dans une communication en Conseil des ministres, le 14 janvier, les trois ministres estiment d'ores et déjà que "le partenariat avec les grands opérateurs de l'Internet" sera "indispensable pour créer les conditions d'un signalement rapide des contenus incitant à la haine et à la terreur, ainsi que de leur retrait". "L'Union européenne constitue un cadre pertinent pour ce partenariat et un dialogue structuré doit rapidement y être entrepris", ajoutent-ils.
A noter que la loi du 13 novembre 2014 a déjà élargi les possibilités de contrôle d'internet puisque, désormais, l'autorité administrative pourra d'elle-même, sans passer par le juge, demander à un fournisseur la fermeture d'un site.

Nouvelle affaire Dieudonné

Le renforcement du contrôle sur internet est l'un des chevaux de bataille du Premier ministre qui, déjà l'an dernier, avait fait de la lutte contre "la cyberdélinquance idéologique" l'une de ses priorités pour 2014. En pleine affaire Dieudonné, il n'avait d'ailleurs pas hésité à dresser le parallèle entre "activités terroristes" et ce qu'il avait appelé le "degré latent de haine" sur internet. Devant les députés, Manuel Valls s'en est une nouvelle fois pris vivement à l'humoriste, sans le citer, demandant à la Justice d'être implacable "avec les prédicateurs de la haine". La réponse ne s'est pas fait attendre puisque Dieudonné était placé en garde à vue, mercredi matin, pour "apologie de terrorisme" après qu'il eut diffusé un message sur Facebook, le soir de la marche du 11 janvier (retiré quelques minutes plus tard), dans lequel il disait se sentir "Charlie Coulibaly". Depuis la loi de novembre 2014 l'apologie de terrorisme sur internet est passible de sept ans de prison et de 750.000 euros d'amende... Comme l'an dernier, de nombreux maires (Strasbourg, Nice, Limoge, Metz…) ont manifesté leur volonté d'interdire la venue dans leur ville de Dieudonné qui est en tournée depuis le 27 décembre.

Lutte contre la radicalisation

Par ailleurs, le Premier ministre a annoncé que la plateforme de contrôle française des données de passagers suspectés d'activités criminelles (système PNR) serait opérationnelle "dès septembre 2015". "Il reste à mettre en place un dispositif similaire au niveau européen", a-t-il précisé, appelant le Parlement européen à s'en saisir.
Une nouveau ficher sera créé sur les terroristes condamnés à des faits de terrorisme ou ayant intégré des groupes de combat terroristes. Ils auront l'obligation de déclarer leur domicile et de se soumettre à des obligations de contrôle.
En ce qui concerne la lutte contre la "radicalisation", notamment en milieu carcéral, Manuel Valls souhaite professionnaliser les activités "des imams comme des aumôniers de tous les cultes". Par ailleurs, sur la base de l'expérimentation actuellement menée à la prison de Fresnes, des quartiers spécifiques seront créés pour les islamistes radicaux. Dans une communication en Conseil des ministres, le 14 janvier, le gouvernement indique par ailleurs que "la plateforme de signalement mise en place par le ministère de l'intérieur dans le cadre du plan d'action contre la radicalisation est particulièrement sollicitée par les familles". "Les dispositifs de suivi et de réinsertion des personnes radicalisées (mis en place avec les collectivités, ndlr) seront renforcés, en sollicitant davantage le Fonds interministériel de prévention de la délinquance", comme le prévoit la dernière circulaire d'utilisation de ce fonds. Enfin, les éducateurs de la Protection judiciaire à la jeunesse (PJJ) seront formés à la détection et à la prise en charge de la radicalisation.
Manuel Valls a aussi évoqué le décret sur la mesure d'interdiction de sortie du territoire (prévu pour empêcher les candidats au djihad de quitter le territoire). Celui-ci a aussitôt été présenté en Conseil des ministres, ce 14 janvier. Il s'agit de mettre en application une des dispositions de la loi du 13 novembre 2014.

Une réunion à Matignon le 22 janvier

Au-delà des mesures sécuritaires, un grand défi attend les pouvoirs publics : ressouder une nation divisée malgré l'image de l'union sacrée de ces derniers jours. Une réunion se tiendra le 22 janvier pour un "travail plus en profondeur, à la fois sur la question éducative, sur les grandes questions posées sur le vivre ensemble et la société et l'ensemble de la politique de la ville", a déclaré Stéphane Le Foll, à l'issue du Conseil des ministres. Un champ que les élus n'entendent pas abandonner. "Nous, maires, incarnons le contact direct. Nous pouvons aider au vivre ensemble, et c'est ce que les citoyens attendent de nous. Nous sommes conscients de la tâche qui nous attend, en particulier dans nos quartiers dits 'sensibles", a déclaré Caroline Cayeux, la présidente de Ville de France (ex-Villes moyennes), mardi, lors de la présentation des vœux de l'association, au Sénat. Invité d'honneur de ces vœux, François Baroin, le nouveau président de l'Association des maires de France (AMF) a appelé à une réflexion sur la police municipale et la question de son armement (sur le sujet voir aussi encadré ci-dessous).
Mais derrière les incantations sur le "vivre ensemble" (voire la "société inclusive") qui sonne de plus en plus creux aux oreilles d'une partie de la jeunesse, il y a la réalité crue. Celle notamment dépeinte par le député PS de l'Essonne Malek Boutih qui, dans Le Point du 13 janvier, ne mâche pas ses mots. "Au sein du PS, je serai désormais sans concession avec les élus corrompus qui passent des deals avec les voyous et les communautés par électoralisme. Il faut qu'on fasse le ménage dans nos rangs. Nous ne pouvons plus laisser prospérer les supermarchés de la drogue dans nos cités dont on voit qu'ils entretiennent des filières où gangsters et islamo-nazis se donnent la main." Des propos plutôt détonnants par rapport à ceux que tenaient le même jour les élus locaux membres de l'association Ville et Banlieue s'efforçant eux aussi d'analyser lucidement ce qui se vit dans les grands quartiers d'habitat social (voir ci-contre notre article du 13 janvier).
Sur ce terrain de la politique de la ville, on saura d'ailleurs que ce jeudi 15 janvier, les ministres Najat Vallaud-Belkacem et Patrick Kanner, ainsi que la secrétaire d'Etat Myriam El Khomri, rencontreront successivement les associations d'élus locaux puis les associations de l'éducation populaire et de la jeunesse. Et que le lendemain, rendez-vous est donné, par le ministre de la Ville et sa secrétaire d'Etat, aux têtes de réseau des associations politique de la ville.

Michel Tendil

François Baroin va rencontrer Bernard Cazeneuve sur la protection de la police municipale

François Baroin, président de l'Association des maires de France (AMF), va rencontrer, vendredi 16 janvier, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, pour discuter du financement de la protection de la police municipale, notamment la généralisation des gilets pare-balles.
"Nous allons discuter de la problématique spécifique des agents de police municipaux qui peuvent être des cibles sur le terrain pour des terroristes", a indiqué mercredi François Baroin devant l'Association des journalistes parlementaires.
Le sénateur-maire de Troyes (Aube) veut notamment discuter du co-financement par l'Etat de la généralisation "d'un certain nombre d'équipements, comme les gilets pare-balles", là où les polices municipales n'en sont pas encore équipées.
"Ce sont les maires qui décident d'armer leur police municipale ; ils adressent ensuite leur demande au préfet" qui les y autorise, a-t-il rappelé.
L'une des personnes tuées par Amédy Coulibaly était Clarissa Jean-Philippe, une policière municipale de Montrouge, âgée de 26 ans.
Parlant des attentats comme un "11 septembre à la française", François Baroin s'est dit cependant opposé à tout Patriot Act.
Il a jugé "possible un consensus politique sur les moyens mis à disposition des services de sécurité" et estimé que "la réflexion collective doit s'inscrire pas seulement le temps d'une semaine de deuil mais tout au long des mois qui viennent".
Pour "restaurer un certain nombre de barrages", sur la plan des valeurs, il a plaidé pour la mise en place d'une grande commission, comme la commission
(Bernard) Stasi sur la laïcité dans les années 2000, qui "auditionnerait tous les acteurs concernés sur les questions d'éducation et de formation".
AFP