Lutte contre les émissions du transport routier : l’UE à hue et à dia ?
À l’approche des élections, les institutions européennes sont en train de lâcher un peu de lest dans la lutte contre les émissions du transport routier. La commission Envi du Parlement européen plaide ainsi pour reporter l’entrée en vigueur des nouvelles normes Euro 7 et pour assouplir les conditions de tests. Les ministres de l’environnement viennent pour leur part de s’accorder sur un report de 5 ans de l’échéance des autobus neufs "zéro émissions". Ils entendent pour autant toujours atteindre, et même dépasser, l’objectif de réduction de 55% des émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici 2030, objectif que l’UE affichera à la COP28 de Dubaï.
"Assumons la nuance qui consiste à dire que la transition, ce n’est pas tout de manière immédiate, mais c’est un cap dont on ne dévie pas, avec la capacité, s’il le faut, de tirer un bord social parce qu’on est sur le point de rencontrer une difficulté démocratique", déclarait le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu le 12 octobre dernier, lors de la 33e convention d’Intercommunalités de France (voir notre article du 13 octobre). À l’approche des élections européennes, la doctrine semble partagée par les institutions européennes, qui sont en train de lâcher un peu de lest dans la lutte contre les émissions du transport routier.
Euro7 : un durcissement des normes…
C’est notamment ce qu’ont décidé les parlementaires européens de la commission ENVI ce 12 octobre, en se prononçant sur la refonte des règles concernant l'homologation et la surveillance du marché des véhicules à moteur (Euro 7). Le communiqué du Parlement européen laisse à penser que la commission a soutenu, voire durci, les mesures proposées par la Commission européenne, par ailleurs contestées par une majorité d’États membres, notamment sous l’impulsion de la France (voir notre article du 10 octobre). Il évoque ainsi le soutien apporté aux niveaux proposés par la Commission européenne pour les émissions d’échappement (oxyde d’azote, particules, monoxyde de carbone et ammoniac) des voitures particulières et l’adoption "de limites plus strictes pour les émissions d’échappement des bus et des véhicules lourds". Il met encore en avant l’introduction d’un passeport environnemental du véhicule (comprenant des informations sur la consommation de carburant, l’état de la batterie, les résultats des contrôles techniques…), des exigences de durée de vie plus strictes pour les véhicules, moteurs et systèmes de contrôle de la pollution ou encore l’obligation d’installer à bord des systèmes de surveillance de plusieurs paramètres, tels que les émissions d’échappement excessives, la consommation réelle de carburant/d’énergie et l’état de la batterie. Les députés revoient également les limites proposées par la Commission visant les émissions non liées à l’échappement – issues de l’abrasion des pneus ou des freins –, qui concerneraient tous les véhicules, y compris électriques, en les alignant sur celles élaborées par l’ONU. Ils plaident par ailleurs pour "des exigences de performance minimale renforcées pour la durabilité des batteries pour les voitures et fourgonnettes".
… en trompe-l’œil
Pour autant, l’analyse doit être fortement nuancée. D’une part, les députés ont reporté l’abrogation prévue des règlements actuellement en vigueur (Euro 6) au 1er juillet 2030 pour les véhicules légers (contre 2025 dans le texte de la Commission) et au 1er juillet 2031 pour les bus et camions (contre 2027). D’autre part, ils ont fortement assoupli les conditions d’essai. "La Commission européenne a proposé des limites strictes pour les émissions de démarrage à froid des camions – qui posent le problème le plus important – en particulier dans les zones urbaines. Ils ont également introduit une nouvelle méthodologie d'essai conçue pour couvrir toutes les étapes des émissions. Malheureusement, le projet de rapport [adopté par la commission Envi] ne fait que la moyenne des limites d'émissions, ce qui permet aux émissions de démarrage à froid de rester inacceptablement élevées. Il réintroduit également les tests de laboratoire comme dans l'Euro VI", déplore ainsi le groupe S&D.
"Nous avons réussi à trouver un équilibre entre les objectifs environnementaux et les intérêts vitaux des fabricants. Il serait contre-productif de mettre en œuvre des politiques environnementales nuisibles à l’industrie européenne et à ses citoyens", vante pour sa part le rapporteur du texte, Alexandr Vondra (Tchéquie, CRE). Il ajoute : "Nous sommes désormais proches des élections (européennes) et les [députés] sont davantage enclins à prendre soin non seulement des activistes verts, mais aussi des gens ordinaires […]. Nous donnons une chance à ces derniers d’acheter une voiture à un prix abordable le temps que les voitures électriques soient elles-mêmes abordables."
Vote en plénière le 9 novembre
Le Parlement européen discutera de ce rapport – et adoptera sa position de négociation – lors de la séance plénière de novembre prochain. Il sera pris entre le marteau et l’enclume.
D’un côté, les constructeurs automobiles, représentés par leur association européenne (Acea), dont la directrice générale, Sigrid de Vries, rappelle qu’elle "préconise depuis longtemps des objectifs et des conditions de test de l'Euro 7 qui ne rendent pas les véhicules inabordables et ne compromettent pas la compétitivité de l'industrie – pour peu ou pas d'avantages environnementaux". Elle estime en effet que "des améliorations beaucoup plus importantes de la qualité de l'air seraient obtenues en remplaçant les véhicules plus anciens sur les routes de l'UE par des modèles Euro 6/VI très efficaces, parallèlement à la transition à l'électrification", alors qu’"Euro 7 offrira des avantages marginaux".
De l’autre, plusieurs métropoles (voir notre article du 10 octobre), qui comme André Sobczak, secrétaire général de l’association Eurocities, plaident pour que le Parlement européen "donne la priorité à la santé de nos citoyens et à l'environnement". "Il est malheureux que dans une autre décision le mois dernier, le Parlement européen a adopté une position plus résolue sur la qualité de l'air et a fixé des objectifs très ambitieux en matière de qualité de l'air de l'UE, qui doivent maintenant être mis en œuvre", relève-t-il (voir notre article du 15 septembre).
Un sursis de 5 ans pour les autobus
Réunis en conseil ce 16 octobre pour arrêter une position commune sur la proposition de révision du règlement relatif aux normes d’émissions de CO2 pour les véhicules lourds neufs (voir notre article du 15 février 2023), les ministres de l’environnement de l’UE se sont de leur côté accordé pour repousser de 2030 à 2035 la date à laquelle les autobus neufs ne devront plus émettre de CO2, à la demande là encore de la France. Un report que la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, justifie par la nécessité de "tenir compte des investissements déjà réalisés par les collectivités locales". Un objectif intermédiaire a néanmoins été introduit pour 2030, date à laquelle les émissions des autobus neufs devront être inférieures à 85% par rapport à celles de 2019. Les ministres ont par ailleurs également retenu une baisse de 90% des émissions des poids lourds à partir de 2040 (par rapport à 2019).
Reconnaissance du nucléaire
Au cours de cette même réunion, les ministres ont également arrêté leur mandat de négociation en vue de la COP 2018 de Dubaï. Le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher rappelle que "la France soutenait la sortie des énergies fossiles, et notamment du charbon, le triplement des énergies renouvelables [objectif récemment affiché par le G20] et le doublement de l’efficacité énergétique d’ici 2030, une forme de reconnaissance de l’énergie nucléaire et la nécessité d’accentuer les efforts de sobriété énergétique". Et pour le cabinet, c’est là encore carton plein : "La ministre a pu atteindre l’ensemble de ses objectifs." Principale victoire, "le texte reconnaît la neutralité technologique ainsi que la spécificité de chaque mix énergétique, c’est-à-dire, pour la France, la place du nucléaire, ce qui est un point nouveau et important", déclare la ministre. Son cabinet relève également que "les économies d’énergie, c’est aussi reconnu, et c’est la première fois". Pour la sortie du charbon, si aucune date n’a été arrêtée, il précise qu’il a été retenu qu’un "système énergétique complétement ou majoritairement décarboné devra être atteint dans la décennie 2030, en ne laissant aucune place pour le charbon". Il ajoute : "Pour rehausser le niveau des ambitions, on a aussi obtenu la suppression du mot 'unabated' sur les carburants fossiles, qui permettait leur usage avec capture du carbone. Or c’est une solution qui a ses limites : les espaces de stockage de CO2 sont limités, il y a un certain nombre de fuites et l’efficacité économique n’est pas démontrée. C’est un faux-semblant pour diminuer l’ambition climatique." Et à Dubaï, l’UE présentera bien l’objectif d’une réduction d’au moins 55% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 – celui affiché par le paquet Fitfor55.